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Crise du système éducatif béninois : La sévère analyse de Mgr Pascal N’koué (Le Prélat propose des pistes)
Publié le mardi 16 aout 2016  |  La Presse du Jour
L’Université
© Autre presse par dr
L’Université d’Abomey-Calavi (UAC) de Cotonou




L’Archevêque de Parakou, Mgr Pascal N’koué, fait ici une analyse sans détours de la situation de crise que traversent la société et le système éducatif béninois ; une crise de l’homme et des valeurs. Il propose un changement de paradigme basé sur l’orientation de l’apprenant par des éducateurs-enseignants ou des enseignants éducateurs, semeurs désintéressés d’élites. C’est à cette condition que l’école deviendra une entreprise de développement endogène.
Voici une conversation que j’ai souvent tenue avec les jeunes qui viennent me rencontrer. Que feras-tu après tes études ? «Je ne sais pas». Quel travail voudras-tu faire ? «Celui que je trouverai». Qu’est-ce qui t’intéresse vraiment dans la vie ? «Tout». Les jeunes sont désorientés. C’est grave. Ils n’ont plus de boussole. Ils n’ont plus de repères. Ils n’ont plus de modèles. Ils ne savent plus ce qu’ils veulent. Ils sont saoulés par les publicités, les images de violences, les feuilletons, la pornographie, les mensonges et illusions de ce monde à travers les divers réseaux sociaux : portables, smart phone, internet, pollutions sonores etc. Beaucoup ne peuvent plus s’en passer. C’est comme des drogues. Le zapping les empêche de fixer leur attention longtemps sur une image. Ils ne savent plus distinguer leur droite de leur gauche. Le subjectivisme relativiste bat son plein. Et on ne sait plus où on va.

Une véritable crise de l’homme face aux valeurs humaines

La crise est réelle. Ce n’est pas seulement une crise d’hommes politiques. Le gouvernement actuel dit de la rupture pour un nouveau départ, face aux dérèglements de la société, ne pourra pas faire grand-chose contre cette crise. Si nos mentalités du laisser-aller, de la tricherie, du profit malhonnête continuent d’être entretenues, on va s’enliser dans la boue de l’histoire. C’est une crise de l’homme face aux valeurs humaines, et pas seulement une crise d’ordre économique et financière, ni simplement une crise des autorités civiles et religieuses, des députés, des douaniers et des policiers. L’homme tout entier est en danger, parce qu’il se croit ou bien le maître absolu de la création ou alors parce qu’il a fait de l’argent son dieu. Ne nous laissons pas distraire par les islamistes, les djihadistes, les coupeurs de route. Les causes de nos misères sont ailleurs, elles sont d’abord en nous-mêmes. Elles sont en nos cœurs, elles sont endogènes, dans nos familles, avant même d’être structurelles au niveau national et international. Les inégalités sociales, la corruption insolente, les injustices criardes, les poches de misère ahurissante, les fraudes massives dans les concours organisés par l’Etat, la dictature humiliante de l’argent, voilà les vrais terroristes qui nous empêchent de vivre en paix. La crainte de Dieu laisse à désirer. En plus, nous avons des tares ataviques qui freinent notre progrès : pas d’archives de nos ancêtres pour consulter le passé, mauvaise gestion du temps présent, pas d’agenda pour organiser l’avenir. Du coup, pas de vision à moyen et à long terme. On se dit : il suffit d’avoir beaucoup d’argent, en peu de temps, et sans faire grand-chose. C’est impossible. C’est comme vouloir sortir de l’esclavage en Egypte pour aller à la Terre promise où coulent le lait et le miel sans passer par le désert, sans affronter les épreuves du froid, la morsure des serpents, les rigueurs de la faim, de la soif etc. Les obstacles et les sacrifices ça aide à se forger un caractère, une personnalité. Les difficultés fouettent notre imagination créatrice. Et sans elles, il n’y a pas de héros, pas de progrès. «Nul ne se connait tant qu’il n’a pas souffert». La solution au tableau sombre que je viens de peindre dépend en grande partie de notre éducation centrée sur Jésus-Christ.

On ne peut pas se former sans sacrifice. On ne devient pas compétent sans un effort constant et persévérant : «Le génie c’est 99% de transpiration et 1% d’inspiration». «Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent». «L’effort sans le succès ne laisse point de honte». «Ce qui fait la différence entre le désert et un verger c’est l’homme, ce n’est pas l’eau». «On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs». Jeune, que veux-tu faire de ta vie ? Vouloir est un verbe proche de voler, s’élever dans les airs. Si tu veux, tu peux monter haut, très haut dans le firmament. Deux ailes sont à ta portée : la raison et la foi. Evidemment sans Dieu nous ne pouvons rien faire. Alors que beaucoup de choses sont à faire, nous avons beaucoup de diplômés sans emploi. C’est inquiétant.
Pour une existence humaine ordinaire, bien choisir son travail est fondamental. «La chose la plus importante à toute la vie est le choix du métier : le hasard en dispose. La coutume fait les maçons, soldats, couvreurs…» (Pensées de Blaise Pascal). La chance existe peut-être, mais cela n’empêche pas d’éclairer le plus possible le choix que je fais dans ma vie.

