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Révision de la constitution (Réflexion): Mohamed Paul Tossa soutient le mandat unique mais…
Publié le vendredi 10 mars 2017  |  Le Matinal
L’expert
© Autre presse par DR
L’expert consultant en santé publique Mohamed Paul Tossa (Mpt)




Le médecin expert de santé environnement, Mohamed Paul Tossa se préoccupe du débat constitutionnel en cours actuellement dans son pays. A travers une réflexion qui allie l’histoire de la France et le contexte béninois, il en vient à des propositions tout aussi intéressantes sur la question brûlante de l’instant : celle du mandat unique. Lire sa réflexion.
C’est une question qui se pose dans plusieurs pays africains, voire dans des pays occidentaux comme la France où le sujet a été évoqué par certains candidats à la prochaine élection présidentielle. Dans tous les cas, le sujet anime la vie publique et politique au Bénin depuis la campagne de la dernière élection présidentielle lors de laquelle, le candidat Patrice Talon avait fait du mandat unique, au nombre des réformes institutionnelles et politiques, un véritable argument de campagne. C’est donc tout naturellement que l’homme, devenu Chef d’Etat, en a fait un chantier prioritaire. De ce fait, juste un mois après son investiture, il a officiellement installé la Commission Djogbénou, chargée de faire des propositions en vue d’inscrire le mandat unique dans la constitution du 11 Décembre 1990.
Mais le sujet divise au sein de l’opinion publique et de la classe politique. Pro et anti-« mandat unique » s’affrontent à coups d’arguments tirés çà et là, dans les médias et sur les réseaux sociaux. Je ne suis pas assez spécialiste de la question pour porter un jugement sur ces arguments. Je remarque juste que nous avons lutté au Bénin, comme l’ont fait d’ailleurs d’autres pays africains, pour ne pas laisser « s’éterniser » au pouvoir, d’anciens Chef d’Etat. Et, pour la première fois qu’un Président de la République décide de ne faire qu’un seul mandat et de changer la Constitution dans ce sens, une partie du peuple et de la classe politique cherche à s’y opposer. Soit, c’est un jeu politique que je ne maîtrise pas très bien, soit nous sommes d’une nature très complexe qui nécessite qu’on s’y penche. Compte tenu de l’importance apportée à la question dans l’opinion, j’ai décidé d’y porter un regard de profane et d’analyser la situation de façon objective sans parti pris. Cette analyse tient tout simplement compte de l’histoire du nombre et de la durée du mandat présidentiel en France, car c’est le modèle sur lequel est basée notre constitution. A cet effet, j’ai trouvé assez intéressant le passage ci-dessous tiré du site « le soft international » (publié sur www.lesoftonline.net le 16/07/2016 et consulté le 01/03/2017) :
« …Les constitutions de plusieurs pays d’Afrique (notamment francophones) limitent à 2 le nombre du mandat présidentiel. Lorsque les sociétés civiles africaines s’arc-boutent sur le respect de cette disposition, elles donnent le sentiment, au-delà de la question de principe, que la limitation du mandat présidentiel est justifiée de tous temps, en tous lieux, indépendamment du stade de développement d’une société, des besoins spécifiques de chaque pays, de la qualité du Président en exercice. Vraiment? Soit. Mais alors, pourquoi 2 (pas 1, ni 3, encore moins 4) mandats, est-on tenté de se demander. D’où vient ce chiffre fétiche? La réponse est simple : les Constitutions de la plupart des pays d’Afrique subsaharienne sont inspirées de Constitutions occidentales (en particulier celle de la France dans le cas des pays d’Afrique francophone). Mais là où celles-ci résultent d’une histoire longue, de trajectoires historiques spécifiques, d’une réflexion sérieuse sur la forme de gouvernement la plus adéquate pour créer une société prospère et harmonieuse, celles-là sont artificielles… ».
