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Plaidoyer pour une vie carcérale humanisée: De la nécessité de donner droit à la dignité dans nos prisons
Publié le lundi 27 fevrier 2017  |  La Nation
Akpro-Missérété
© Autre presse par DR
Akpro-Missérété : le TPIR s’inquiète pour la sécurité de ses prisonniers




La situation carcérale au Bénin reflète une réalité insoutenable. Les femmes et les mineurs qui y séjournent en payent doublement le prix du fait de leur vulnérabilité. Les pouvoirs publics doivent parer au plus pressé pour rétablir quelque peu la dignité humaine.

A travers ces lignes, nous nous inscrivons dans une dynamique de plaidoyer qui vise à attirer l’attention sur notre rôle en tant que citoyen à encourager et à accompagner l’Etat dans ses initiatives pour l’humanisation effective de nos centres de détention.

Elle est dure la vie carcérale! Mais reconnaissons-le, la prison est nécessaire pour décourager et nous protéger des individus qui menacent notre quiétude et qui ne respectent pas la loi de la cité.
Ainsi la prison lorsqu’on l’évoque donne des frissons. Elle fait assurément peur ! La pire chose à souhaiter à son ennemi est de se retrouver en prison tant le séjour dans l’univers carcéral est redouté.
La prison devrait pourtant être le lieu par excellence de la rédemption, lieu qui doit nous conscientiser à ne jamais commettre une faute pour nous y retrouver. Le prisonnier se réjouit de retrouver la liberté perdue et veut reprendre une vie meilleure. Hélas ! Une fois libéré, il devient encore soucieux parce qu’il sait que dehors il ne sera pas accueilli, mais stigmatisé par une société qui oublie trop vite que la vie en prison donne l’opportunité d’un vrai départ lorsqu’on réussit à en sortir vivant et sans séquelles.
Donner la possibilité à chaque détenu de vivre dignement en prison, d’y survivre et d’en sortir vivant, résolu et déterminé, c’est le défi à relever aussi bien par l’Etat que par nous tous qui jouissons encore de notre liberté.
S’il est vrai que lorsque l’Etat prive une personne de sa liberté, le fait qu’il contrôle la situation lui confère non seulement une responsabilité accrue de protéger ses droits. Il apparaît impérieux pour chacun de nous, en tant que citoyen, de porter la voix de toute personne détenue et d’œuvrer inlassablement aux côtés de l’Etat à ce que les règles minima pour le traitement des détenus, révisées et adoptées en tant qu’ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus en décembre 2015, soient effectivement mises en œuvre.
Encore appelées règles Nelson Mandela, les règles minima adoptées par le premier Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants en 1955, constituent un ensemble de normes minima universellement reconnues pour la gestion des établissements pénitentiaires et le traitement des détenus.
A l’instar des organisations non gouvernementales internationales à travers leurs sections locales qui portent déjà la voix des personnes détenues, nous devons nous aussi nous convaincre que si les « Règles Nelson Mandela» rendent hommage à l’œuvre de l’illustre homme d’Etat disparu en 2013, elles ont été surtout adoptées pour sensibiliser l’opinion au fait que les détenus continuent de faire partie de la société et reconnaître l’importance particulière du travail social accompli par le personnel pénitentiaire .

Triste constat

En janvier 2017, le ministre de la Justice et de la Législation, Joseph Djogbénou, a fait devant les députés, le triste constat de «l’état de putréfaction sociale» dans lequel se trouvent les maisons carcérales au Bénin. Le ministre de la Justice va laisser entendre que la situation ne s’est guère améliorée. Mieux, qu’il y a urgence d’opérer des réformes, car « une ardoise de 2 milliards de Fcfa de dette alimentaire que l’Etat doit à ses prestataires empêche d’offrir deux repas chauds aux prisonniers par jour…., Mieux la prise en charge sanitaire est quasi inexistante faute de plateau technique…., ».
Il a révélé en ce moment que la population carcérale est de 7179 détenus dont 2429 condamnés et 4550 en détention provisoire. A la date du 7 février, les chiffres sont en baisse. Les statistiques carcérales nous révèlent un total de 6479 détenus dont 2442 condamnés et 1838 en détention préventive dans toutes les prisons civiles du Bénin. Ce qui dénote quelque peu de l’effort du Bénin de diminuer sa population carcérale.
Rappelons que la République du Bénin a adhéré à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Cat) le 12 mars 1992 (convention publiée au Journal officiel du 5 septembre 2006) et son protocole facultatif (Opcat) le 20 septembre 2006.
En application des articles 1er et 11 du Protocole facultatif, une délégation du Sous-comité pour la Prévention de la Torture (Spt) a effectué une visite initiale au Bénin, du samedi 17 au lundi 26 mai 2008 puis une mission de suivi du 11 au 15 janvier 2016.
Selon le sous-comité, il y a lieu pour « le Bénin de prendre immédiatement des mesures pour lutter contre la surpopulation carcérale, alléger les souffrances des détenus et améliorer les conditions générales de détention ».
Si ce triste tableau peut nous écœurer, intéressons-nous un moment aux conditions de vie toutes aussi préoccupantes des enfants dans nos centres de détention.

