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Dr Ernest Akuesson au sujet des choix de Talon dans l’Education : « La nouvelle cartographie universitaire n’est pas satisfaisante»
Publié le mercredi 7 septembre 2016  |  Matin libre
Patrice
© Autre presse par DR
Patrice Talon,President du Benin




Le gouvernement de la Rupture doit aller encore loin dans les réformes engagées dans le monde universitaire. Selon le président des Forces agissantes pour une alternative crédible (F2AC), Ernest Akuesson, les propositions de Patrice Talon ne sont pas satisfaisantes. Mais le jeune universitaire n’a pas été que critique.« Le gouvernent du Président Talon doit oser le pas en créant une université par ancien département », a-t-il déclaré. Lire l’entretien accordé à votre journal par le Docteur en Droit, Ernest Akuesson.

Matin Libre : Vous êtes le Président du groupe de réflexion dénommée Les Forces Agissantes pour une Alternative Crédible (F2AC), pouvez-vous nous en parler brièvement ?

Dr Ernest Akuesson : Merci pour cette tribune que vous m’offrez pour apporter ma contribution dans le processus de développement du Bénin. En effet, le groupe F2AC est constitué de cadres béninois de la diaspora qui œuvrent pour une alternance véritablement crédible au Bénin. Ces travaux et des études d’impact visent à mettre l’humain au cœur de toutes ses actions.

Vous soutenez que le développement du Bénin doit se faire à partir des Universités. Votre leitmotiv c’est que l’Ecole est l’Avenir du Bénin.

Je tiens à commencer cet entretien en évacuant une question principale, celle de la légitimité. Autrement dit, est ce que j’ai la légitimité nécessaire pour dire ce que je veux dire ? La réponse c’est oui. Il ne s’agit pasici de discuter du contenu d’un programme universitaire, pour lequel sans doute, il y a des voix plus autorisées que la mienne. Vous m’interviewez sur la politique générale de l’Etat en matière d’enseignement supérieur et plus particulièrement la nouvelle cartographie universitaire proposée. J’ai la légitimité pour opiner sur cette question qui ne concerne que la politique générale de l’Etat en cette matière. En France, par exemple la Ministre de l’Education nationale dont le département s’occupe aussi des Universités n’est pas un Professeur d’université elle ne vient même pas du monde de l’Education. Même si elle a enseigné le droit constitutionnel à Science Po Paris et à HEC Paris, celle qui l’a précédé ne l’est pas non plus. Pourtant c’est à elle qu’on doit la Loi sur l’autonomie des universités, présentée comme l’une des principales réussites de quinquennat qu’elle a servi.

Que pensez-vous de la nouvelle cartographie universitaire ?

Je dois commencer par remercier le gouvernement de la Rupture pour l’assainissement commencé dans le milieu des universités privées, il y a longtemps que le désordre dure, mais le gouvernement doit aller encore plus loin.
Je veux partir d’abord d’un constat. Du point de vue de la sociologie, le béninois aime étudier. C’est notre particularité par rapport aux autres peuples africains. Un paysan vendra toute sa récolte pour instruire son enfant. Ainsi, le modèle de réussite, dans la conscience collective, est celui proposé par l’Ecole : « Le Akowè ». D’un point de vue historique, le Bénin a pu être désigné comme le quartier latin de l’Afrique parce que c’est d’ici que partaient les cadres pour servir les autres communautés composant l’AOF (Afrique Occidentale Française).

Aujourd’hui encore, la dynamique est pareille. Le secteur de l’éducation est en plein boom. Les universités privées sortent de terre comme des champions, les universités publiques sont débordées, et il faut oser le dire rien n’est fait pour contrôler cette excroissance. L’Etat est quasiment absent dans ce secteur. Il a laissé faire les privés, ce qui a conduit à un certain nombre de dérives : crédibilité des diplômes délivrés, exercice illégal, pour ne citer que ces exemples. Aujourd’hui l’enseignement privé supérieur est le principe et l’enseignement public supérieur l’exception. Il faut changer la donne. Je vous donne un seul exemple, regarder un peu la cartographie universitaire de Cotonou, qu’est-ce qu’on y voit, d’une part l’ENEAM (Ecole nationale d’économie appliquée et de management) à Gbégamey et la Faculté de Médecine et de pharmacie dans le même secteur, tout le reste de l’espace est occupé par le privé. Il ne faut même pas se hasarder à les dénombrer. Le gouvernement a récemmentsupprimé une cinquantained’entité privé opérant illégalement. Cela donne une idée sur l’ampleur de la demande en termes de formation.

