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Mariage d’enfants: Sô-Ava, la loge des petites épouses
Publié le jeudi 29 decembre 2016  |  La Nation




La commune de Sô-Ava se donne de plus en plus la triste réputation de zone de mariages des enfants. Ce phénomène assombrit l’horizon des victimes et porte un coup au développement du pays. Toutefois, la riposte s’organise vaille que vaille pour briser ce cercle vicieux.

Regard figé, sourire à peine visible, l’air abattu mais serein, Christiane B. fille unique de ses parents, n’est pas prête à oublier sa mésaventure. Avec une émotion palpable dans la voix, elle raconte son enlèvement avec beaucoup d’amertume. Alors qu’elle était élève en classe de 6e, elle a été contrainte d’abandonner les bancs suite à un mariage forcé. Pour cette fille de taille moyenne, âgée de 16 ans aujourd’hui (à peine 14ans au moment des faits), tout est parti d’un plan de kidnapping tracé par Romaric, l’un de ses amis, la contraignant ainsi à une vie de couple prématurée. Aussitôt venue dans sa belle-famille dont elle ne connaissait aucun membre auparavant, elle fut accueillie par des ‘’Zangbéto’’ (gardiens de nuit), pour lui souhaiter la bienvenue dans sa nouvelle cour et la contraindre de devoir par la même occasion d’y passer le reste de sa vie. Le lendemain soir, raconte-t-elle, la gorge serrée, trois hommes ont été envoyés dans sa chambre à coucher, qui la garda de force afin que son mari puisse satisfaire son désir sexuel. Ses cris de détresse et jérémiades sont restés vains jusqu’au moment où on lui servit une potion pour l’endormir, se souvient-elle. Après avoir retrouvé un peu de force, elle tenta de s’échapper en passant des nuits dans la brousse au bord du lac à Ahomey-Lokpo, un arrondissement de Sô-Ava, avant d’être rattrapée encore par ses bourreaux.

M. Z. n’a également pas connu une vie de jeune fille, âgée de 15 ans, elle a été menacée de mort du fait de son refus à un mariage à la fois forcé et précoce.
Après cet épisode, confie-t-elle, elle a également subi un enlèvement avant de faire les frais d’un envoûtement. Ce qui a failli lui coûter la vie, n’eut été la vigilance et la promptitude de ses parents, détaille-t-elle. Le supposé mari est un père de famille de deux enfants.
Les cas de Christiane et de Mahoussiédé ne sont que des exemples parmi tant d’autres. A Sô-Ava, les mariages des enfants demeurent encore une triste réalité. Laquelle contraint certaines filles au nomadisme forcé, à la fuite et à l’abandon des études ou de l’apprentissage.

Le Cps et l’Ifma

Si ces deux jeunes filles ont pu retrouver la quiétude aujourd’hui, c’est grâce à l’intervention de la brigade de Sô-Ava et l’implication du Centre de promotion sociale (Cps) de la localité qui ont pris le problème à-bras-le-corps.
Les cas qui parviennent au Cps connaissent une prise en charge psycho-sociale et juridique. Les victimes bénéficient également d’une réinsertion professionnelle. La prise en charge est assurée par l’initiative ‘’Institut des filles de Marie-Auxiliatrice (Ifma), un projet de l’Unicef piloté par les sœurs Salésiennes de Don Bosco. La thérapie marche progressivement mais se heurte parfois à certaines résistances dans la zone.
Dans la localité, les résultats espérés des campagnes de sensibilisation contre le phénomène sont encore mitigés. Les mariages d’enfants sont monnaie courante et s’organisent parfois avec la complicité des élus locaux. Nombreuses sont également les filles qui se proposent volontairement aux mariages, en raison de la pauvreté de leurs parents, apprend-on.
«Nous faisons énormément de sensibilisations, mais elles ne portent pas leurs fruits. C’est depuis la tête que tout est pourri», s’offusque Floriane Sohè, assistante sociale de Don Bosco sur le projet Ifma. A Sô-Ava, informe-t-elle, les mariages d’enfants sont un phénomène naturel, avec en tête de liste, l’arrondissement de Vêkky qui bat le record en la matière. Le nombre de cas qui bénéficient de l’accompagnement du Cps est estimé à trois par mois.
Pour le compte de cette année, renchérit Yvette Dayè Lalèyè, coordonnatrice de projet à l’Ifma, l’institut a déjà enregistré une soixantaine de cas en ce qui concerne le mariage des enfants. Au nombre des autres communes du Bénin, Sô-Ava brille malheureusement par cette réputation, insiste-t-elle.
Heureusement, sourit Floriane, il y a accalmie pendant ce trimestre, en raison de la crue dans la localité. Sinon, en période de fêtes et pendant les vacances scolaires, les cas de mariages d’enfants affluent.
En réalité, plusieurs paramètres entrent en ligne de compte lorsqu’on évoque le phénomène dans la zone. Si ce ne sont pas les règlements à l’amiable qui freinent l’élan des assistants sociaux, ce sont encore les plaignants eux-mêmes qui renoncent à la procédure de poursuite contre les auteurs de ces actes, une fois qu’elle est enclenchée, regrette l’assistante sociale de Don Bosco sur le projet Ifma. La tradition reste également très ancrée dans les habitudes. A cela s’ajoute la corruption de certains agents sur le terrain. Pire, dénonce-t-elle encore, les mariages d’enfants sont consommés de façon incestueuse. A Sô-Ava, tout se passe comme si les acteurs de protection des enfants interviennent dans un autre monde.
Déjà à l’âge de 10 ans, la jeune fille est considérée comme une pomme suffisamment mûre pour être croquée, renseigne-t-on. Et les cas qui doivent servir d’exemples font long feu. La misère ambiante et la pauvreté aidant, tout se joue sans complexe, comme si la femme est un objet commercial et serviable à merci. «Ce que nous dénonçons à cor et à cri est plutôt applaudie ici», s’étonne l’assistante sociale.

