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Education au Bénin : L’enseignement : Vocation ou passe-temps ?
Publié le vendredi 28 octobre 2016  |  Fraternité




Aussi vieux que le monde, l’enseignement est l’un des métiers les plus nobles. Cependant, sous nos cieux, cette fonction est devenue un passe-temps, une contrainte et parfois le dernier recours pour se survivre. Enquête !


Lundi 10 octobre 2015. A peine les établissements scolaires procèdent aux derniers réglages de la rentrée scolaire 2016-2017 que Elie s’en sort déjà avec 36 heures de cours à exécuter par semaine. L’heure n’est plus aux bavardages inutiles. Par ces temps de soudure chronique, il va falloir se plier en quatre pour joindre les deux bouts. Et ce n’est pas fini. « Je suis à la recherche de cours de maison en Mathématiques. Peux-tu m’en trouver ? Je suis libre les week-ends… », demande-t-il à l’un de ses collègues enseignants. Après un entretien succinct, mais rempli d’informations à vous couper le souffle, Elie s’empresse pour exécuter ses cours ailleurs.

Enseigner pour survivre !
Malgré le nombre d’heures qu’il exécute par semaine, les répétitions dans les maisons et autres, Elie mène toujours une vie précaire. Avec une femme et 2 enfants, il se démène pour subvenir aux besoins de sa famille. « Il m’arrive de rester à jeun pour que ma famille puisse trouver à manger. A la veille de la rentrée, j’ai eu de la peine à acheter les fournitures scolaires à mes enfants. J’ai dû contracter des prêts pour les satisfaire….Je dois payer le loyer, l’électricité…je suis dépassé », lâche-t-il.
A l’image d’Elie, environ 80% d’enseignants honoraires servent l’Etat dans des conditions assez pénibles. Au lieu d’être une passion, le métier devient plutôt un mal nécessaire, une contrainte, à la limite une passerelle en attendant le meilleur. Sans langue de bois, Ghislaine, professeur honoraire d’Espagnol, exaspérée de ressasser les mêmes exercices chaque année sans pouvoir progresser, a décidé de surseoir à cette activité. Mais hélas ! « Je pensais que l’enseignement allait changer ma situation sociale. J’ai l’impression que mes études universitaires n’ont servi à rien. Je suis fatiguée de la craie. J’aurais bien voulu abandonner, mais je me suis inscrite en Master. Donc, je dois chercher des ressources. Pour cela, je dois encore tenir la craie… », confie-t-elle. La vocation dans le rang des enseignants honoraires n’est qu’un vain mot. « Enseigner l’Allemand était mon seul désir. Mais aujourd’hui, ce sera le dernier conseil que je donnerais…Lorsque la rémunération n’est pas à la hauteur des efforts fournis, c’est décourageant… », argue Mouniath, Professeur d’Allemand, l’air désespéré. Certains enseignants sont démotivés en raison des expériences malheureuses vécues dans le métier. C’est l’exemple de Epiphane, enseignant honoraire dont l’histoire fait froid dans le dos : « J’ai souffert de la hernie, à cause des secousses sur l’axe Akassato-Allada lorsqu’il était en chantier. J’ai failli en mourir. Je quittais Abomey-Calavi pour aller dispenser des cours dans des établissements à Allada. Mais, lorsque j’étais hospitalisé, je n’ai reçu aucun soutien. Je n’ai eu que mes parents à mes côtés. Au retour dans un complexe scolaire, le Directeur des études m’a annoncé que j’ai été remplacé par quelqu’un d’autre…Raison avancée, mon hospitalisation a pris trop de temps. Il n’était donc pas possible de laisser les apprenants sans enseignant pendant plus d’un mois… ». A cet égard, l’enseignement au Bénin perd progressivement ses lettres de noblesse.