«Il est temps de faire de l’école une entreprise de développement endogène »

L’éducation n’est ni un bagage complet, ni un simple outil, si prestigieux soit-il. C’est plutôt une semence qui doit être adaptée à chaque terroir particulier. C’est fort de cela qu’il faut repenser notre système éducatif qui a plein de prothèses dans ses articulations. Il n’est pas adapté à nos réalités. Il ne fonctionne pas pour l’Afrique. Où sont les savoirs et les techniques endogènes ? L’école n’est pas intégrée dans le village. Les sages sont ignorés. Les travailleurs manuels sont méprisés. Les jeunes fuient les hameaux, détestent la campagne et ont honte de leur territoire. Il est temps de faire de l’école une entreprise de développement endogène, et faire du développement une entreprise d’éducation nationale et internationale.
L’école, telle qu’elle est, risque de nous conduire au chaos social, économique, politique et peut-être même d’abord culturel. Elle fait des inadaptés sociaux rêvant d’aller faire fortune en Occident. «Là-bas la vie est rose. Là-bas tout marche correctement. Là-bas, les pauvres sont pris en charge».Et les médias encouragent à rêver, à rêver, à rêver sur l’Occident richissime comme la solution unique à tous nos malheurs.

Nos populations augmentent. Les diplômés sans emploi et donc oisifs et en divagation se multiplient. C’est une bombe à retardement. Ces jeunes devraient nous pousser à penser sérieusement à notre avenir. Car l’école est réellement en panne. On parle tout le temps de la croissance économique en Afrique pour endormir nos consciences ; mais on s’intéresse très peu à l’éducation. L’un ne devrait pas aller sans l’autre.
Il faut un réel nouveau départ pour former les parents et les éducateurs. Les chiennes ne mettront jamais bas des chats. «Tel père, tel fils». On ne donne que ce que l’on a. Un proverbe fon l’exprime mieux : «Quand quelqu’un porte sur la tête quelque chose de penché, il faut plutôt regarder sa jambe». Le mal vient d’ailleurs, et souvent de loin. L’Etat doit prendre sa part de responsabilité. Et d’abord les parents et les enseignants. L’Eglise aussi. Elle est éducatrice. Les secteurs privés qui s’intéressent à l’éducation scolaire doivent être favorisés et rigoureusement suivis. Je ne crois pas à la multiplicité des TD, des cours et examens organisés les dimanches et jours fériés, ni aux répétiteurs qui passent de maison en maison. Il faut des réformes. Il faut autre chose.
Entre autres l’orientation ou la praxis d’observation
Je propose entre autres l’orientation ou la praxis d’observation. Qu’elle commence au primaire et se fasse plus incisive au premier cycle du collège. Ce sera une œuvre continue menée à la fois par les parents, les enseignants et l’élève lui-même dont on réclamera la collaboration active. On le poussera à se révéler dans la sincérité, d’où la création d’un climat sain à favoriser aussi bien en famille qu’à l’école. Cela suppose la confiance. Mais»sans affection il n’y a pas de confiance, et sans confiance pas d’éducation» (Don Bosco). Ce grand éducateur insistait sur l’affection. Penser à l’orientation des jeunes après le BAC c’est trop tard.

Il ne s’agira pas d’orienter «manu militari « l’enfant avec la complicité des parents ou contre leur gré. Il faudra plutôt reconnaître aux parents la primauté dans les conseils à donner aux enfants, les décisions à envisager pour le présent et pour l’avenir de leurs enfants. Leur proximité affectueuse est requise à plus d’un titre. Car beaucoup d’enfants ne sont pas aimés. Donner facilement de l’argent à son enfant ne suffit pas. Le temps donné gratis, la proximité, l’attention et la chaleur parentales sont irremplaçables.
Etre un bon observateur, cela ne s’improvise pas. Cela requiert un jugement équilibré, sûr, juste et même, de la finesse psychologique, le respect de l’âme humaine, la connaissance des crises de l’adolescent. C’est un art délicat. L’observateur doit avoir une expérience réelle de la vie, être habité par une sympathie naturelle, une confiance spontanée, un don spécial : celui de l’accompagnateur avisé. En un mot, il doit être perspicace et savoir lire les signes de Dieu. Une erreur en ce domaine peut conduire à des dégâts terribles.
Comme un jardinier s’occupe d’une plante, en cherchant de la bonne terre, en y ajoutant du fumier, en arrosant, émondant, mettant un tuteur au bon moment, ainsi fera le bon observateur pour aider à orienter les élèves. Toutes les plantes ne s’épanouissent pas dans le même terreau. Les manguiers, les papayers, les bananiers ont besoin de sols et de soins différents. La compétence du jardinier ne suffit pas. La part de Dieu est requise : le soleil, la chaleur, le vent, la pluie. Un bon jardinier doit avoir l’œil du maître. Il en sera de même pour l’observateur à l’école. Il ne s’agira pas d’épier l’enfant comme un inquisiteur qui juge et condamne, mais d’entrer en relation avec lui. Le regard d’autrui a un pouvoir sur notre identité. Il n’est pas neutre. Il est doté d’une charge active et presque radio active. Le regard peut être séducteur, corrupteur, réducteur, propulseur, méprisant, complice. Il peut aussi être foudroyant, terroriste, assassin. Une personnalité faible perd son âme sous l’emprise d’un regard malveillant. Par exemple, des personnes complexées peuvent dépenser des sommes folles pour agresser leur peau à la recherche d’une peau claire, proche du modèle blanc. Notre système devrait chercher à redonner à l’Africain la fierté de son identité blessée pour qu’il prenne son destin en main ? Et tout cela, dans le but de valoriser ses dons, son potentiel, ses talents. Car éduquer quelqu’un c’est l’aider à croître, à se développer, à s’épanouir, à faire fructifier ses talents. Arrêtons de penser par procuration.

