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Art et Culture

Patrimoine: Le Vodoun et le minimum social commun
Publié le jeudi 16 fevrier 2017  |  La Nation
Célébration
© 24 heures au Bénin par DR
Célébration de la fête des Vodoun à Zogbo (Cotonou) et à Ouidah




« Les appréciations négatives que nous avons du cultuel Vodoun doivent céder place à une appréciation positive du culturel que véhicule le Vodoun »

Le Vodoun, est l’expression d’une forme de spiritualité qui nous vient du fond des âges. Certains chercheurs soutiennent que ses origines remontent à l’Egypte ancienne. Dans leurs manifestations, les vodouns sont souvent liés aux quatre éléments à savoir : la terre, l’air, l’eau et le feu. La terre, elle-même vodoun et mère nourricière est représentée par Aïzan et Sakpata ; l’air, souffle porteur de vie, est du ressort du vodoun Dan ; l’eau quant à elle relève des vodouns Ninsouhoué et des Tohossou tandis que le feu, source d’énergie, est portée par le vodoun Hêbiosso.

En résumé, dans les sociétés traditionnelles de culture vodoun, on croit en l’existence d’un seul Dieu (Mahou, Oluwa,…) créateur de toutes choses, tout ce qui est visible et tout ce qui est invisible. C’est donc ce Dieu unique qui a créé aussi les Vodouns et qui leur a confié la mission de régenter l’existence des hommes pour les obliger à plus de discipline et à plus de crainte de Dieu, parce qu’il savait que sans une force de coercition de cette nature, les hommes ne respecteraient pas la vie. Ils utiliseraient mal la liberté qu’il leur a donnée de jouir des biens de la nature. Et, ce serait alors la loi de la jungle : les plus forts allaient manger les plus faibles en toute impunité. En fon, on dit : « Nou dé non blè yokpovou o avogloè wè é non non », ce qui signifie: « Ce dont l’enfant doit avoir peur, il faut le lui cacher ». Et l’on ajoute « nù é mon non dayihoun àn on non dayihoun an ». « On ne doit pas s’amuser avec la chose sacrée ».
Le vodoun est un mystère, il doit le rester pour être efficace dans son rôle de protection des hommes et de la vie. Ceux qui comprennent ce mystère, le doivent à leur initiation : ce sont les Vodounsi « initiés au vodoun ». Le reste, tenu à l’écart de ces secrets, est confiné dans l’ignorance, on les appelle les Ahé, ’’profanes’’. Si les initiés au vodoun constituent « l’élite » de la société, les non- initiés en sont la masse « des ignorants et des incultes ».
Ainsi, dans la culture vodoun, l’organisation sociale se présente comme une pyramide au sommet duquel se trouve le roi, qui est le chef suprême de tous les couvents vodoun. Ensuite viennent les chefs de culte vodoun, les vodoun-non et les adeptes, les vodoun-si et enfin, en bas de la pyramide tous les non-initiés au vodoun. La structure-type des collectivités familiales traditionnelles, elle aussi, est à l’image de cette organisation sociale. Par exemple, chez les Fon, le chef de collectivité (Daa) est épaulé dans sa fonction par le collectif des initiés du Vodoun de la famille qui comprend entre autres les Tangninon, le Vigan et le Salanon ; c’est à eux que reviennent l’organisation et la gestion des cultes rendus aux ancêtres et de toutes les cérémonies. Il s’agit de « donner à boire et à manger» aux ancêtres, de recueillir leurs avis à travers la pratique du vi-dida. Souvent, c’est à partir des résultats énoncés par ces initiées, les Tangninon, que le chef de collectivité prend sa décision finale. Le chef de collectivité ne peut donc rien faire dans la gestion des membres de la famille sans l’accord, voire l’autorisation des Tangninon et du collectif des initiés de la famille. Toutefois, des entorses graves sont de plus en plus portées à ces principes pour diverses raisons.

