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Univers carcéral au Bénin: Enfants de détenues, destin de prisonnier
Publié le vendredi 20 septembre 2013   |  L`événement Précis




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Dans les prisons du Bénin, une centaine d’enfants de zéro à cinq ans mènent une vie de « prisonniers de fait ». Présents dans l’univers carcéral en raison de la détention de leurs mères, ils paient un lourd tribut de leur filiation et assistent impuissants au déni de leur innocence.

Le petit Firmin Kinha* déborde de joie en cette journée ensoleil-lée du mardi 25 juin 2013. Il dispose depuis quelques mois d’un espace d’éveil où, chaque jour, il retrouve ses amis pour s’adonner à diverses activités ludiques. Pour cet être fragile, la présence d’un tel endroit de jeux n’était pas un droit naturel. C’est une opportunité inédite. Et pour cause, depuis sa naissance, ce petit garçon d’environ quatre (04) ans a pour cadre de vie le quartier des femmes de la prison civile d’Abomey, ville située dans le centre-nord à environ 120 kilomètres de Cotonou, la métropole du Bénin. Construit en 1904 pour accueillir 150 prisonniers, ce centre pénitentiaire réhabilité en 1950 et qui en compte désormais plus de 1500, jouit d’une triste réputation. « La prison civile d’Abomey est bien vétuste. Elle est la plus insalubre de nos maisons d’arrêts. Je n’ai jamais vu un établissement pénitentiaire d’un tel délabrement », relate l’ancien ministre de la justice, de la Législation et des Droits de l’Homme du Bénin, Joseph Gnonlonfoun dans son Rapport général sur la situation des prisons du Bénin. C’est dans cet environnement qu’évolue dix huit enfants (18) « prisonniers de fait » de zéro à cinq ans tandis qu’une centaine d’autres vivent dans huit des neuf prisons que compte le Bénin. A leurs risques et périls.

L’enfant, un précieux moyen de chantage
« A ce jour, notre pays compte plus de cinquante enfants de moins de cinq ans qui vivent dans ses prisons », confie Dominique Sounou, le président de l’organisation non gouvernementale (ONG) Dispensaire Ami des Prisonniers Indigents (DAPI-Bénin) qui s’investit depuis sa création le 21 janvier 2001 dans l’assistance aux prisonniers et à leurs enfants. A en croire ce dernier, huit des neuf maisons d’arrêt que compte le Bénin notamment celles de Porto-Novo, Ouidah, Abomey, Kandi, Natitingou, Lokossa, Parakou et Cotonou, à l’exception de la prison de haute sécurité d’Akpro-Missérété, comptent parmi leurs pensionnaires ces hôtes particuliers. « C’est une cible suffisamment innocente mais qui subit les affres de la justice ou de l’injustice de notre pays. Ce sont des enfants qui naissent ou accompagnent leurs mères dans les prisons et qui y vivent comme des prisonniers », explique, pour sa part, Balbylas Gbaguidi de l’organisation de défense des détenus, Prisonniers sans Frontières (PRSF-Bénin), installée à Parakou dans le nord du Bénin. Il y voit d’ailleurs une situation autant alarmante que celle des enfants en conflit avec la loi qui bénéficient, de leur côté, d’une protection légale. Or, poursuit-il, même en cas d’infraction, « le Code pénal béninois