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Automédication et vente illicite des faux médicaments à Cotonou et environs : Ces “Docteurs“ de la rue qui nous tuent en silence
Publié le mardi 7 juin 2016  |  Matin libre




L’industrie mortelle des médicaments contrefaits est florissante au Bénin. Les produits introduits sur le marché national à partir du Togo, du Nigeria et du Ghana se vendent à la criée au vu et au su de tout le monde à Adjégounlè, au cœur du grand marché de Dantokpa. Mais là où se situe désormais l’inquiétude est le fait que ces commerçants de faux médicaments se substituent aux médecins ou encore docteurs pour prescrire ou recommander des médicaments aux personnes souffrantes.

Le médicament de la rue tue. La rue tue le médicament. Outre le fait qu’on craint ces médicaments contrefaits, falsifiés ou de qualité douteuse, les vendeurs qu’il convient d’appeler désormais “Docteurs“ deviennent de sérieuses menaces pour la vie des patients. En effet, le constat affligeant est que ces commerçants de faux médicaments sont fréquemment consultés par des patients souffrant de quelconque maladie. Bien qu’ils ne soient pas habiletés à faire des prescriptions médicales ou recommander tel comprimé pour telle maladie, ils se substituent au personnel sanitaire dont l’indispensabilité est plus ou moins banalisée par les pauvres patients. Ces derniers qui trouvaient déjà couteux, les soins et les remèdes qu’on leur prescrit, trouveraient du soulagement auprès de ces contrefacteurs.

Nous sommes ici à quelques mètres du carrefour Avotrou à Akpakpa. Vendredi dernier,il sonnait 17heures environ quand deux femmes s’arrêtaient devant un étalage de vente des médicaments. L’une portant un enfant grelottant au dos. Il fallait donc se comporter aussi comme un client en ralentissant devant l’étalage pour entendre et voir ce qui se passait. « Mon enfant n’a pas fermé l’œil toute la nuit. Il avait chaud et pleurait sans cesse. Je lui ai donné du “Mixagrip“ mais rien », fit savoir la mère de l’enfant à la commerçante. Sans mot dire, cette dernière ouvrit le contenant et en sortir cinq plaquettes de comprimés différents et deux gélules de couleur rouge. « Tu lui donneras tout de suite, deux comprimés de Dyclofenac, de paracétamol, Quinine 100 et les deux gélules rouges. Elle dormira paisiblement la nuit. A partir de demain matin, tu lui donneras trois fois par jour, un comprimé de chaque plaquette », recommanda la vendeuse-Docteur. Voilà comment ces “Docteurs“ de la rue tuent à petits feux. D’autres auraient acquis une certaine renommée dans cette pratique obscène qu’ils reçoivent, tel un médecin et à longueur de journée, des pauvres patients en quête de guérison. C’est le cas de plusieurs femmes rencontrées et qui ont avoué toujours recourir aux conseils des commerçants de faux médicaments pour obtenir guérison. « J’amène ma fille chez la vendeuse “Maman Juste“pour qu’elle lui prescrive des médicaments car elle va mal depuis quelques jours », nous confia très tôt un matin, une habitante d’Akpakpa. Si autrefois, on se servait de l’ordonnance médicale pour se procurer des médicaments sur les étalages, cela semble être inutile aujourd’hui. Mais malheureusement, ces médicaments contiennent des substances toxiques ou sont périmés. En raison des faibles prix par rapport aux médicaments vendus en officine, la sensibilisation n’a pas pu prendre le dessus sur l’accessibilité des marchands d’appoint vendant souvent les produits à l’unité. « Et pourtant les faux médicaments constituent aujourd'hui un véritable problème de santé publique. D'abord, la consommation des faux médicaments va entraîner la non-guérison de la maladie pour laquelle ils sont pris parce qu'ils ne sont que de faux remèdes. Ceci va entraîner un allongement du temps de la maladie avec des dépenses supplémentaires pour le malade car son état de santé va nécessiter des investigations médicales et paramédicales complémentaires. Ensuite, les faux médicaments peuvent induire d'autres complications telles qu'une intoxication avec risque de destruction du foie et une incapacité de fonctionnement des reins (insuffisance rénale). Tout ceci pouvant déboucher sur la mort du malade car il s'agit là d'une atteinte des organes vitaux dus à la consommation des faux médicaments », a clarifié Dr Louis Koukpemedji, Président du Syndicat indépendant des pharmaciens du Bénin (Siphab). A l’en croire, les faux médicaments représentent une menace pour l'économie des industries de fabrication de vrais médicaments et un lourd fardeau pour le budget de l'État.

L’appel de Cotonou : du leurre ou le déclin de la lueur ?