Dans un article publié sur le site de la Fondation Agora vox (Le Média citoyen) le 23 avril 2008, Sylvain Rakotoarison a analysé le contexte historique qui a conduit la France à l’adoption de son système actuel d’un quinquennat renouvelable une fois. Le nombre et la durée du mandat présidentiel en France ont connu beaucoup de changements à travers temps. Mais rappelons d’abord que la fonction présidentielle fut instituée la première fois en France en 1848 sous la IIème République, avec un mandat de 4 ans non renouvelable, ce qui a encouragé le premier président de la République élu, Louis Napoléon Bonaparte, à restaurer l’Empire.
Le septennat
Napoléon III et l’Empire ont connu une débâcle, permettant à des républicains comme Léon Gambetta de proclamer la République, troisième du nom, le 4 septembre 1870. En attendant de statuer sur la nature du régime, Adolphe Thiers fut désigné le 17 février 1871 par la Chambre des députés, majoritairement monarchiste, « chef du pouvoir exécutif de la République française ». La loi Rivet votée le 31 août 1871 lui octroya le titre de « président de la République française », mais permettait aux députés de le révoquer. Environ deux ans après, afin d’empêcher les pressions et le chantage permanent que Thiers exerçait sur les députés, une loi fut adoptée qui interdisait la présence physique du président de la République dans l’hémicycle et qui ne lui permettait de s’adresser aux parlementaires qu’au seul moyen de messages écrits lus ne donnant lieu à aucune discussion. Devenu républicain par pragmatisme, en guerre contre une Assemblée qui encadrait trop ses interventions parlementaires, Thiers démissionna (ou plutôt, fut démis de ses fonctions) le 19 mai 1873.
Le maréchal Mac-Mahon fut élu le 24 mai 1873 par les députés pour succéder provisoirement à Adolphe Thiers, dans l’unique objectif de rétablir la monarchie. La Chambre des députés fixa le 9 novembre 1873 son mandat à sept ans, temps nécessaire, selon eux, pour que la nature réduisît les problèmes de prétention au trône. Mais les monarchistes restant divisés entre eux, les lois constitutionnelles du 30 janvier 1875 furent adoptées, instaurant de fait la République, notamment par l’introduction de l’amendement qui stipulait que le président de la République est élu pour sept ans et rééligible.
On notera donc avec raison le caractère totalement anecdotique qui fixa la durée du mandat présidentiel à sept ans, pendant plus d’un siècle en France (de 1873 à 2002). Les monarchistes ont été pris à leur propre piège en voulant réinstaurer l’empire et en fixant la durée du mandat à sept ans, estimant que c’était la durée suffisante au maréchal Mac-Mahon pour accomplir la mission.
Sous cette IIIème et plus encore sous la IVème République, le septennat était d’autant plus largement accepté par la classe politique et l’opinion publique qu’il servait une relative stabilité face à l’instabilité chronique des gouvernements qui ne duraient parfois même pas six mois. Michel Debré (ministre de la Justice), Charles de Gaulle (président du Conseil) et la quasi-majorité des partis politiques de l’époque gardèrent le septennat pour bâtir la Ve République. Le général de Gaulle, si on s’en tient à ses différentes déclarations, semble avoir toujours été partisan du septennat, qui permettrait au chef de l’État d’avoir le temps, pour avoir une large vision et une large anticipation des enjeux nationaux. Son successeur direct, Georges Pompidou, eut une appréciation tout à fait différente. Il avait commencé un processus de révision de la Constitution en 1973 pour faire adopter le quinquennat. Un processus qui resta dans les tiroirs après le vote des deux chambres du Parlement, Pompidou craignant l’absence d’une majorité des trois cinquièmes nécessaires au Parlement réuni en Congrès pour modifier la Constitution. Par la suite, ses trois successeurs Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac ont tous pris des positions parfois contradictoires, tout en ne voulant rien faire une fois au pouvoir. Valéry Giscard d’Estaing, dans son livre Deux Français sur trois, paru en 1983, proposa un mandat présidentiel de six ans différent des députés, mais réduit car sept ans, dans le monde moderne dans lequel on vit, cela faisait beaucoup.