Conflit de générations !
A la lecture des différentes interventions, il y a comme une sorte de conflit de générations. Les enseignants qui ont environ 20 ans d’expérience et plus, exercent le métier avec passion, amour et beaucoup d’entrain. Mathurin do Rego, Enseignant certifié d’Education physique et sportive (Eps) a renoncé au luxe pour consacrer sa vie à l’enseignement. « J’ai choisi ce métier parce que je jouais depuis mon bas-âge. Je représentais mon école. Après mon Bac, je suis allé à l’Injeps où je me suis fait former. Là-bas, j’avais l’opportunité de choisir d’autres filières qui pourraient m’amener loin. Mais non. Quelques années après, je suis allé en Allemagne où je pouvais vivre pleinement ma vie. Mais, j’ai renoncé au luxe pour me mettre au service de mon pays…J’adore enseigner. Même si je n’y trouve pas le confort souhaité, je m’y plais… », lâche-t-il. Pour sa part, Bertin Houngan, Directeur d’un complexe scolaire, ne changera jamais d’avis s’il lui était donné de choisir un autre métier. « …Personnellement, c’est par vocation que je suis venu dans le métier. Je souhaitais devenir un professeur de Mathématiques. Mais compte tenu des diplômes universitaires que je n’ai pas pu avoir, je me suis lancé dans l’enseignement primaire… », confie-t-il. Florent Akouègniho, professeur de français, docteur en sociologie, est lui aussi devenu enseignant par vocation. Il raconte ses motivations : « J’étais toujours séduit par les enseignants qui organisaient très bien le tableau, dessinaient très bien les lettres, qui s’habillaient aussi bien...tout ça me séduisait et je voulais être comme eux. Sauf qu’aujourd’hui, les choses ont changé….les enseignants ne savent plus écrire aujourd’hui. Ils ne respectent plus les types d’écriture. En ce moment aussi, nos instituteurs étaient très bien considérés. Naturellement, j’ai eu des pulsions qui m’ont très tôt amené à choisir l’enseignement. J’ai commencé réellement par l’enseignement primaire où j’ai fait 14 ans en tant qu’instituteur certifié. Ensuite, je suis remonté au secondaire où je suis professeur de français… ». Cette catégorie d’enseignants est d’une génération où la passion pour le métier était naturelle. L’on pouvait exercer le métier quelles que soient les difficultés. Et à Mathurin do Rego de conclure que l’enseignement est un sacerdoce, un métier de patriotisme avéré.

Point de mire, le nerf de la guerre…
De ses expériences, l’ancienne génération d’enseignants se dit indignée des attitudes et du mode de fonctionnement des jeunes. Selon eux, les jeunes enseignants sont cupides et oublient l’essentiel. Bertin Houngan s’en plaint : « …quand on les voit, ils ne taillent pas d’importance au travail. Je me demande si ce sont des enseignants. En conclusion, ils ne sont pas venus pour venir enseigner ». Pour lui, certains trouvent que l’enseignement demande beaucoup de sacrifice. Nos jeunes n’aiment plus se tracasser. Ils ne veulent plus faire des recherches et préparer les fiches… ». Sergio Tom Sènou, jeune enseignant, a fait aussi le constat et déplore : « J’ai eu la chance de diriger une école, ce qui a fait que j’ai côtoyé un bon nombre d’enseignants. Il y a des agents qui se retrouvent dans l’enseignement parce qu’ils n’ont pas trouvé mieux ailleurs. Ils se retrouvent dans le métier pour un temps. Ils font un peu de l’à peu près ». Aussi, retrouve-t-on dans le métier des enseignants qui exercent encore d’autres fonctions. « Il s’agit des enseignants qui sont en même temps répétiteurs, journalistes, chefs d’entreprises… », révèle Bertin Houngan. En un mot, il y a des brebis galeuses dans les rangs. Préoccupé par la situation, Philippe Abadji, Directeur d’école imagine l’enseignement dans les années à venir. De son analyse, il ressort que les enfants ont un désamour pour le métier. Du coup, la probabilité de voir les générations futures se désintéresser reste forte.

Patrice SOKEGBE
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