En définitive, la demande de formation est très élevée et il faut la satisfaire et non pas la contenir. L’Etat ne peut pas continuer à laisser faire. La seule ville Cotonou peut accueillir au moins quatre (04) grandes écoles publiques de commerce ou d’ingénieurs à la taille de l’ENEAM. Il faut osercar la demande existe. Si j’étais décideur c’est la décision que je prendrai très rapidement. L’enseignement supérieur débouche sur la vie professionnelle, on ne peut donc le laisser au bon vouloir du privé, c’est aussi ça restaurer l’autorité de l’Etat. Si on aura des cadres bien formés demain, tout dépend de ce qui est fait aujourd’hui. Nous n’allons pas bâtir une éducation informelle, même si l’informel a envahi tous les secteurs. Tout ne peut être informel dans ce pays. Il faut réorganiser, il faut assainir, il faut règlementer. Mais assainir et règlementer n’est pas synonyme de suppression, et c’est en cela que la nouvelle cartographie universitaire proposée n’est pas satisfaisanteor elle se doit d’être innovante.

Et que proposez-vous alors ?

Ce que nous proposons n’est pas différent de ce qui se passe au niveau du secteur de la justice. La loi portant organisation de justice votée en 2002 a porté le nombre de tribunaux de 8 à 28, le nombre de cour d’appel de 1 à 3. Vous savez pourquoi ? Parce que « la justice doit être rendue en tout lieu ». Si on fait un parallèle avec ce principe. Il est évident que l’éducation doit être assurée en tout lieu. Ayons un raisonnement cohérent. Si on prévoit pour un peuple qui traditionnellement n’est pas belliqueux, 31 tribunaux, on doit pouvoir en faire autant pour un peuple qui de par tradition aime étudier. On n’osera pas demander au gouvernement de créer immédiatement 28 universités encore que le nombre supprimé récemment (49), témoigne de la forte demande et signifie qu’on a de quoi les occuper.

Au demeurant, nous avons 12 départements, l’idéal aurait été que chaque département ait son université. Et cette question me parait même plus urgente que la nomination des préfets qui est une décision du gouvernement que je salue d’ailleurs. Plus concrètement, le gouvernentdu Président Talon doit oser le pas en créant une université par ancien département. Ainsi Atacora, Mono, Ouémé, Zou doivent avoir leur université. La présence de l’Etat sur l’ensemble du territoire national, ce n’est pas que les préfectures. Elle doit se matérialiser aussi par la création des universités publiques partout sur le territoire.

Vous adhérez alors à la cartographie universitaire proposée par le Professeur Abiola ?

Pas vraiment, je ne parle pas de centres universitaires mais d’universités. Je ne parle pas de saupoudrage mais d’innovations. Il faut le marteler : je parle bien d’universités pluridisciplinaires et non d’universités thématiques. On doit pouvoir y retrouver toutes les formations proposées à l’Université d’Abomey-Calavi, c’est-à-dire toute les facultés (Médecine, droit, économie, finance, sciences sociales, science technique, agronomie, à tout cela on pourrait ajouter d’autres écoles d’ingénieurs etc). L’idée d’université thématique est totalement aberrante et incohérente. On a créé une université thématique de Sciences et techniques à Abomey et une université d’agriculture à Porto-Novo. Cela donne le sentiment qu’on veut fabriquer des agriculteurs à Porto-Novo et des mathématiciens et autres à Abomey. C’est à croire qu’on veut faire principalement des habitants de Ouémé et du plateau des agriculteurs et des habitants du Zou et des Collines des spécialistes de science et technique, cela n’est pas logique. Qu’en serait-il alors du jeune qui a grandi à Abomey et qui voudrait faire la médecine ou l’agronomie, il sera contraint de faire sa valise pour se rendre à Cotonou ou à Parakou, cela parait totalement abscons. Tous les jeunes où qu’ils soient sur le territoire national doivent avoir les mêmes chances. J’ai pu entendre dans ce débat que Porto-Novo en tant que capitale mérite aussi son université. Qu’il me soit permis de rappeler que la question ne se pose pas en termes de mérite. La création d’une université dans une localité n’est pas une question de mérite, mais une question de bon sens.