rend tout enfant de 0 à 6 ans pénalement irresponsable et à l’abri de toute garde-à-vue ». Dame Diane Féliho, la trentaine, ancienne détenue à la prison de Ouidah, lève un coin de voile sur l’une des causes de cette situation. « Lorsque j’ai séjourné en prison à cause de blessures causées à ma co-épouse, j’ai préféré garder mon fils d’un an avec moi parce qu’avec son jeune âge, j’avais peur qu’il ne manque d’entretien et d’affection en mon absence ». Détenue sept années durant à la Prison civile de Parakou au sein de la population –minoritaire- de femmes prévenues ou condamnées, la commerçante exerçant au marché Arzèké de Parakou, Foulerath Sanoussi a une autre explication à sa démarche. « Quand j’ai accouché de mon troisième enfant en 1998, j’étais déjà en prison. Je n’ai donc pas voulu me séparer de cet enfant parce que c’était la première fille que je venais d’avoir », explique cette quadragenaire de l’ethnie Bariba, au front marqué de cicatrices raciales. Si pour Alfred Santos, conseiller en droits de l’enfant à l’ONG internationale PLAN-Bénin, ces arguments qui prennent appui sur l’exercice de l’autorité parentale font souvent fi des conséquences sur l’enfant, une autre raison est évoquée par l’assistant social de la prison civile d’Abomey Hermann Davito pour l’expliquer. « Certaines nourrices refusent de voir leur enfant partir quand bien même des parents de substitution se manifestent pour assurer leur garde. Elles le font parce qu’avec la présence de l’enfant, les conditions de détention des mères sont plus souples », confie-t-il. Pour le Major de gendarmerie, Louis Houndonougbo, régisseur de la prison d’Abomey, il n’en est pourtant rien. « Il n’y a pas de traitement de faveur au profit des nourrices dans notre centre. Leur ration est la même que celle des autres prisonniers », confie ce dé-bonnaire d’une quarantaine d’années dont la foi catholique est mise à nu par divers portraits de Jésus-Christ et de la vierge Marie qui tapissent les murs de son bureau. Ainsi, prenant appui sur le Décret 73-293 du 15 septembre 1973 portant régime pénitentiaire en République du Bénin qui autorise, selon Cyriaque Dossa, procureur de la République du Tribunal de première instance de deuxième classe de Ouidah – ville située à 42 km à l’ouest de Cotonou- cette présence des enfants jusqu’à l’âge de cinq ans dans les prisons, des nourrices s’opposent à leur « enlèvement » pour des centres d’éducation ou pour le domicile familial et en font ainsi un moyen de « chantage » privilégié. D’autant plus que, explique l’assistant social de la prison civile d’Abomey, « à cause de la présence de ces enfants, nous plaidons régulièrement auprès des juges pour alléger la peine des nourrices. Et nous obtenons souvent une réponse favorable ». Ces propos ne sont pas partagés par le Procureur Cyriaque Dossa. « Nous nous en tenons strictement aux dispositions du Code de procédure pénale », précise-t-il. Ainsi, victimes collatérales de la détention de leurs génitrices, la cen-taine d’enfants présents dans les centres de détention au Bénin fait face à diverses conséquences découlant de leur situation de « prisonniers de fait ».

