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Entretien avec A. Raïmi V. P. Paraïso, président de l’Ong Alto Afrique-Enfants « Des milliers d’enfants béninois sont victimes de la traite… »
Publié le lundi 27 fevrier 2017  |  Fraternité




Le fléau de la traite des êtres humains en général, des enfants et des femmes en particulier continue de sévir en Afrique. Dans un entretien accordé à votre journal, Abdou Raïmi Vincent Paka Paraïso, président de l’Ong Action pour la lutte contre la traite des enfants de l’Afrique de l’Ouest et du Centre (Alto-Afrique Enfants) présente un tableau inquiétant qui démontre que des milliers d’enfants Béninois sont victimes de la traite des êtres humains aussi bien en Afrique de l’Ouest qu’en Afrique centrale et plus particulièrement au Congo-Brazzaville.
Parlez-nous un peu de votre association
L’Ong Alto Afrique-Enfants est une organisation non gouvernementale créée en République du Congo-Brazzaville le 02 janvier 2006 et plus précisément à Pointe-Noire. Il s’agit d’une Ong qui travaille dans la lutte contre la traite des êtres humains en général et la traite des enfants et des femmes de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale en particulier.

Comme l’indique la dénomination de l’Ong, vous intervenez aussi bien en Afrique de l’Ouest qu’en Afrique Centrale. Alors, quel est aujourd’hui, l’état des lieux dans chacune de ces deux régions ?
Quand on prend l’Afrique centrale, on peut citer le Congo où nous sommes basés pour dire que dans ce pays, trois villes à savoir Pointe-Noire, Brazzaville, et Dolisie focalisent notre attention. A Pointe-Noire, la traite des enfants est à grande échelle. Le diagnostic fait par l’Unicef en 2008 a démontré qu’il y a 1800 enfants au Congo-Brazzaville qui sont victimes de la traite. Les ressortissants béninois représentent 90% de ces 1800 enfants. Des milliers d’enfants Béninois sont victimes de la traite des êtres humains au Congo-Brazzaville et ailleurs. Depuis 2006 que nous existons, nous procédons régulièrement à des opérations d’identification, de dépistage de certaines maladies, de prise en charge, de réinsertion et de rapatriement de ces enfants vers leurs pays d’origine selon les normes et principes directeurs de l’Organisation des Nations Unies.

Vous parlez du Congo-Brazzaville. Est-ce que d’autres pays de l’Afrique centrale comme la Guinée Equatoriale et le Gabon ne sont pas concernés par la traite des enfants Béninois quand on sait qu’il y a une forte communauté de Béninois dans chacun de ces pays ?
Pour ce qui est du Gabon, il nous arrive d’aller dans ce pays pour s’enquérir de la situation des enfants. Nous travaillons même avec une Ong dirigée par une Béninoise dans le pays ; une Ong qui œuvre pour la prise en charge des enfants victimes de la traite. Entre le Congo-Brazzaville et le Gabon, le système de représailles contre les trafiquants est un peu différent. Au Gabon, c’est carrément la police qui se met sur le terrain pour traquer les faussaires et récupérer les enfants tandis qu’au Congo-Brazzaville, c’est l’Ong Alto Afrique-Enfants qui fait le travail. C’est d’ailleurs la seule Ong de mise en œuvre de la politique de lutte contre la traite des enfants dans ce pays. C’est un phénomène nouveau au Congo, contrairement au Gabon qui est dans la lutte depuis plusieurs années. Mais il faut reconnaître qu’il arrive des moments où nous sommes accompagnés par la police congolaise pour éviter les dérapages. En ce qui concerne la Guinée-Equatoriale, nous avons juste fait un tour dans ce pays où l’opération d’identification des enfants et des femmes victimes de la traite n’a pas encore commencé.

Et en Afrique de l’Ouest, qu’est-ce que vous faites ?
En Afrique de l’Ouest, nous travaillons à partir du Bénin pour toucher les autres pays de cette partie du continent africain. Nous sommes en partenariat avec la Brigade de protection des mineurs au Bénin. Nous ramenons très souvent au Bénin les enfants victimes de la traite selon la volonté de ces enfants. Ceci, dans le respect des accords bilatéraux entre la République du Congo et le Bénin. Une fois les enfants ramenés au Bénin, on les confie à la Brigade de protection des mineurs. Le suivi des enfants est à la charge de l’Etat béninois pour une réinsertion durable.

Des enfants Béninois victimes de la traite des êtres humains, selon vous, qu’est ce qui peut expliquer cette situation ?
D’après nos études, nous avons constaté que c’est d’abord la misère qui pousse des parents à confier leurs enfants à des proches qui, malheureusement, les livrent à des pratiques de traite. Il y a aussi les promesses mielleuses de certaines personnes malintentionnées qui viennent promettre aux parents ici au Bénin un eldorado qui se trouverait dans d’autres pays. Mais la réalité est que ces enfants, pour la plupart, deviennent soit des esclaves sexuelles, soit des enfants placés dans des foyers où on les maltraite.

A quand remonte votre dernière action dans le cadre des activités de l’Ong Alto Afrique-Enfants ?
Je dirai qu’il y a deux récentes actions. Il y a environ 4 semaines, nous avons rapatrié une Béninoise de 16 ans avec l’appui du Consul honoraire du Bénin à Pointe-Noire. Malheureusement, cette fille que nous avons prise en charge et qui est rentrée au Bénin avec une somme d’argent de 800.000 Fcfa s’est vu escroquer par des proches qui ont dilapidé l’argent. Pire, quelques jours plus tard, nous avons appris que la même fille a été retournée au Congo par un homme qui l’a mariée à son fils. Pour rester collés à nos textes, nous avons été obligés de rattraper cette fille au Congo où nous avons fait arrêter l’homme avec qui on l’a mariée. Nous venons de la ramener au Bénin avec une autre fille de 11 ans. Aujourd’hui, les deux se trouvent dans les mains des responsables de la Brigade de protection des mineurs au Bénin. Entre temps, des plaintes ont été déposées contre tous ceux qui sont complices de la maltraitance de ces deux filles.