Un trésor peu exploité

Ce qui fait la richesse du Vodoun est sa forte implication dans plusieurs pratiques sociales nécessaires à la protection de la vie de la communauté : toutes les recettes de notre pharmacopée ont été d’abord expérimentées dans les couvents avant d’être généralisées. Toutes les forêts rendues sacrées se sont révélées d’une utilité écologique et environnementale. Il en est de même de certains cours d’eau et plans d’eau que les initiés Vodoun déclarent interdits à la pêche pendant certaines périodes de l’année : il s’avère que c’est dans ces zones que se reproduisent les poissons. Le Vodoun est pour l’adepte une école.
Les adeptes du Vodoun prouvent par leurs comportements qu’ils ont reçu des enseignements sur une philosophie qui leur confère la perception de l’homme dans ses multiples dimensions et que la méthode d’enseignement utilisée à cet effet est portée par des pratiques esthétiques. C’est la quête permanente du beau qui, dans la pédagogie de la culture Vodoun, permet de fixer les savoirs, les savoir-faire et le savoir-être chez les adeptes. Par exemple, pour faire comprendre une valeur, on l’enseigne par des chants ; pour expliquer le bien-fondé de telle ou telle pratique à la communauté, on compose une chanson que la communauté s’approprie et mémorise. Mieux, une fois la chanson sue, il est tout aussi important de bien en maîtriser le rythme d’exécution qui débouche toujours sur la musique instrumentale et des pas de danse. Par cette option pédagogique, le Vodoun s’inscrit comme l’inspirateur des pratiques culturelles.
Cependant, la primauté chez les vodouns, c’est d’être des représentations voire des incarnations du sacré. Les vodouns ‘’Lissa’’, ‘’Sakpata’’, ‘’Ninsouhoué’’ et tous les autres sont sacrés. Mais quoi que sacrés, tous ces vodouns ont l’obligation liturgique de venir danser sur la place publique pour les profanes. Même les ‘’Egoungoun’’, représentations des esprits des ancêtres défunts doivent revenir danser pour la réjouissance, voire la jouissance des profanes. Ce que nous pouvons exploiter dans le Vodoun, c’est donc ce côté dispensateur de prestations artistiques, les formes d’expression esthétique dont il gratifie les profanes sur la place publique. Ma mère, cette vodounsi très méticuleuse, faisait son petit commerce. Avec ses économies, elle prenait soin de ses enfants, de son mari, de ses parents… et utilisait une partie de son épargne pour ‘’habiller’’ dignement ‘’son’’ vodoun au moment opportun.
Les pratiques vodouns instaurent une émulation /compétition entre les adeptes du Vodoun qui se livrent alors consciemment à une compétition de beauté, d’esthétique sur tous les plans (costume, chant, danse) lors de leurs prestations vodouns qui durent généralement une à deux semaines. Après, ce trésor est précieusement rangé en un lieu sûr. L’étude de cette esthétique vodoun révèle tout un ensemble de symbolismes : symbolisme des couleurs et des formes, symbolisme des gestes et gestuelles corporelles… Il y a également l’esthétique des instruments qui participent de la danse : les bâtons ou les récades sculptées (mankpo), les chapeaux décorés, les bijoux, les éventails, les queues de cheval… Les artistes plasticiens exploitent déjà abondamment les symbolismes vodouns pour leurs productions artistiques.
Dans les pays occidentaux on va à l’Opéra voir des spectacles de bonnes factures conçus autour des œuvres de fiction. L’Opéra de Pékin met en scène des mythes chinois et se vante d’être « la vitrine de la Chine ». C’est de la même façon qu’on va à ces Opéra pour se divertir et se cultiver que les profanes béninois vont admirer les spectacles vodouns. Ce sont toujours de très jolis spectacles, très bien préparés et très bien exécutés. On pourrait se demander si les ‘’théologiens vodouns’ n’ont pas érigé ces prestations en obligations rituelles pour présenter les acteurs vodounsi comme des modèles de perfection dans l’expression artistique à imiter par l’ensemble de la société. Sur le plan architectural, toutes les concessions des collectivités familiales des villes où s’exprime la culture vodoun (Abomey, Ouidah, Kétou, Allada, Porto-Novo, Athiémè, Azovè…) étaient organisées à l’origine de manière à avoir devant la maison (xwé) une grande place, une esplanade (sato) destinée à accueillir les spectacles vodoun lors des cérémonies annuelles (xwetanu). Au fond de cette esplanade, il y avait toujours le temple vodoun ; il faut s’accroupir et même ramper pour y pénétrer. Mais, seuls les initiés pouvaient y avoir accès. C’est donc sur ces esplanades ombragés que s’organisaient les majestueux spectacles vodouns qui attiraient la population, les touristes et des curieux.
Dans certains cas, le spectateur peut être autorisé à photographier des scènes. Une bonne organisation du tourisme devrait permettre à notre pays de tirer des revenus substantiels des touristes qui pourraient acheter en souvenir des objets d’art en marge de ces spectacles. L’essor de notre artisanat dépend donc en partie de la place que nous accorderons aux manifestations vodouns. Nous avons alors intérêt à changer notre perception du Vodoun pour que les appréciations négatives que nous avons du cultuel vodoun cèdent place à une appréciation positive des aspects culturels que véhicule le Vodoun.