Des proies faciles pour maladies et vices
Pour nombre de femmes, le maintien de l’enfant dans l’univers carcéral vise à lui faire bénéficier d’une attention propice à son plein épanouissement. Ce choix consacré par l’article 9.1 de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies qui préconise que « l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre son gré… », n’est cependant pas sans conséquence sur l’enfant aux yeux de Balbylas Gbaguidi. « Dans nos prisons, les enfants souffrent beaucoup des effets de la promiscuité » qui se traduit par une surpopulation dans les prisons. A titre d’exemple, fait observer cet acteur du milieu pénitentiaire, « la prison civile de Cotonou –la plus grande du pays- qui a été initialement construite pour 450 pensionnaires, compte à la date du 31 juillet 2013, 1961 hommes, 114 femmes et 31 mineurs en conflit avec la loi, soit un total de 2106 détenus, condamnés, prévenus et inculpés y compris. Elle est surpeuplée et le taux d’occupation est estimé à 500% ». Cette situation jugée inhumaine, expose ces êtres fragiles à de multiples maladies, selon le président de DAPI-Bénin. « A cause de la promiscuité, de l’insalubrité et du manque d’hygiène corporelle, ils souffrent régulièrement de paludisme, d’affections gastro-intestinales, de dermatoses (gales, varicelle et eczéma), de lésions traumatiques (abcès et plaies) et surtout de maladies diarrhéiques alors même que le plateau technique médical (lits de consultation et d’hospitalisation, pinces, thermomètre et tensiomètre) n’est pas toujours à la hauteur dans les infirmeries des prisons », explique l’administrateur des services sanitaires de formation, Dominique Sounou. « Quand on parle de vaccination des enfants de zéro à cinq ans, est-ce que quelqu’un pense à eux ? Personne ne se préoccupe de leur sort », déplore, de son côté, Balbylas Gbaguidi. « Nous avons de réels problèmes quand il s’agit de la prise en charge sanitaire des enfants de moins de cinq ans. Or, l’Etat assure la prise en charge intégrale des prisonniers. Ce n’est pas le cas pour ces enfants qui ne sont pas comptabilisés. Ce qui nous contraint à mettre parfois la main à la poche pour les soins ou l’achat de médicaments en cas de maladie », révèle le Major Louis Houndonougbo, une facture datée du 20 juin 2013 entre les mains. « Voici la facture de 42.400 francs de frais d’hospitalisation que j’ai dû débourser en urgence pour le fils de la détenue A.C. et qui attend d’être soldée par l’administration », exhibe l’officier en guise de preuve. A l’instar des maladies qui découlent également du fait que « les rations alimentaires of-fertes aux détenus ne sont ni riches ni variées », selon Joseph Gnonlonfoun dans le rapport commandité par le gouvernement béninois, ces être innocents sont exposés à de multiples vices durant leur séjour carcéral en dépit de la division de la prison en quartiers réservés aux mineurs en conflits avec la loi, aux hommes et aux femmes auprès desquelles ils vivent. D’ailleurs, rapporte ce magistrat de formation, «…il se développe l’homosexualité dans nos prisons. Il semble que des femmes aient été violées durant leur détention ». Dominique Sounou de l’Ong DAPI-Bénin abonde dans le même sens. « Dans ce milieu où se côtoient des personnes soupçonnées ou coupables d’infanticides, meurtres et assassinats, braquages, coups et blessures volontaires, enlèvements de mineurs, associations de malfaiteurs, sorcellerie, viols…, beaucoup de choses malsaines se passent. Et ces enfants-là en sont initiés et même en font les frais. C’est évident que ça agit sur eux dans l’avenir », se désole-t-il en faisant observer que « loin d’être un endroit propice à une éducation à la normalité, la prison apparaît plutôt comme un terrain fertile au développement de vices ». Le témoignage de Amadou Bio Gado, jeune mécanicien de 27 ans, exerçant au quartier Zongo de Cotonou, confirme cette appréhension. « C’est en prison que je me suis familiarisé avec le vol. Si je n’avais pas séjourné en prison, je n’aurais jamais pu me livrer au vol », lâche-t-il, le regard orienté vers le ciel. Le fait est d’autant plus évident pour Alfred Santos que « le cadre de vie d’un enfant, c’est le cercle familial ». Aussi, emmuré du fait de sa détention parmi des personnes à la moralité douteuse, « l’enfant prisonnier » ne saurait sortir, selon ce sociologue de formation, indemne des pratiques néfastes qu’il observe auprès des adultes avec lesquels il partage son quotidien. Ainsi, outre le déni de son droit de « vivre dans un endroit sûr » proclamé par l’article 14 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (DUDH) et celui à l’éducation consacré par ce même instrument internatio-nal de protection des droits de l’homme et la constitution béninoise du 11 Décembre 1990, Alfred Santos déplore également les graves abus auxquels sont confrontés ces derniers. « Nous avons eu écho de cas de vols et nous craignons des viols à leur encontre », poursuit Dominique Sounou à ce sujet. Acteur bien connu de l’univers carcéral béninois, le président de DAPI-Bénin explique le développement d’actes de délinquance au sein de cette population comme l’une des plus graves conséquences du séjour carcéral de ces enfants. D’où l’urgence, selon lui, d’œuvrer à faire de la présence de ces êtres innocents dans les prisons du Bénin une exception.