La vie des détenus mineurs dans nos prisons

Dans une enquête réalisée avec le soutien du ‘’Programme Sida de Fair’’ et publiée sous le titre « Univers carcéral au Bénin: Enfants de détenues, destin de prisonnier » publié le 20 septembre 2013 dans le quotidien l’Evénement précis , le journaliste Jean Claude Dossa nous ouvre les yeux en ces termes : « …Dans les prisons du Bénin, une centaine d’enfants de zéro à cinq ans mènent une vie de « prisonniers de fait ». Présents dans l’univers carcéral en raison de la détention de leurs mères, ils paient un lourd tribut de leur filiation et assistent impuissants au déni de leur innocence…».
Cette réalité demeure la même à ce jour. L’univers carcéral du Bénin enregistre aujourd’hui une centaine de mineurs dont 98 garçons et 2 filles.
Le 20 janvier 2016, en tant qu’Etat Partie à la Convention relative aux Droits de l’Enfant (Cde), le Bénin a fait l’objet d’un examen périodique de la part du Comité des Nations Unies pour les droits de l’Enfant qui, en février, a fait une déclaration dans laquelle elle constate « la persistance des actes de torture et de mauvais traitements à l’encontre des détenus mineurs…».
Le Comité révèle ainsi que « les recommandations faites il y a 10 ans au Bénin n’avaient pas été correctement mises en œuvre, car dans certaines prisons disposant d’un financement insuffisant, les mineurs sont détenus avec des adultes et exposés de manière systématique à des violences physiques et psychologiques ».
Des entretiens menés jusqu’en 2015 par l’Organisation Mondiale Contre la Torture (Omct) et l’Association partenaire, Enfants Solidaires d’Afrique et du Monde (Esam), de nombreux jeunes incarcérés ont affirmé « devoir payer leurs codétenus adultes afin d’obtenir une place pour dormir ; lorsqu’ils n’en avaient pas les moyens, ils étaient contraints de coucher dans les toilettes… ».
Cette situation viole l’Article 17 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant qui oblige les Etats, à son alinéa b, de « veiller à ce que les enfants soient séparés des adultes sur les lieux de détention ou d’emprisonnement ».
C’est donc à juste titre que le Comité des droits de l’enfant a invité le Bénin dans ses observations finales à prendre des mesures. Au nombre de celles-ci, il s’agit de favoriser dans la mesure du possible des solutions autres que celles de la détention, telles que le recours à des moyens extrajudiciaires, la mise à l’épreuve, la médiation, des propositions d’orientation ou un travail d’intérêt général en veillant à ce que l’incarcération reste le dernier recours pour une durée aussi courte que possible et qu’elle fasse régulièrement l’objet d’un réexamen en vue d’y mettre fin. Le Comité recommande que si l’incarcération est inévitable, il faut veiller à ce que les mineurs ne soient pas placés avec des adultes et que leurs conditions de détention soient conformes aux normes internationales, y compris en ce qui concerne l’accès à l’éducation et aux services de santé.
Cette situation préoccupante a interpellé aussi des acteurs de la Société civile venus de la sous- région qui se sont réunis pour accompagner l’Etat dans son rôle de protection du droit à la vie et du droit à la dignité des enfants en conflit avec la loi.
Réunis à Cotonou, les 27 et 28 septembre 2016, dans le cadre du Séminaire régional organisé par le Bureau international catholique de l’enfance (Bice) sur «les Médiations pour une justice réparatrice et la réinsertion des enfants en conflit avec la loi en Afrique francophone », les participants ont fait des recommandations non négligeables.
En effet, ils ont invité d’abord l’Etat à adopter une politique familiale protectrice et de soutien à la parentalité, notamment en prévoyant une assistance matérielle et financière aux parents en grande difficulté. Ils ont ensuite insisté sur le renforcement des familles pour qu’elles puissent accompagner correctement leurs enfants et ainsi limiter les passages à l’acte délictuel et le risque de récidive. Enfin, ils ont mis l’accent sur la médiation pénale en faveur des enfants en conflit avec la loi qui doit permettre à nos États d’honorer leurs obligations au titre des règles et des normes régionales et internationales relatives à la protection des droits de l’enfant et à l’administration de la justice juvénile.
Les conditions de vie des enfants des mères incarcérées (cas des enfants qui ont suivi leurs mères en prison et ceux enfants qui y sont nés) ont été également évoquées.
Malheureusement, un véritable drame continue de se jouer dans nos prisons et nous amène à rappeler à nos gouvernants ce à quoi les exhortent la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant relatives aux enfants des mères emprisonnées en son Article 30 qui énonce : «les États parties à la présente Charte s’engagent à prévoir un traitement spécial pour les femmes enceintes et les mères de nourrissons et de jeunes enfants qui ont été accusées ou jugées coupables d’infraction à la loi pénale. Les Etats doivent s’engager en particulier à : a) veiller à ce qu’une peine autre qu’une peine d’emprisonnement soit envisagée d’abord dans tous les cas lorsqu’une sentence est rendue contre ces mères ; b) établir et promouvoir des mesures changeant l’emprisonnement en institution pour le traitement de ces mères ; c) créer des institutions spéciales pour assurer la détention de ces mères ; d) veiller à interdire qu’une mère soit emprisonnée avec son enfant ; e) veiller à interdire qu’une sentence de mort soit rendue contre ces mères ; f) veiller à ce que le système pénitencier ait essentiellement pour but la réforme, la réintégration de la mère au sein de sa famille et la réhabilitation sociale.
Face à cette situation qui doit nous interpeller que pouvons-nous faire ? (A suivre)

*** Membre Expert du Groupe de Travail sur la peine de mort de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (Cadhp)
Président de l’Institute for Advocacy in Africa (IAA)

Par Isidore Clément CAPO-CHICHI
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