Entre le cultuel et le culturel

La différence entre le cultuel et le culturel dans le Vodoun est donc essentielle, voire fondamentale. De nos jours, nos églises sont pleines de fidèles (aussi bien les églises catholiques que les églises ou temples évangéliques) parce que l’habitude y est désormais prise de chanter et même de danser sur des airs de nos traditions locales. Les messes et les célébrations solennelles sont agrémentées par des chansons qui sont tirées des cultures musicales béninoises : Adjogan, Hanye, Houngan, toba, agbadja etc.
Tous ces genres de musique sont empruntés à la tradition culturelle locale. Le Hanyé par exemple est un genre musical généalogique ; les panégyriques y sont récités, que ce soit à la cour royale ou dans les familles pour retracer la généalogie. Et, à chaque cérémonie annuelle, l’on a l’obligation dans le rituel de chanter un certain nombre de chansons hanyé : cela permet de ne pas perdre la chronologie de ceux qui ont dirigé la famille ou le royaume. Chaque fois que le nom d’un Ancien est évoqué, on rappelle l’essentiel de ce qu’il a réalisé pour la collectivité. Nous avions alors compris que ce genre hanyé n’avait rien de ‘’diabolique’’ et qu’on pouvait bien l’introduire à l’église pour chanter la gloire de Dieu.
Depuis lors, le rythme Hanyé a connu un développement heureux dans l’Église catholique depuis les années 60. Aujourd’hui, d’autres genres de musiques traditionnelles comme le Sèhouégnon, Adjogan, Alluwassio sont venus s’y ajouter. A la faveur du Concile Vatican II, une évolution est donc survenue et qui a été encouragée par les différents Papes. Cette dynamique est encore plus prononcée aujourd’hui et l’on s’en félicite.
Au même moment, et parallèlement, le Vodoun, grâce à la laïcité inscrite dans la Constitution du Bénin, bénéficie de la tranquillité que la République offre à chacune des religions que pratiquent ses citoyens. Les dirigeants du Bénin exercent leur pouvoir de faire respecter la laïcité de l’Etat. Cela veut dire que la République accepte et protège toutes les formes d’expression religieuses et qu’elle veille à leur cohabitation pacifique. En clair, les vodounsi s’adonnent à leurs cultes de leur côté, les chrétiens aussi se livrent à leurs pratiques religieuses, dans leurs diversités affichées, pendant que les musulmans adorent Allah en toute quiétude. C’est cela la laïcité de l’Etat.
En tant que chercheur dans le domaine des cultures béninoises, je pense que nous n’arrivons pas encore à tirer objectivement toutes les leçons des pratiques éducatives de la culture vodoun.
En effet dans cette culture traditionnelle, le chant et la danse, (deux formes d’expression esthétiques) portent et supportent toute la démarche pédagogique et andragogique dans le processus de l’éducation de l’adepte au savoir, au savoir-faire, au savoir-être et même au savoir-faire-savoir ; ce qui met ‘’l’apprenant’’ en situation d’appropriation de connaissances par ses cinq sens, son esprit et tout son corps à la fois, en somme la totalité de son être physique et mental et dans la détente.
C’est peut-être cette démarche holistique qui explique le rôle dominant que la culture vodoun joue dans notre société. En effet, on se rend compte que ce sont les pratiques vodouns qui sont à la base et qui imprègnent la substance de nos pratiques culturelles, ordinaires : modes vestimentaires, gastronomie, pharmacopée, littératures orales ; etc. Il faut s’en convaincre et savoir « donner à César ce qui est à César » ; mais reconnaître humblement cela, ce n’est pas lancer un appel au syncrétisme religieux… Loin s’en faut.