Partout où il y a des classes de terminale, il doit y avoir une université c’est une question de logique, c’est une question de bon sens. L’université n’est pas un luxe mais la suite logique des études secondaires. Il faut désacraliser l’enseignement public supérieur.

Et laissez-moi vous le dire, que c’est surtout une question d’appartenance à la communauté nationale que d’avoir dans chaque région une université. Aucune localité du Bénin ne doit se développer au détriment d’autres. Le Bénin ce n’est pas Cotonou. Il faut désengorger Cotonou. Ce n’est pas aux étudiants de se rapprocher de l’université mais à l’université de se rapprocher des étudiants. Et en cela je voudrais saluer le mérite du Professeur DorothéSossa, Ministre de l’enseignement supérieur à l’époque, il a pris l’initiative de la création de l’université de Parakou. Et aujourd’hui personne ne semble regretter ce choix. Il fallait juste maintenir le cap. Il y a eu sans doute un relâchement. Et c’est ce que nous déplorons.

Il nous faut donc au minimum 6 facultés de droit, 6 facultés de médecine, 6 facultés d’agronomie, et ainsi de suite. Il faut déconcentrer les formations de l’ENAM. Il faut aller à des écoles régionales d’administration lesquelles seront d’ailleurs utiles pour nos collectivités décentralisées. Tout porte à croire que nous avons cessé d’avancer. Or, il faut aller de l’avant. Pourquoi le jeune qui a eu son Bac à Malanville et qui veut devenir inspecteur des impôts ou inspecteurs des finances devrait-il traverser tout le Bénin pour venir s’inscrire à Abomey-Calavi. Cela n’est pas normal. Et ça ne répond à aucune logique

Si je vous comprends bien les universités thématiques doivent être supprimées ?

Cela n’est pas mon propos. Cependant, la seule présence d’une université thématique dans un département n’exclut pas la création d’une université pluridisciplinaire. Plus concrètement, on a une université de science à Abomey, pourquoi ne pas créer une université pluridisciplinaire à Dassa-Zoumè. Tous les Béninois doivent partir avec les mêmes chances. La migration d’un Béninois d’une région à une autre ne doit pas être une contrainte, mais doit procéder d’un choix volontaire. Il ne faut pas créer aux populations des charges supplémentaires plus que celles que leur impose leur condition. Cela est d’autant plus justifié que l’Etat n’a pas mis en place une subvention à la mobilité. Imaginez, si le jeune qui a eu son bac à Lokossa ou Natitingou doit poursuivre ses études en médecine par exemple, il devra voyager soit vers Parakou, vers Porto-Novo ou vers Parakou, vous évaluez les dépenses liées à un tel déplacement. Qui paiera la note ? Il faut cesser avec cette attitude qui consiste à tout ramener à Cotonou. Le Bénin ce n’est pas Cotonou. Il faut arrêter de vider l’intérieur du pays de son contenu.

Vous avez un programme ambitieux. Pensez-vous que l’Etat dispose des moyens pour mettre en œuvre une telle politique ?

Je réponds toute de suite par l’affirmative. Votre question pose deux problèmes celui du moyen matériel et du moyen humain. Allons, pas à pas.

