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John Igué, ancien ministre, directeur scientifique du LARES: « La dépréciation du naira nous coûte très cher »
Publié le mardi 14 juin 2016  |  La Nation






On a l’habitude de dire que lorsque le Nigeria éternue, le Bénin s’enrhume. La conjoncture qui sévit dans la première puissance économique du continent n’est pas sans conséquence sur le Bénin. En cause, la dépréciation critique de la monnaie nigériane, le naira, qui tire les affaires vers le bas. Le professeur John Igué, ancien ministre en charge de l’Industrie, directeur scientifique du Laboratoire d’analyse régionale et d’expertise sociale (LARES), fin connaisseur de l’économie nigériane jette son regard d’expert sur la chute du naira et propose quelques pistes de sortie pour tirer meilleur parti des échanges avec le Géant de l’Est.

La Nation : A quoi est due cette dépréciation de la monnaie nigériane ?

John Igué : La dépréciation est due essentiellement à la baisse du cours du pétrole. Le budget du Nigeria est ajusté au prix du pétrole à plus de 70 pour cent. Les ressources sur lesquelles repose l’économie nigériane sont essentiellement constituées des revenus de pétrole. Le Nigeria avait fait son budget en 2014 sur la base de 80 dollars le baril de pétrole. Il l’a ramené en 2015 autour de 60 dollars. Or, il s’est retrouvé avec moins de 50 dollars. Les prévisions budgétaires n’ont pas été atteintes et donc toutes les réserves de change se sont effondrées. Comme on est dans le cadre de la monnaie nationale, une fois que les réserves de change s’effondrent, la monnaie prend un coup. Tous les grands agrégats de l’économie nigériane sont liés au cours du pétrole. C’est les conséquences de la baisse des cours de pétrole qui expliquent la dépréciation du Naira.

Le Nigeria est une grande puissance régionale, la première puissance économique du continent. Mais sa monnaie n’a jamais été stable. Cette variation constante n’est-elle pas préjudiciable à l’économie du pays ?

Tous les pays qui ont une monnaie nationale ou régionale subissent les mêmes sorts
face à la conjoncture économique internationale. Le dollar, l’euro, le yen, le yuan, etc…subissent des fluctuations constantes face à l’instabilité du marché international. Ce n’est pas un fait du Nigeria. Même le franc CFA subit cette instabilité à travers l’Euro. On ne sent pas l’effet à cause de la parité fixe avec l’euro. Tant que l’euro baisse, le Franc CFA aussi baisse. C’est un phénomène général lié à la nature des économies et des monnaies. C’est pour cette raison que les économistes disent que si vous n’avez pas une monnaie nationale, vous ne pouvez pas faire de bonne politique économique. Chaque fois qu’il y a de fluctuations monétaires, on est obligé de réajuster la politique économique. C’est ce que nous n’arrivons pas à faire dans la zone CFA et nous ne progressons pas faute de compétitivité de notre marché vis-à-vis des autres.

Quel impact cette dépréciation a-t-elle sur les échanges commerciaux entre le Bénin et le Nigeria ?

La plupart des acteurs économiques qui exploitent le marché nigérian ne sont pas payés en devises mais en naira. A cause de la baisse du pouvoir d’achat au Nigéria et des problèmes d’inflation, ces acteurs éprouvent quelques difficultés à rentabiliser leurs échanges avec ce pays. Mais quand le naira baisse, cela entraîne la baisse aussi du pouvoir d’achat des Nigérians bien que leur salaire reste le même. Ainsi en termes d’économie réalisée sur une opération au Nigeria, peu font de gros bénéfices en voulant convertir le naïra reçu avec d’autres monnaies. C’est extrêmement important pour les opérateurs économiques béninois. Tous ces opérateurs connaissent actuellement de très gros soucis notamment les ré exportateurs de voiture, de riz, et d’huile. Quand ils vendent tous au Nigeria, ces opérateurs économiques font d’énormes pertes. Tous sont frileux aujourd’hui surtout par rapport à leurs anciens stocks. Cela fait qu’on assiste à une certaine morosité des activités économiques au Bénin puisque les 80 pour cent de ces activités économiques sont liées au marché nigérian. Les pertes sont énormes sur les méventes des produits, les gens n’importent que très peu en attendant que la situation s’arrange.

L’Etat béninois peut-il adopter des mesures de réajustement par rapport à la dépréciation du naira ?

Le Bénin ne peut pas s’ajuster parce qu’il utilise une monnaie au cours fixe. C’est cela notre difficulté avec le Nigeria. Le Franc CFA a une parité fixe, ça ne bouge pas. Vous ne pouvez pas être dans un système pareil et être à l’aise avec un pays dont la monnaie fluctue au jour le jour et compte tenu de la conjoncture internationale. C’est pour cela que nous nous battons pour avoir une même monnaie dans le cadre de la CEDEAO.