Des enseignements

Ce que le Vodoun nous enseigne aussi, à nous, les adeptes des religions révélées, c’est la tolérance. Sur le plan social, le Vodoun est une religion initiatique strictement personnelle et tolérante : aucun adepte de ‘’Sakpata’’ ne viendra faire la cour à quelqu’un pour qu’il adhère à ‘’son vodoun’’ ‘’ Sakpata’’ ou à un autre vodoun : la culture vodoun ignore le prosélytisme religieux. Quand les premiers missionnaires étaient venus sur la ‘’côte des esclaves’’, ils avaient dit aux autochtones : « Nous ne sommes pas des adeptes de vodoun, nous sommes des chrétiens catholiques », ou alors « Nous sommes des chrétiens protestants ». Les autochtones, déjà adeptes de vodoun, leur avaient alors permis de prendre place à Ouidah à côté de leurs temples. Ces premiers missionnaires étaient donc très intelligents ; ils avaient sympathisé avec les adeptes du vodoun qui les avaient acceptés au point de les aider à construire la Basilique de Ouidah non loin de leur ‘’Temple de python’’. Les deux lieux de culte se font face encore aujourd’hui. C’est là un bel exemple de tolérance religieuse que nos populations béninoises de pratique vodoun ont donné et qu’elles continuent de donner au monde entier.

Elles savent donc que l’intolérance est exclusion et négation de l’autre, mais que la tolérance religieuse est au contraire l’acceptation de l’autre dans sa différence, ce qui constitue une valeur cardinale pour le « vivre ensemble ».
On se demande souvent pourquoi les Béninois, malgré toutes leurs divergences politiques, et les crises qu’elles engendrent, ont toujours fini par trouver le chemin de la paix autour d’un consensus national. La disposition à l’ouverture et à la tolérance inscrite au cœur de cette culture vodoun, la valorisation de l’exogamie et le brassage de nos populations pourraient en être la cause. Dans la culture vodoun, l’on pense aussi que la vie de l’homme est sacrée et que la nature humaine est tout autant sacrée, les morts devenant des vodoun qui continuent de participer à l’ordre social. Aussi, le spirituel doit-il toujours l’emporter sur le matériel.

Les adeptes du vodoun sont, en outre, convaincus que la voie qui conduit au savoir-être et au spirituel relève d’abord de l’intuition et non de la raison ; de même que la foi est une affaire de croyance et non de raison, de rationalisme.
L’acquisition du savoir-être s’opère donc prioritairement par la voie de la subjectivité que balisent les chants et les danses : ici on corrige les mœurs en chantant et en dansant, comme jadis, l’enseignement des Jésuites corrigeait les mœurs par le théâtre scolaire. N’est-ce pas parce que notre Ecole a évacué « l’Education nationale » pour ne conserver que l’Enseignement (et des ‘’ordres’’ d’enseignement) que nous avons, au bout de nos cycles scolaires et universitaires, ‘’la science sans conscience’’ dont la conséquence directe sur notre société est cette économie de prédation animée par l’extraversion culturelle et le culte du paraître ? La question mérite d’être posée.
Il faut nous résoudre à mettre l’accent sur l’Education nationale qui promeut nos cultures béninoises en montrant que, les aspects culturels du vodoun véhiculent une esthétique et même une quête permanente des formes d’esthétiques achevées qui invitent/ incitent à privilégier le savoir-être de bons Béninois. Malheureusement, toutes ces productions de notre littérature orale sont inconnues de nous et tendent à disparaître.

C’est pour cette raison que le Conservatoire d’Abomey a été créé et qu’il a été dénommé « Conservatoire de danses cérémonielles et royales d’Abomey ».Cette institution s’est donnée comme objectif de collecter, d’archiver et de promouvoir la quintessence de toutes productions artistiques du Bénin, avec un accent particulier sur les chants et les danses, véritables archives vivantes de notre histoire.
Je nous invite alors à être fiers de nos cultures et à tout mettre en œuvre pour les révéler au monde dans ce qu’elles ont d’original, d’esthétique et de profondément humaniste.

Par Albert Bienvenu AKOHA*

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