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Le « saut de grenouille » africain, prisonnier du syndrome Lyssenko
Publié le lundi 14 novembre 2016  |  La tTribune Afrique




En Afrique, le « syndrome Lyssenko » trouve un terreau fertile, composé d'un triptyque infernal : le besoin d'aller vite, de répondre à la pression des opinions publiques et l'envie de trouver des solutions « miracles » à des problèmes structurels.

Quiconque s'est intéressé à l'histoire de l'Union Soviétique sait qui était Trofim Denissovitch Lyssenko et l'influence qu'il eut sur son maître, Joseph Staline. Né à Karlivka (Ukraine) en 1898, cet agronome connaîtra une carrière fulgurante qui le conduira à la tête de l'Académie Lénine de sciences agronomiques, dès 1948.

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Pendant près de 30 ans, son influence sera considérable sur l'ensemble de la chaîne de décision de l'Union soviétique, et pas uniquement dans le domaine agricole. Bien que s'appuyant sur une base scientifique quasi-inexistante, les théories qu'il a promu sans relâche vont à la fois contribuer à affaiblir le potentiel agricole russe et à intensifier les purges contre les tenants de la science qu'il qualifiait de « réactionnaires ».

De manière globale, les thèses de Lyssenko prennent le contre-pied de toutes les avancées connues jusqu'alors dans la génétique ou la biologie moléculaire, encore balbutiantes. Pour lui, les travaux du moine autrichien Johann Gregor Mendel ou du généticien américain Thomas Hunt Morgan, qui affirment la prééminence de l'hérédité, ne constitueraient que le cheval de Troie d'une science « bourgeoise ». En mauvais agronome mais en bon politique, Lyssenko comprit très vite que le champ d'application de ses pseudo-travaux dépassait très largement l'agronomie.

Le Lyssenkisme, où l'art de construire une réalité parallèle basée sur la science pour servir un projet politique -les purges staliniennes- était né. En bref, avec le «Facteur Lyssenko», on est aux prises avec un acteur qui refuse le réel et le façonne pour gravir les échelons du pouvoir, sans toutefois occuper la première marche de la hiérarchie, mais en se nichant tout près, là où la capacité d'influence est maximale et l'exposition minimale.

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En Afrique, le « syndrome Lyssenko » occupe une place hypertrophiée autour des dirigeants par rapport aux autres continents, car il trouve dans le continent un terreau fertile, composé d'un triptyque infernal : le besoin d'aller vite, de répondre à la pression des opinions publiques et l'envie de trouver des solutions « miracles » à des problèmes structurels.

Un refus du réel ?
Pour certains, il pourrait paraître accessoire de mettre au premier plan ces trois tendances comme vecteurs d'une dynamique de « refus du réel », qui serait ancrée au sein de classes dirigeantes africaines. Dans certains cas, cela pourrait même être interprété comme une vision postcoloniale, qui voudrait que les Africains soient incapables de prendre des décisions rationnelles, du fait des prégnances de ce type de facteurs. Ce n'est pas le cas.

Toutefois, dans le cas du fameux « Saut de grenouille », ou « Leapfrog », à savoir la promesse largement répandue selon laquelle l'Afrique connaîtrait un développement technologique très rapide, du fait le continent n'a pas à franchir les étapes intermédiaires, l'on est en droit de se poser la question si le Lyssenkisme ne serait pas à l'œuvre. En effet, la théorie du « saut de grenouille » a tout pour séduire l'Afrique. Dans le domaine des télécoms, elle suppose que la démocratisation de la 3G et de la 4G permettrait à plusieurs centaines de millions d'Africains d'accéder à Internet sans que les pays n'aient à déployer l'ADSL ou la fibre. Grâce à l'accès à Internet démocratisé, des milliers d'Africains seraient en capacité de créer de la valeur, d'inventer des applications, de dupliquer des expériences entrepreneuriales qui ont fait leurs preuves ailleurs.

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Dans le domaine industriel, le même type de promesse est mis en avant avec la démocratisation de l'impression en 3D, qui permettrait la création de mini-unités industrielles technologiques partout sur le continent, créant ainsi des millions d'emplois, sans avoir à attendre d'hypothétiques investissements directs étrangers (IDE).

Enfin, dans le secteur clé de l'énergie, il est désormais une idée largement répandue en Afrique, selon laquelle l'accès aux toutes dernières technologies devrait permettre, à court et moyen termes, l'autonomisation rapide du continent pour continuer son développement. En bref, le saut de grenouille est censé libérer les énergies africaines à moindre coût et à moindre effort. Sur le papier, cette dynamique du « saut de grenouille », variante africaine du « grand bond en avant », occulte toutefois des défis majeurs qu'il convient de prendre en compte.

Trois dynamiques indispensables
En effet, la technologie, à elle seule, ne peut déclencher un cycle vertueux de création de valeur. Lorsque l'on analyse le succès hors du commun de la Silicon Valley, on se rend compte rapidement que c'est d'abord le croisement de trois dynamiques qui a créé cette unité de lieu et de temps que le monde regarde avec envie. La première dynamique est la proximité de centres de savoir parmi les plus performants au monde (Stanford, Berkeley), la seconde est l'accueil inconditionnel offert aux talents du monde entier (80% des travailleurs sont des immigrés), et la troisième est l'accès fluide au capital. Sur ces trois conditions, l'Afrique n'en remplit aucune aujourd'hui.

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L'accès au savoir et à la formation en Afrique est, au mieux inégal, ou au pire, dépendant de facteurs exogènes tels que la générosité de mécènes. La libre circulation des talents est, quant à elle, quasi-inexistante, à de rares exceptions près, à l'Est du continent. Enfin, l'accès au capital reste cantonné aux grands projets d'infrastructures et aux projets liés aux industries extractives. Dans ces conditions, il est indispensable qu'une prise de conscience collective africaine intervienne rapidement, afin que ces trois conditions indispensables au « saut de grenouille » soient adressées. Faute de quoi, la grenouille pourrait bien se transformer en escargot.
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