En ce qui concerne le moyen matériel, cette politique ne coutera aucun franc à l’Etat. Et pour cela, il suffit de jeter un regard autour de vous et vous verrez que les nouveaux riches de Cotonou sont les promoteurs des universités privées.Je ne citerai pas de nom au risque d’en oublier, on pourra alors me reprocher d’être l’auteur d’une cabale. Ne me dites surtout pas qu’ils font du sacerdoce. Non, ils font du business parfois au détriment de leurs étudiants et du personnel qu’ils emploient, lequel n’est pas déclaré et n’a pas toujours un salaire décent. Cette situation renforce dans notre pays les inégalités sociales. Mais, mais cet aspect du problème sera évoqué à d’autres occasions. Ces nouveaux riches sont aujourd’hui partout, députés ou ministres, grâce aux mannes non pas pétrolières mais universitaires. Quand nos dirigeants comprendront-ils que l’éducation est le pétrole du Bénin. Plutôt on le comprendra mieux ce sera. Si ces promoteurs, en leur qualité de simple particulier, parviennent à lever assez rapidement des fonds pour faire pousser des édifices abritant leur campus, l’Etat qui est mieux organisé et plus solvable doit pouvoir aussi y arriver. Là où le privé réussit, l’Etat aussi peut réussir. On ne peut privatiser l’enseignement supérieur. Les recettes provenant du secteur peuvent suffire à couvrir les charges en termes de charges de fonctionnement et de paiement de salaires du personnel enseignant et non enseignant. L’Etat peut se saisir de ce secteur pour créer des emplois stables plutôt que de laisser les jeunes au chômage ou à la solde de promoteurs privés.

Récemment, le gouvernement du Président Talon a rappelé, le monopole de formation de l’Etat dans le domaine de la santé. Cette question cache un malaise que je vais vous dire, la demande existe. Et le Président Talon issu du milieu des affaires sait mieux que quiconque que lorsque la demande existe, il faut la satisfaire, et ce serait le début d’une économie qui marche. Une formation en médecine même à 5.000.000 FCFA fera salle pleine. Car la population a cette envie. Il faut juste s’assurer que les personnes qui désirent se faire former disposent des aptitudes pour cette formation. Les Béninois ne sont pas pauvres comme on tente de nous le faire croire, et c’est ce qui fait la richesse des promoteurs privés. Ceux qui vont dans le privé n’y vont pas gratuitement mais à prix d’or et souvent pour une formation qui n’est pas à la hauteur de la somme déboursée. Il faut éviter la clochardisation de l’enseignement supérieur. Les jeunes bacheliers viennent de moins en moins dans les universités publiques par conviction. Il faut restaurer l’image de notre système éducatif.

Je sais qu’on opposera aussi à la ligne que je défends que le Bénin manque de personnel enseignant. Il faut repousser tout de suite une telle objection. Tous les voyants sont au vert dans ce domaine. Toutes les facultés d’Abomey-Calavi disposent aujourd’hui d’une formation doctorale. A la faculté de droit qui est l’exemple que je maitrise le mieux, il y a au minimum une demi-douzaine de formation qui débouchesur un cursus doctoral. Cela signifie quoi ?Au moins 150 personnes se mobilisent chaque année pour devenir docteur, c’est-à-dire enseignants à l’université. Cela voudra dire que d’ici 5 à 10 ans, au moins une cinquantaine de docteurs sortiront chaque année de la seule faculté de droit d’Abomey-Calavi multipliés par le nombre d’écoles doctorales. Quel est l’avenir que nous leur réservons ? Faut-il limiter l’accès à ces formations ? La réponse est non. Il faut plutôt anticiper le coup. Il faut leur préparer le terrain. Mieux encore, il y a au minimumune centaine de docteurs en attente de recrutement ou en phase de finition de leur cycle doctorale. Que deviendront-ils ? Cet effectif n’inclut pas les jeunes qui sont allés se faire former à l’étranger et qui voudront rentrer un jour pour servir leur pays. Ils en ont le droit et ils y ont leur place. On ne cesse pas d’être béninois parce que l’on vit à l’étranger ou parce que l’on est parti étudier en dehors du Bénin. A ceux-làaussi, il faut préparer le terrain. Et préparer le terrain, c’est anticiper. La capacité d’anticipation c’est ce qui fait la différence entre un chef de l’Etat et un chef quartier, l’autre n’a-t-il pas dit que gouverner c’est prévoir.

Selon vous quel peut être l’impact économique d’une telle politique ?