Le quinquennat
Preuve de la volonté de ne faire aucune réforme, Jacques Chirac réitéra son refus le 14 juillet 1999 lors de son interview traditionnelle : « Le quinquennat serait une erreur, et donc je ne l’approuverai pas ». Et pourtant, quelques mois plus tard, attendant astucieusement la fin de la cinquième année du septennat de Jacques Chirac, Valéry Giscard d’Estaing déposa une proposition de loi instituant un quinquennat renouvelable une seule fois et demanda formellement au Premier ministre Lionel Jospin de l’inscrire au plus vite à l’ordre du jour puis d’utiliser la voie référendaire pour son adoption définitive. Lionel Jospin, qui y vit un moyen de mettre dans l’embarras Jacques Chirac, se déclara d’accord à condition que Jacques Chirac fût aussi d’accord. Ce que fit, le 5 juin 2000, Jacques Chirac dont les arrière-pensées étaient assez faciles à déceler : à 67 ans, la perspective de sa réélection en mai 2002 était loin d’être évidente face à un Lionel Jospin assez populaire dans l’opinion et plus jeune (62 ans). En réduisant la durée du mandat présidentiel, Jacques Chirac comptait éviter l’effet de saturation qu’avaient déjà causé les quatorze années de la présidence de François Mitterrand. La réforme se concrétisa très rapidement : l’Assemblée nationale adopta le projet de loi constitutionnelle le 20 juin 2000. Le quinquennat fut adopté par référendum le 24 septembre 2000 par 73,2 % avec une abstention massive (presque 70 %) et promulgué le 2 octobre 2000.
L’exemple du Bénin
On voit bien à travers cette petite rétrospective, que l’histoire de la durée et du nombre du mandat présidentiel en France est émaillée d’intrigues politiques pour servir des intérêts, soit personnels, soit d’une classe (la monarchie par exemple). Même si pour certains anciens présidents, le septennat serait à même de garantir la stabilité du pouvoir, rien ne permet à ce jour de l’affirmer. Quant au nombre de mandats, je fais partie de ceux qui ont été réticents à la mesure proposée par le chef de l’Etat, pour la simple raison que je n’en voyais pas l’intérêt. Pour ce qui me concerne, la question n’était pas le nombre, ni la durée du mandat, mais, comment le pouvoir exécutif était encadré et contrôlé. Ceci me paraissait plus important que la mesure du mandat unique dont l’intérêt m’échappait. On peut bien garder la possibilité du double mandat et un président qui ne veut pas faire les deux n’en fera qu’un seul. Mais à force de réflexion, je suis parvenu à la question suivante : « aurait-on le même comportement ou dirigerait-on le pays de la même façon si on sait qu’on est contraint à un seul mandat ou si on sait qu’il y a la possibilité d’en faire un deuxième ? ». Depuis la conférence nationale, le seul président à avoir fait un seul mandat au Bénin est le Président Nicéphore Soglo, et ce n’est pas faute d’avoir tenté un deuxième. Il serait alors difficile de répondre à cette question en se basant sur l’exemple béninois.
Le journaliste politique et essayiste français Alain Duhamel a analysé la question sous cet aspect dans un article publié sur le site du journal « Libération » le 09 novembre 2016. Pour lui, « …Chaque chef d’Etat commence son mandat entravé et l’achève cloué au pilori. Sa marge d’action économique et sociale est en peau de chagrin. La mondialisation l’enserre… Un président élu est un futur chef de l’Etat battu. La brièveté du mandat (cinq ans, dont une première année vouée à prendre la mesure de la fonction et une dernière année affectée à la campagne) interdit toute perspective, toute ambition, tout horizon. La dictature de la réélection brise la volonté de réforme… ».
En termes clairs, « sans l’obsession du calendrier électoral, le président retrouve une marge d’action. Il peut prendre des mesures impopulaires, s’il les juge nécessaires ou productives. Il peut s’adresser aux populations sans être soupçonné de mener campagne. Il peut fixer des objectifs sans tergiverser. Il dépend moins des craintes, des frilosités ou de l’indiscipline de sa propre majorité. Il peut ainsi mettre en œuvre avec résolution et promptitude les orientations définies avant d’entrer en fonction. Le mandat unique dessert les liens, renforce les chances, entretient l’énergie et la résolution. Il peut, si les initiatives sont judicieuses et la conjoncture acceptable, restaurer la confiance et ressusciter le sentiment démocratique, aujourd’hui si mal en point. Le mandat unique restaure le pouvoir présidentiel et réanime le dialogue suspendu avec le peuple… ».