Plus de six ans après l’historique rencontre de Cotonou, il y a lieu aujourd’hui de se demander ce que devient l’Appel de Cotonou. Cette initiative de la Fondation Jacques Chirac lancée le 12 octobre 2009 par le Président français, lui-même, porterait-elle les germes qui font d’elle, un coup d’épée dans l’eau, une opération mort-née ? Au regard de l’ampleur du fléau, pourrait-on parler de faux combat contre les faux médicaments ? En réalité, il faut reconnaitre que les balises d’une lutte efficace ne sont toujours pas posées. Les acteurs impliqués et l’Etat végèteraient dans du laxisme. Si chaque année, c’est plus de 10 milliards de faux médicaments de contrefaçon qui seraient introduits sur le continent et malgré les dispositions pénales et législatives réprimant la vente illicite des médicaments, le mal perdure, il urge de situer les responsabilités. Quant à l’appel de Cotonou contre les faux médicaments signé par onze chefs d’État, les engagements pris sont encore loin d’être concrétisés. Pendant ce temps, les populations s’éteignent lentement en silence dans une indifférence totale. Selon l’Oms, 200.000 décès par an pourraient être évités, si les médicaments prescrits contre le paludisme étaient conformes à la réglementation et capables de traiter réellement la maladie. « De toutes les inégalités, la plus blessante est l’inégalité devant la santé », avait pourtant reconnu Jacques Chirac.

De l’infraction par la loi…

« Toute personne qui se livre à l'achat et à la vente de médicaments sans y être autorisés fait de l'exercice illégal de la pharmacie. Infraction punie par l'article 17 de l'ordonnance N°73-38 du 21 avril 1973 portant création et organisation des ordres nationaux des médecins, des pharmaciens, des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes. Donc tous ceux qui vendent des médicaments aux abords des rues et dans les marchés ainsi que dans les cabinets médicaux illégaux et clandestins commettent une infraction à la loi. Les peines maximales applicables en cas de trafic de faux médicaments sont une amende de 500.000 FCFA et un emprisonnement de 6 mois. Pour un trafic qu'on estime 20 fois plus rentable que le trafic de la drogue», affirme Dr Louis Koukpemedji. « Les statistiques en Afrique subsaharienne risquent d'être plus alarmantes compte tenu du faible niveau d'équipements des laboratoires nationaux de contrôle de qualité des médicaments, la faiblesse des autorités nationales de réglementation et celle des sanctions applicables aux trafiquants. Le cas du Bénin est désespérant », se désole-t-il.

Dr Louis Koukpemedji propose…

Les autorités politiques doivent prendre leurs responsabilités afin de combattre ce fléau que constitue le trafic des faux médicaments.Ceci passe, selon le président du Siphab, par l'éradication pure et simple de la "grande pharmacie à ciel ouvert" qui est Adjegounlèet qui se situe en plein cœur du marché Dantokpa. « Il faut traquer tous les "étalages de la mort" au niveau de tous les marchés de notre pays et des abords des voies. Les autorités politiques doivent ensuite renforcer l'effectif des pharmaciens inspecteurs de la direction des pharmacies et du médicament (DPMED) et lui donner des moyens pour une lutte sans merci contre le trafic des faux médicaments et le marché informel de médicaments. L'Etat doit équiper et renforcer les capacités du laboratoire national de contrôle de qualité (LNCQ) de même que le contrôle au niveau des frontières et au niveau du port et de l'aéroport. Il faut actualiser la réglementation en la conformant aux réalités actuelles en vue de renforcer les peines qui punissent l'exercice illégal de la pharmacie ainsi que le trafic illégal des faux médicaments. En attendant, l'Assemblée Nationale est invitée à ratifier la Convention MEDICRIME qui est un traité du Conseil de l'Europe mais ouvert aux autres pays du monde et qui criminalise le trafic des faux médicaments. Cette convention destinée à protéger la santé publique en sanctionnant sévèrement le trafic des faux médicaments a déjà été ratifiée par la Guinée Conakry en 2015 », propose Dr Louis Koukpemedji.

Les génériques pour contrer l’économie criminelle des faux médicaments…

L’un des engagements pris dans le cadre de l’Appel de Cotonou contre les faux médicaments est l’accroissement de la mise à disposition de médicaments génériques de qualité pour tous, notamment ceux de la liste des médicaments essentiels établie par l’Organisation Mondiale de la Santé.Etant donné que c’est en raison du coût élevé des médicaments de la pharmacie que les patients se ruent vers les faux médicaments, les génériques, moins coûteux, sont donc une solution au mal. Mais malheureusement, très peu de pharmacies disposent jusqu’à ce jour des médicaments dits “génériques“. Le droit à la santé étant universellement reconnu, il importe que ces “Docteurs de la rue“ qui tuent lentement les patients soient contraints à se conformer aux dispositions légales en vigueur.

Réalisation : Aziz BADAROU
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