Est-ce que tout ceci ne pose pas un problème de suivi des enfants victimes de traite et récupérés ?
Tout à fait ! Mais j’interpelle quand même la conscience des autorités béninoises. Le Congo est loin du Bénin. Quand nous ramenons les enfants, je pense qu’il revient aux autorités béninoises de prendre des mesures pour leur suivi. Mais je vous assure qu’il nous arrive d’effectuer des descentes inopinées pour voir la situation actuelle des enfants que nous avons récupérés. C’est le cas de 3 enfants que nous avons récupérés, que nous avons retournés à Comè et que nous comptons aller voir avant de repartir au Congo.

En dehors du Bénin, est-ce que vous avez l’impression que les autorités des autres pays dans lesquels vous intervenez sont conscientes de la gravité de la situation que constitue la traite des enfants ?
Dans tous les pays dans lesquels nous intervenons à savoir le Bénin, le Gabon, le Congo, le Nigeria, le Togo, pour ne citer que ceux-là, nous ne pouvons pas dire que les autorités politico-administratives ne sont pas conscientes de la situation de la traite des êtres humains en général et celle des enfants et des femmes en particulier. Le seul problème est qu’il reste encore beaucoup à faire. Moi, j’ai l’habitude de dire que pour savoir si un pays va bien, il faut d’abord voir la situation des enfants de ce pays. Nous souhaitons que ces autorités fournissent encore plus d’efforts pour lutter contre la traite des êtres humains parce que la situation est alarmante.

Que pensez-vous qu’il faille faire aujourd’hui pour éradiquer le fléau de la traite des êtres humains ?
Premièrement, il faudra qu’il y ait un contrôle strict des documents administratifs permettant la sortie et l’entrée des personnes dans chaque pays. Les femmes et les enfants sont les êtres les plus vulnérables dans ce fléau. Deuxièmement, il faudra que la justice commence par sévir en punissant sévèrement les trafiquants. Ceci permettra de dissuader ceux qui comptent se lancer dans cette filière qui n’honore guère l’Afrique. Tant que l’impunité règnera, il sera difficile d’éradiquer le fléau de la traite des êtres humains. Figurez-vous que des gens se permettent le luxe de falsifier le titre de voyage congolais au Bénin pour faire voyager des femmes et des enfants parce que ceux-ci sont conscients que l’Ong Alto Afrique-Enfants travaille désormais avec la police de l’immigration du Congo. Ils font passer des enfants Béninois au Congo comme étant des Congolais pour tromper la vigilance des autorités béninoises.

Tout ce travail que vous abattez nécessite sans aucun doute des moyens. De quels moyens disposez-vous pour mener votre combat ?
Le premier moyen dont nous disposons, c’est d’abord la volonté de tous les membres de l’Ong Alto Afrique-Enfants. Nous bénéficions aussi de l’appui financier de l’Ong française Agir Ensemble pour les droits de l’homme. Il y a aussi l’Ambassade des Etats-Unis au Congo qui nous soutient. Je n’oublie pas le Consul du Bénin à Pointe-Noire, Isidore B. Sossa. Il y a 2 ans, ce dernier a été interpellé par l’Ambassade des Etats-Unis au Congo avec l’Ambassadeur du Bénin au Congo et le Consul du Bénin à Brazzaville sur la situation des enfants Béninois au Congo. Depuis ce temps, le Consul Isidore B. Sossa, s’est lancé dans une bataille de représailles contre les trafiquants d’êtres humains. Il nous accompagne non seulement moralement, mais aussi financièrement. Il y a 3 ans, quand nous avons mis aux arrêts 3 jeunes Béninois qui abusaient de 3 jeunes filles mineures, des gens ont tenté de corrompre le Consul Isidore B. Sossa pour les faire libérer. Mais ce dernier s’y est opposé systématiquement.

Votre Ong est connue à travers le monde et a même reçu une distinction aux Etats-Unis d’Amérique. Parlez-nous un peu de cette distinction.
C’était en 2012, et ce fut une période de joie pour tous les membres de l’Ong Alto Afrique-Enfants, pour l’Etat congolais et aussi pour l’Etat béninois dont je suis originaire. Au fait, j’ai été déclaré ‘’héros mondial’’ de lutte contre la traite des personnes par le Département d’Etat Américain sous le Secrétaire d’Etat Hilary Clinton qui m’a d’ailleurs reçu. Nous étions 10 dans le monde entier à recevoir cette distinction intitulée Prix de distinction Héros 2012 de lutte contre le trafic des personnes du Département d’Etat Américain. A l’occasion, j’ai été même porte-parole de tous les récipiendaires.

Votre mot de la fin.
Je voudrais d’abord lancer un appel à l’endroit des autorités béninoises. Je les invite à plus de vigilance vis-à-vis des enfants que les gens envoient à l’étranger. A l’endroit des parents, je voudrais les inviter à ne pas céder aux promesses mielleuses des personnes qui promettent l’eldorado à leurs enfants à l’étranger. Mon rêve est que les adultes fassent tout pour assurer un avenir meilleur à tous les enfants du monde.
Propos recueillis par Karim Oscar ANONRIN
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