Concrètement, on pourrait responsabiliser le professeur principal de chaque classe qui aura un rôle prépondérant dans cette orientation. Il rassemblera les différentes informations sur la conduite de l’enfant, sur sa famille, sur sa santé qui feront partie de son dossier scolaire. Jean-Baptiste de la Salle, saint patron des enseignants, exigeait des maîtres une parfaite connaissance des élèves, à travers un «catalogue» qui décrivait l’enfant, son univers familial et ses progrès. Et chez lui, le progrès était impensable sans la discipline. Cette discipline reposait sur la ponctualité et le silence. En effet, la «ponctualité c’est la politesse des rois» ; et le silence est un excellent remède, c’est l’engrais de la force intérieure chez l’homme. Savoir gérer son temps avec profit et maîtriser sa langue sont deux grandes qualités communes aux génies et aux saints.
L’éducateur observateur décèlera, à travers les résultats scolaires et le comportement, les aptitudes réelles de l’enfant. Pour faciliter le discernement, on ne négligera pas les loisirs, les valeurs culturelles africaines : la musique, les arts, les métiers manuels, les jeux, le sport et la gymnastique. Tout cela aide à épanouir l’enfant, à déployer son attention et ses capacités. Ces exercices contribuent à l’éveil des esprits, forgent les caractères et créent facilement des relations entre personnes de couches sociales différentes. L’esprit sportif et combattif permet de savoir perdre et de mieux s’organiser pour gagner les fois prochaines. Evidemment, il faut de la mesure en toute chose. Tout sera resitué dans l’ensemble du comportement connecté aux valeurs africaines assumées par l’évangile.
Un éducateur ne devra jamais étiqueter ou épingler un élève dans son action mauvaise : «Il ne changera jamais» ,
«on ne peut rien faire avec lui» . Ces phrases sont comme des plantes vénéneuses. Ce n’est pas parce qu’un élève a menti sur un sujet qu’il est un menteur certifié. Ce n’est pas parce qu’il a triché à un examen qu’il ne peut plus être honnête.
«Ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés». A partir du négatif, ce serait bien de percevoir le positif qui peut en être tiré. Comme on le dit, nous avons souvent les défauts de nos qualités. Les enfants capricieux, tyrans, têtus ont souvent de grands dons mais à l’envers. Certains cas sociaux ont un don de débrouillardise prononcée, d’ingéniosité peu commune. Ils sont capables de grandes actions : don de leaders, de meneurs de groupes, don extraordinaire pour haranguer les foules et les motiver. Ils ont besoin d’un regard positif, bienveillant, confiant, prudent et stimulant pour les faire croître harmonieusement.
Enfin et pour tout dire, ce qui manque à notre école, ce sont des semeurs d’élites désintéressés, des enseignants-éducateurs et des éducateurs-enseignants. Là se trouve le principal logiciel de notre progrès. Si les dictateurs, les criminels, les divorcés sociaux avaient eu de bons éducateurs, ils seraient certainement devenus de grands saints ou tout au moins de grands hommes. Après son reniement, Pierre a pris au sérieux le regard miséricordieux de Jésus sur lui et est devenu le premier Pape de l’histoire. Voyez saint Augustin, il a eu pour le guider une sainte maman et Ambroise un saint évêque, et il s’en est sorti. Il y a toujours espoir. Souvenez-vous de Zachée, de la femme adultère, l’enfant prodigue, la Samaritaine, Marie Madeleine, tous étaient des parias. Ils ont bénéficié du regard bienveillant du Christ, et leurs vies ont été restaurées. Jésus, le grand éducateur, les a orientés sur le chemin qui conduit à la vraie liberté. Des parents et éducateurs exemplaires, qui ont la foi en ce Dieu-Amour, vrai Père de chacun et de tous, réussissent mieux dans l’éducation que quiconque. Le regard aimant fait des miracles. Le regard d’amour relève les damnés de la société. Car l’amour est le bulldozer le plus efficace pour broyer tous les obstacles. L’amour peut tout, croit tout, excuse tout, espère tout, endure tout. Il n’exclut pas la sanction bien sûr : «Aime et fais ce que tu veux» , dit saint Augustin. Cet amour-là il faut l’inclure dans l’éducation familiale et scolaire. Et ça ira. Afrique, lève-toi !

Pascal N’KOUE Omnium Servus
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