Justement à propos de la monnaie unique, la question a été débattue lors du dernier sommet de la CEDEAO à Dakar. Croyez-vous à l’horizon 2020 fixé par les chefs d’Etat ?

Ce débat date de très longtemps mais le projet ne se fera jamais à cause de la France. La France ne permettra jamais à son empire de s’effondrer. Le poids du Nigeria par rapport aux pays de l’UEMOA, c’est 72%. Si cela se réalise, le poids des économies des pays francophones va s’effriter considérablement. Déjà vous le voyez au Bénin, quelle est aujourd’hui le poids des banques françaises comparativement aux banques nigérianes ? La France ne va pas se laisser détruire. Elle a construit son empire pour ses intérêts et non pour nous. La France a été une entreprise coloniale pour ses intérêts et non pour les nôtres. Elle nous a formés pour la servir, et l’indépendance n’a rien changé à cela.

Pourquoi le Nigeria n’arrive-t-il pas à impulser le processus de création de la monnaie unique ?

C’est une question de rapports de force entre ce pays et la France. Les Nigérians se souviennent de ce que la guerre de Biafra leur a coûté. Le Nigeria sait que ses marges de manœuvre sont faibles, c’est pourquoi il y va molo molo. Et comme il a des relations sûres et solides avec d’autres régions de l’Afrique, il s’en contente. Aujourd’hui, il a réussi à avoir le Ghana, la Sierra-Léone, la Gambie, le Niger avec lui. Ces pays renforcent leur solidarité avec le Nigeria. Ici, nous faisons la politique de l’autruche. A cause de cela, nous ne faisons rien pour améliorer les relations avec le Nigeria prétextant des contradictions ethniques. Notre drame dans ce pays est qu’on ne sait pas ce qu’on veut. On ne sait pas faire des choix stratégiques, c’est pourquoi la dépréciation du naira nous coûte cher.

Que doit faire le Bénin pour réellement tirer profit du Nigeria ?

Il faut que les Béninois soient honnêtes et que les élites changent de comportement. On ne peut pas porter de masque comme on le fait ici et bien voir. Dans tous les pays où il y a la danse du masque, il y a toujours quelqu’un qui guide le porteur de masque. On est dans ce cas au Bénin. Tant que les Béninois ne vont pas déposer leur masque et bien regarder la réalité en face, on ne pourra pas améliorer les relations avec le Nigeria.

La réalité, c’est quoi ?

Le pays est dans un comportement ambigu à la fois du côté des élites que des grands dignitaires. On ne peut pas tricher contre soi-même et son pays et pouvoir avancer. Quand je parle de tricherie, c’est par rapport à la réalité des faits historiques et sociologiques. Celui qui néglige ses origines et son histoire est perdu. Sur ce plan, on a des limites profondes. On ne peut pas tirer profit d’un pays, si on néglige les faits historiques. Comment les Béninois peuvent ils coopérer avec le Nigeria s’ils ne peuvent pas parler avec les Nigérians? Très peu de cadres de l’administration au Bénin parlent anglais à la différence du Sénégal où presque tous les cadres sont actuellement bilingues. Nous sommes allergiques à l’anglais ici. C’est l’un des aspects des relations avec le Nigeria qu’il faut renforcer.

Qu’allons-nous faire ?

La solution mérite que les Béninois s’asseyent pour définir leurs priorités et une vision de l’avenir. Ce n’est pas en jonglant qu’on peut gagner avec le Nigeria. Nous devons choisir une nouvelle stratégie, définir ce que nous voulons devenir à terme par rapport à nos voisins immédiats et lointains. Ce débat ne se fait pas. Le seul débat qui se fait dans le pays, c’est comment faire pour accéder à la rente du pouvoir. Il faut renverser l’approche. Tant que l’approche ne sera pas renversée, on ne gagnera rien même si le naira s’apprécie. Nous devons construire une véritable rente sûr avant que les individus ne puisent dedans. C’est l’inverse que nous faisons. Cela est inquiétant. Nous sommes accrochés à une rente qui ne se renouvelle plus. Les problèmes que nous avons, vont au-delà de la question du naira. Il faut reconstruire le pays autour des objectifs stratégiques. Il faut changer de démarche. Il faut des compétences pour porter un tel projet. S’il n’y a plus de compétences pour porter un tel projet, on ne tirera aucun profit du Nigeria même si sa monnaie reste stable.?

Gnona AFANGBEDJI
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