L’impact économique d’une telle politique pour le pays est immense, devenir l’école de la sous-région, quelle noble ambition ? Aujourd’hui déjà nous avons une forte communauté étrangère dans notre pays. Les Togolais, les Nigériens, les Nigérians, les Congolais pour ne citer que ceux-là viennent déjà se faire former au Bénin. Ils viennent avec leurs capitaux, c’est ce qui dynamise une économie.Il n’y a rien de plus noble que de contribuer à la formation de l’élite de la sous-région. Béninois quel est ton métier ? Je suis formateur de cadres, formateur d’élites. Plus loin l’implantation d’une université dans une localité accélère son développement. C’est l’immobilier qui prend de la valeur, ce sont les constructions qui sortent de terre. Cela accélère le développement. Abomey-Calavi n’aurait jamais atteint ce boom démographique et ce niveau de développement si elle n’avait pas été une ville universitaire. Vous pouvez également étudier l’impact de l’implantation de HoudegbeNorth-American universitydans la zone de Sékandji ou encore l’impact de l’université de Parakou sur la zone de Banikanni. Cela peut servir de terreau au développement d’autres activités comme celle d’agent immobilier, les transports, les commerces pour ne citer que ces exemples. Je ne peux citer toutes les personnes qui vivent d’une université : restaurations, centre de reprographies etc.

Je sais par exemple que ce gouvernement a fait du secteur du tourisme l’une de ses priorités. Imaginez qu’on rapproche les universités de nos différents sites touristiques. Je donne un exemple une université implantée à moins de 50 kilomètres du parc de laPendjari et qu’à l’occasion d’un colloque international, on fasse visiter le parc aux intervenants étrangers. Je ne sais s’il y a meilleurs canaux de communication et de promotion touristique. L’Elite africaine que nous sommes appelés à former repartira avec cette connaissance de nos cultures, de nos sites touristiques, il n’y a pas meilleure publicité. Le Bénin ne sera jamais une puissance agricole plus grande que la Cote d’Ivoire. Pour entreprendre, il faut évaluer ses forces. Il y a là où nous pouvons réussir, parce que nous avons naturellement certaines prédispositions, et ces domaines c’est l’éducation, c’est la santé, c’est le service. Pour se développer, il faut compter sur ces moyens, sur ces capacités. On parle potentialité, le nôtre c’est l’éducation.

Que pensez-vous de la gratuité de l’enseignement supérieur ?

D’abord, l’enseignement supérieur public n’est pas gratuit. Il faut oser le dire. C’était un coup de communication, mal pensé. Et le système mis en place par l’ancien gouvernement doit être dénoncé. Il ne répond à aucune logique. Je le disais tantôt, les Béninois ne sont pas pauvres. Et c’est bien parce qu’ils ne sont pas pauvres que les promoteurs privés prospèrent. Il n’y a que l’inscription dans les facultés classiques qui soit gratuite. Et là encore, il y a trop de choses à redire. Tout n’est pas gratuit. Tous ceux qui viennent à l’Université ne sont pas pauvres. Il n’y a pas que des pauvres dans les universités publiques. Pourquoi l’enfant d’un douanier ou d’un magistrat qui désire s’inscrire en droit devrait-il suivre les cours gratuitement, je n’ai rien contre ces professions, j’aurai pu en citer d’autres. Alors que les mêmes, ont les moyens d’envoyer leur enfant soit au Canada ou en France.

Je donnerai là encore l’exemple de la faculté de droit. De la première année en quatrième année,les étudiants suivent les cours gratuitement. Mais lorsqu’ils doivent s’inscrire en Master professionnel ou recherche, il leur faut débourser au moins 651.200 FCFA. Plus tard quand ils voudront s’inscrire en thèse, ils devront payer au minimum 351.200 FCFA par an pour un cursus qui en compte au minimum trois. Ça veut dire que le cycle doctoral coûte aux étudiants au minimum 2.000.000 FCFA. En dépit de ce coût, la demande ne faiblit pas. C’est à croire que plutôt que d’être encouragé à étudier, on a érigé des obstacles devant eux, pour les empêcher d’y arriver. Les étudiants devraient en principe s’indigner contre cette pseudo-gratuitéafin d’exiger plus de confort.