Faire de la règle, l’exception
« Nous devons cesser d’accepter que des enfants passent dans l’indifférence des jours, des mois voire des années dans nos pri-sons pour partager avec leurs mères une peine d’emprisonnement à laquelle ils sont étrangers », estime Claire Houngan Ayemona, magistrate et ancienne ministre de la famille, de la femme et de l’enfant du Bénin. Pour cette militante des droits de l’enfant qui a fondé la Fondation Regard d’Amour à cette fin, il urge d’offrir un endroit plus sûr et plus propice à l’épanouissement de l’enfant loin de l’univers carcéral. Cet avis est partagé par Dominique Sounou qui plaide pour la création d’un centre dédié à l’accueil de ces enfants ». A défaut, préconise Alfred Santos de PLAN-Bénin, « il faut créer dans nos prisons des écoles maternelles pour leur permettre de bénéficier d’une éducation adéquate dès le bas âge pour leur évolution dans la société », préconise ce spécialiste des droits de l’enfant. « L’Etat doit comptabiliser ces enfants afin de les inclure parmi les bénéficiaires de la prise en charge dont jouit toute personne détenue », estime Claire Houngan Ayémona avant d’insister sur la nécessité de les soustraire de l’inexistence juridique à travers, notamment, l’enregistrement au fichier civil de ceux qui y naissent. Dans cette perspective, le Major Louis Houndonougbo plaide pour le renforcement des infirmeries en matériels, médicaments et personnels au sein des centres de détention même si face à la précarité de la situation de ces en-fants, Hermann Davito se félicite des efforts déployés par la Di-rection de l’Administration Pénitentiaire et de l’Assistance So-ciale (DAPAS) et les organisations de promotion des droits de l’enfant. « Le service d’assistance sociale apporte un appui psy-cho-social aux nourrices et surtout à leurs enfants pour leur développement psycho-moteur et contrôle leur état de santé. Nous menons des recherches pour trouver une famille de substitution aux enfants des prisons et sollicitons les bonnes volontés qui nous aident à mettre à la disposition des enfants des habits, des moustiquaires et des jouets. Nous sommes également en collaboration avec les centres sociaux des localités d’origine des enfants pour leur suivi », explique-t-il avec enthousiasme, les yeux emprisonnés par des lunettes de verre. Ces démarches ne sont pas les seules entreprises pour inverser la situation. DAPI-Bénin se prévaut d’une autre encore inédite au Bénin. « Nous avons créé l’école primaire ‘’la voie du salut’’ et un internat qui sont dédiés aux enfants des prisonniers pour leur offrir des perspectives d’avenir », annonce fièrement Dominique Sounou. Si ces initiatives concourent à offrir à ses bénéficiaires un mieux-être, celle entreprise par PRSF avec le soutien de UNICEF-Bénin qui s’inspire de l’article 24 de la DUDH qui proclame que « toute personne a droit (…) au loisir » ne l’est pas moins. En effet, dans les prisons d’Abomey, Cotonou et Ouidah, l’organisation a implanté des espaces d’éveil qui permettent aux enfants de s’adonner à diverses activités ludiques de leur âge. « Depuis que nous avons initié ces espaces d’éveil, nous avons observé que les enfants sont joyeux et épanouis. Ils se livrent aux animations avec l’appui des assistants sociaux », se réjouit Balbylas Gbaguidi au sujet du pénitencier d’Abomey. Ce sentiment est partagé par le Procureur de la République de Ouidah qui encourage l’implication des organisations de la So-ciété civile à la recherche d’approches novatrices de prise en charge des enfants. Même si, révèle-t-il, « de nombreuses recommandations dans le sens de l’amélioration du sort de ces enfants existent déjà au Ministère de la justice et attendent d’être mises en œuvre ». La magistrate Claire Houngan Ayémona plaide, pour sa part, pour l’actualisation du Décret 73-293 du 15 septembre 1973 portant régime pénitentiaire en République du Bénin. « Après quarante ans d’existence, il est urgent de toiletter nos textes et surtout ce décret pour accorder aux enfants de détenus toute l’attention qu’ils méritent », indique-t-elle. Alfred Santos de PLAN-Bénin, pour sa part, préconise de suivre l’exemple français pour permettre l’accès des enfants à l’école maternelle. « En France, les femmes ne sont autorisées à garder auprès d’elles en détention leurs enfants âgés que jusqu’à 18 mois alors qu’au Bénin, nous en sommes encore à 60 mois ». Pendant ce temps et dans l’attente d’autres initiatives à caractère humanitaire, le petit Mathieu va et vient inlassablement dans la balançoire installée sur le site de l’espace d’éveil. Vêtu de son innocence, il savoure à pleine gorgée les bienfaits de la liberté…entre les quatre murs de la prison civile d’Abomey.

Cette enquête a été réalisée avec le soutien du Programme SIDA de FAIR

* Noms fictifs pour préserver l’identité des personnes citées.

Jean-Claude D. DOSSA

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