Complicité des autorités

Le deuxième adjoint au maire, Bienvenu Houssou, chargé des Affaires sociales à la municipalité de Sô-Ava, n’entame pas pour autant la complicité reprochée aux autorités de la zone. « Nous sommes des politiques après tout. Lorsqu’une situation du genre arrive, nous portons notre manteau de politicien pour calmer d’abord les mécontentements ; c’est après que nous allons sensibiliser les auteurs de ces actes », tempère-t-il. Selon lui, cette démarche vise à favoriser la paix et le développement de la commune.
A mesure que les élus locaux entrent en jeu pour soit disant calmer les ardeurs, le phénomène accroît de plus belle. « Il y a des moments où nous sommes débordés par l’enregistrement des cas de mariage d’enfants », enfonce Floriane Sohè.
Toutefois les autorités municipales affirment être très touchées par ce phénomène qui hypothèque l’avenir des filles. « Etant donné que les gens sont durs d’oreilles, nous réduisons de plus en plus notre implication pour laisser les acteurs jouer convenablement leur rôle », apaise-t-il, ajoutant que la mairie est à pied d’œuvre pour en finir avec cette pratique très déshonorante pour la commune.
Au nombre des mesures mises en place pour enrayer le fléau, le maire de la localité, Léoné Sergio Hazoumè, met l’accent sur les sensibilisations à l’endroit des leaders religieux et chefs traditionnels. Sauf que cette démarche tarde encore à prospérer.
En attendant, le Centre de promotion sociale ne démord point et se bat avec ‘’ses ressources limitées’’ pour assurer sa mission. « Avec les moyens dont nous disposons, nous n’arrivons pas à assurer la prise en charge totale des victimes », ajoute Adrien Hounsou, assistant social au Cps. Cela contribue malheureusement à une sélection des dossiers alors que le phénomène perdure du fait notamment des pesanteurs sociales, se désole-t-il.
Le respect de la tradition constitue a priori une sage décision. Mais privilégier les droits des enfants n’est pas incompatible avec la tradition. Si l’on part de la logique selon laquelle, un cas de violence en est un de trop, la situation des filles victimes de mariages précoces et forcés à Sô-Ava doit énormément préoccuper. « Une fille bien éduquée fera plus le bonheur de sa famille et de sa communauté demain », conçoit le maire de Sô-Ava.
Les acteurs de la lutte contre ce fléau fondent leur espoir sur la vulgarisation de la Loi N°2015-08 du 08 décembre 2015 portant Code de l’enfant en République du Bénin pour faire reculer le mariage forcé dans la cité lacustre de Sô-Ava. Ce texte de lois qui fait la part belle aux enfants promet une répression sans merci contre toutes les formes d’abus et de violences dont ils sont victimes.


Maryse ASSOGBADJO
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