Il faut cependant l’avouer, tous les étudiants n’ont pas les moyens de faire face aux frais d’inscription. C’est dire qu’au sein de la communauté estudiantine, il y a des étudiants totalement démunis. Il doit être mis en place à leur profit un système de bourses sur critères sociaux lequel ne doit concerner que l’exonération ou si vous voulez le remboursement des droits d’inscription. Le Bénin est l’un des rares pays au monde où ce système de bourses n’existe pas. Je rappelle que les bourses et secours octroyés aujourd’hui ne sont attribuées que sur mérite. Les deux types de bourses doivent coexister. Pour réduire les inégalités sociales dans un pays, ce sont les plus riches qui paient pour les plus pauvres. On ne peut décréter un système où tout le monde est pauvre. Rien de bon ne s’obtient gratuitement. La gratuité ne responsabilise pas.

Quelle est votre position par rapport à la crise qui secoue l’université ?

Je vais vous surprendre, les responsables de cette crise sont en dehors de l’université. Les responsables, ce ne sont donc ni les étudiants ni les enseignants.

Que voulez-vous dire par là ? Qui en sont alors les responsables ?

Il faut rappeler d’abord le contexte. Les professeurs et les étudiants se sont retrouvés pris au piège. On a accumulé à l’Université d’Abomey-Calavi, de quoi créer plusieurs universités. Les effectifs dans ce lieu censé être un lieu de savoir sont devenusingérables. Cette situation n’est imputable ni aux enseignants, ni aux étudiants. Le ratio nombre d’étudiants par enseignant est complètement en déséquilibre. Conséquence, les examens coûtent plus chers et prennent surtout plus de temps que les enseignements. Un examen occupe en moyenne trois ou quatre mois de l’année or il faut en organiser deux. Il ne faut pas omettre non plus la période des vacances et au final il n’y a plus de place pour les enseignements. Les enseignants n’y peuvent rien quel que soit leur bonne volonté. La solution à cette crise passe par la voie de déconcentration que nous appelons de tous nos vœux.

La situation à la faculté de droit est assez édifiante. En termes d’enseignants et d’effectif étudiants, il y a de quoi créer deux facultés de droit. Depuis plusieurs années déjà on a dû scinder l’effectif du premier cycle en deux parce qu’il n’y a pas de salles pouvant contenir les étudiants, on parle de groupe I et de groupe 2. Faute pour les politiques de prendre leur responsabilité, c’est la solution qui a été trouvée, cela ressemble à du bricolage. Il faut le reconnaître la décision de créer de nouvelles universités pour désengorger celle d’Abomey-Calavi ne revient pas aux professeurs mais aux politiques. Au nouveau gouvernement de prendre donc ses responsabilités. On a souvent entendu dire que l’Université de Calavi de par son effectif est une bombe. Malheureusement, personne n’a voulu la désamorcer.

Pour désengorger l’Université d’Abomey-Calavi, certains ont suggéré la limitation de l’accès à l’Université, qu’en pensez-vous ?

Je ne partage pas ce point de vue. L’éducation est un droit fondamental consacré par la constitution. Et je l’ai rappelé au début de mon intervention, l’éducation doit être assurée pour tous et en tout lieu. Le Béninois par nature aime étudier et personne ne doit et ne peut le priver de ce droit. Le développement d’un pays se mesure aussi par rapport au niveau d’instruction de ses citoyens. Alors, on peut dire tout haut« éducation pour tous et partout ».

Votre mot de la fin, M. Akuesson.

Je voudrais saisir cette tribune pour m’adresser directement au Président Patrice Athanase Guillaume Talon. Monsieur le Président, je sais que vous êtes un homme qui aime faire les choses en grand. Je veux bien rêver avec vous. Le « miracle » est possible. Il faut oser le pari du développementà partir de nos Universités. C’est une opportunité à moindre coût que nous avons, saisissons là. Et pour cela, il ne s’agit pas de rechercher dans les départements des bâtiments administratifs désaffectés pour en faire des universités. Mais il s’agit de construire dans les départements concernés Atacora, Mono, Zou et Ouéméau moins une université pluridisciplinaire deux fois plus grande que celle d’Abomey-Calavi. Nous sommes une démocratie qui marche, soyons aussi une économie qui marche. Je finirai par cette formule « L’avenir du Bénin, c’est l’école ».Osons franchir le pas, je vous remercie.

Propos recueillis par Allégresse SASSE
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