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L`événement Précis N° 1158 du 17/9/2013

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Edito: Le double langage
Publié le mercredi 18 septembre 2013   |  L`événement Précis




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Lorsqu’un Chef d’Etat clame sur tous les toits qu’il veut lutter contre la corruption, dans tout pays sérieux, les citoyens applaudissent et l’y poussent. Au Bénin, ils sont dubitatifs. D’où viennent alors ces doutes parfois irraisonnés qui entourent la parole du Chef de l’Etat, surtout dans le cadre de la lutte contre la corruption ?
Il y a, à ce phénomène apparemment inexplicable, des causes qui ne relèvent que de la pure logique. Qui ne connait, en effet, l’inusable prodigalité du Chef de l’Etat ? Sensible et hospitalier, il distribue des libéralités à ses visiteurs : millions, millions, millions ; ils ne parlent que des millions qu’ils reçoivent, juste pour « boire de l’eau ». C’est donc pour « boire de l’eau » que certains artistes ayant chanté les bonnes louanges en début d’année ont reçu 20 millions de FCFA. C’est pour « boire de l’eau » que certaines têtes couronnées invitées au palais, ont été gratifiées de cinq millions.

Et c’est aussi pour « boire de l’eau » que tous ces groupes, mouvements et associations défilent à la Marina pour proposer leurs « projets » pour la révision, moyennant quelques jetons chiffrés là encore en millions.
Tout ceci n’a strictement rien de nouveau sous nos cieux. Dans le royaume du Danxomè, le roi est appelé Djèhoto (le roi des perles), en référence à la richesse qu’il entretient dans l’imagerie populaire. Le roi est forcément le plus riche du royaume et se doit d’être généreux.
Presque tous les dirigeants africains contemporains se comportent de la même manière, confondant très intelligemment les caisses de l’Etat à leurs patrimoines privés. Oubliant ainsi que les temps anciens sont bien passés. C’est le continent, par excellence, dans lequel « la politique ne réussit que par la duplicité », comme l’écrit Ahmadou Kourouma dans son roman En attendant le vote des bêtes sauvages (Seuil, 1998). Mais ce qui est sidérant par contre, c’est qu’en arrosant la populace pauvre, misérable et inconsciente de ces billets issus du pillage, l’on se paie le luxe de penser qu’elle puisse avoir confiance en la bonne foi du Président de la République. C’est contradictoire et surtout rédhibitoire. Le peuple qui voit le déploiement massif de l’engagement présidentiel pour la lutte contre la corruption est le même qui empoche les millions du président : il ne peut jamais croire à la sincérité de celui qui nous dirige.
Cette incrédulité répandue se trouve davantage renforcée dans le cas des observateurs les plus perspicaces. Ceux-ci se demandent comment l’on peut justifier la course inutile et onéreuse des nouveaux ministres à travers le pays. En quête de foules à convertir aux vertus de la révision, ils dépensent, là aussi, des millions dont personne ne connait la provenance. L’on ne peut imaginer qu’un ministre fraichement nommé puisse disposer de tout cet argent distribué, s’il n’a reçu un coup de main venu d’en haut.
Mais alors, comment peut-on en arriver à ce niveau de dévoiement, où un gouvernement paie les foules qui l’acclament, et condamner en même temps la corruption ?
Dans cette situation, comment peut-on évoquer la lutte contre la corruption quand tout le monde est conscient que les millions distribués aux gens « pour boire » sont de l’argent « volé » ? Il y a un défaut criard de cohérence.
Le mal, c’est que cet argent qui fait marcher les vendeuses de gari de Savalou, les enseignants de Cotonou ou les cotonculteurs de Kandi est prélevé sur nos misères… A-t-on jamais pris la peine d’interroger ces artistes à qui l’on fait chanter les louanges présidentielles sur la lutte contre la corruption ? Ils nous auraient dit bien des choses sur la qualité de ces discours anticorruption dont nous nous gargarisons.
A dire vrai, nous entrons dans ce que Achille Mbembé a pu appeler « l’imaginaire de la mangeoire, du droit de capture et du partage des dépouilles » (De la postcolonie, Karthala, 2000). C’est-à-dire dans cet univers où il est reconnu et accepté que le Chef ne soit en fin de compte que le plus grand pilleur. Et qu’il doit partager son butin avec les pauvres hères nés de son inconscience.
Non, nous avons échappé, et depuis longtemps, à ce cercle infernal. Le Bénin aspire aujourd’hui à sortir de cet univers d’incohérence et de duplicité.

Par Olivier ALLOCHEME

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