Mais le mandat unique peut avoir ses limites : cinq ans, c’est peu pour qu’une politique, même vigoureuse, porte ses fruits. D’où la tentation parallèle de recourir aux ordonnances pour accélérer le tempo. La logique du mandat unique serait d’instaurer à terme une durée de mandat plus longue que 5 ans.
Le débat sur les garanties
Ils sont nombreux à exprimer des inquiétudes sur la garantie de bonne foi du Président de la République dans le cadre du mandat unique. S’il est permis d’admettre que le président de la République une fois au pouvoir soit inspiré par le souci de bien faire en menant de profondes réformes, il faudra aussi explorer l’hypothèse selon laquelle ce dernier mettrait en danger les acquis ou instaurer l’immobilisme pendant la durée de son mandat. L’absence de vote sanction du peuple peut le conforter à se donner des libertés sans vraiment craindre d’être fondamentalement inquiété. Cette analyse ne manque pas de pertinence puisqu’elle constitue d’ailleurs l’autre versant de la question. Suffit-il de croire à la bonne foi du Chef en espérant, les bras croisés, qu’il fera à la lettre tout ce qu’il a promis sans craindre des dérapages ? C’est à ce niveau qu’apparaît justement le débat sur la garantie brandi par beaucoup d’observateurs. Mais le Chef de l’État a, semble-t-il, déjà exploré un pan de la question. Au nombre des arguments apportés au soutien du projet de réforme constitutionnel, figure le dégraissage des prérogatives exorbitantes conférées au chef de l’État dans la Constitution. Vu sous cet angle, on peut déjà admettre que les craintes tout aussi fondées de ces acteurs politiques rejoignent quelque peu le souci du Chef de l’État.
La grande question est : comment est-ce qu’on parvient à trouver le mécanisme qui permette de fixer de façon expressive tout ceci dans la constitution ? À ce niveau concrètement il me vient à l’idée d’explorer quelques pistes. En effet, le dégraissage des pouvoirs trop exorbitants du chef et la garantie d’un quinquennat exempt de dérives passent, à mon avis, par le pouvoir qui sera désormais conféré aux institutions de la République. Avec des institutions fortes et indépendantes, un pan important de la question sera résolu.
Quid du contrôle du chef de l’État ?
La peur du gendarme, dit-on, est le commencement de la sagesse. Mais en l’espèce, le Chef de l’État étant le commandant du gendarme, qu’est ce qui lui fera peur? Le jeu de mot paraît subtil, mais reste illustratif de la crainte actuelle. Comment forger cette épée de Damoclès qui pourra peser sur la tête du premier des Béninois dans le cadre du mandat unique? Mon idée sur la question parait simple. La constitution en l’État actuel a déjà trouvé réponse à cette question. La Haute cour de justice (Hcj) me semble l’institution appropriée. Il faudra juste travailler à renforcer ses attributions en la rendant plus indépendante et plus forte car son inefficacité ne tient pas vraiment à sa création, mais à sa constitution ainsi qu’aux mécanismes de saisine. Je pense qu’il faudra en faire une institution juridictionnelle à part entière à l’instar de la Cour constitutionnelle avec un budget autonome. Elle sera composée de magistrats et d’avocats de haut niveau à la retraite ou en fin de carrière (sélectionnés par appel à candidatures) avec un mandat non renouvelable. Les attributions de l’institution resteront inchangées sauf qu’elles pourront être renforcées. Quant aux modes de saisine, il faudra travailler à les rendre plus souples et faire de la Hcj, une institution qui statue en premier et dernier ressort. La finalité est de réussir à faire d’elle une institution de dissuasion et de sanction mais aussi assurer une célérité dans le jugement des hautes personnalités dont le Chef de l’Etat. Tout ceci pourra, je l’espère, apaiser les craintes et conforter un peu ceux qui exigent plus de garanties pour le mandat unique.

Mohamed Paul Tossa
Médecin expert de santé environnement (France)
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