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Art et Culture

Ignace Yètchénou, Dga / Centre national du cinéma et de l’image animée: « Si nous faisons du bon travail, le public reviendra au cinéma »
Publié le samedi 18 mars 2017  |  La Nation




Scénariste, comédien et réalisateur, Ignace Yètchènou occupe depuis quelque temps le poste de directeur général adjoint du tout nouveau Centre national du cinéma et de l’image animée. Il fait partie de la délégation du Bénin ayant pris part à la vingt-cinquième édition du Fespaco qui s’est déroulée du 25 février au 4 mars dernier à Ouagadougou au Burkina Faso. Dans cette interview, il revient sur cette participation du Bénin et décrypte, par la même occasion, le cinéma béninois, les freins à son développement et fait des suggestions.

La Nation : Le Bénin a fait sensation au Fespaco 2017 en décrochant le deuxième prix, alors qu’il était pratiquement dans la posture de figurant, puisqu’il y a très peu de productions chez nous. Comment expliquez-vous cette prouesse ?

Ignace Yètchènou. Le Bénin heureusement n’a pas été au Fespaco comme figurant. Le Bénin y était avec un total de dix productions. Il y a les films d’écoles de l’Institut supérieur des métiers de l’audiovisuel (Isma), les films d’auteurs, des documentaires, un long métrage. On était assez représenté cette fois-ci. Donc une dizaine de réalisateurs, une dizaine de productions dans lesquelles des techniciens ont travaillé. En somme, le Bénin était bien représenté. Le seul long métrage, c’est celui de Sylvestre Amoussou intitulé « L’Orage Africain, un continent sous influence ». Cette production était en compétition long métrage. Avec ce film, on s’est arrogé la deuxième marche du podium. On a connu le succès 50 ans après la création du festival, après 50 ans de récompense de différents acteurs. Le Bénin est donc honoré. Il est vrai que, dans le passé, on a eu quelques prix notamment celui de meilleur son avec Tidjani de l’Ortb, un prix avec la production du regretté Joseph Kpobli. Toutefois, ces prix n’ont pas la même envergure que l’étalon du diamant qu’a décroché Amoussou Sylvestre à la 25e édition du Fespaco.

Pour vous spécialiste du cinéma, l’étalon du diamant est donc quelque chose de grandiose ?

Oui. Une comparaison avec le sport, on a le champion, le vice-champion et la troisième place. Ainsi, c’est le vice-champion. Le premier prix a été remporté par Alain Gommis du Sénégal. Le deuxième prix est revenu à notre compatriote Sylvestre Amoussou et le troisième prix a été remporté par un film algérien.

Depuis que le rideau est tiré sur le festival, on ne voit pas notre compatriote. Qu’en est-il ?

Au-delà de ce que 90% du tournage du film s’est effectué au Bénin, notre compatriote réside en Europe précisément en France. A cet effet, il est retourné sur Paris à la clôture du festival. Voilà la raison pour laquelle nous ne l’avons pas vu au Bénin. Mais il faut admettre que nous n’avons pas été bons diplomates, car on pouvait le détourner. Cependant avec les ambitions de l’actuel Gouvernement, j’espère que le tir sera corrigé pour que ce dernier reçoive l’honneur de sa prouesse.

Sylvestre Amoussou est donc le déclic. Mais comment se porte le cinéma béninois aujourd’hui ?
Le cinéma béninois se porte très mal quand bien même il y aurait des notes d’espoir. Parce que nous avons au Bénin, l’une des écoles où l’on forme de manière professionnelle les hommes de l’audiovisuel et du cinéma. Je voudrais parler de l’Isma. C’est un point positif. On a un circuit de distribution amateur. Mais en dehors de ces choses, le milieu a besoin d’assainissement, car tout est mélangé. Au Bénin, tout le monde est réalisateur, ce titre conférant toutes les prérogatives dans la chaîne de production de l’œuvre. Donc, tout le monde est réalisateur alors que ce n’est pas qui veut qui fait la réalisation. C’est au minimum trois ans d’études universitaires après le baccalauréat, voire cinq ans. Cependant vu l’évolution des choses au Bénin, il suffit de tourner dans un coin avec tous les défauts possibles et l’on se décrète réalisateur. Le domaine cinématographique est complexe. Ce n’est pas pour rien que l’on parle d’industrie cinématographique parce qu’il a plusieurs cloisons, l’ossature est là. Plusieurs corps de métiers s’y trouvent. Par exemple, il y a les producteurs qui s’occupent de la recherche des financements des œuvres ; il y a les réalisateurs qui sont les responsables artistiques de la production ; il y a les scénaristes, les acteurs, les costumiers et autres. Pourtant, au Bénin on ignore toutes ses composantes. Si on était dans un système hospitalier, cet état de choses s’explique par l’échange de rôle, c’est-à-dire qu’on observe des garçons de salle devant procéder au nettoyage des lieux devenir de grands praticiens au point d’intervenir sur des malades. C’est ainsi que se décrit le cinéma béninois en ce moment. Or, tout le monde a son rôle à jouer. C’est pourquoi nous pensons que, dans un Bénin ambitieux tel que le Bénin d’aujourd’hui où de grands coups sont donnés dans la fourmilière par rapport à moult pratiques, il faut saisir cette opportunité pour assainir le domaine cinématographique. D’ailleurs, c’est notre ambition à la tête de la structure que nous dirigeons.

Justement parlant de cette structure, d’où est-elle sortie ?

Dans tous les pays sérieux du monde, le cinéma est géré par un centre national. Pendant longtemps au Bénin, le cinéma a été géré par une direction technique à savoir : la direction de la cinématographie. Une direction technique est une direction technique, car elle est vraiment sous ordre. Alors qu’un centre est une structure autonome qui a un conseil d’administration. Si on lui trouve un bon chef avec de nobles ambitions dans le domaine, le centre réalisera des exploits. Ainsi, je pense qu’un centre est plus adapté dans la prise en charge de l’administration cinématographique d’un pays. Ceci d’autant plus que pour parler de partenariat, les pays ayant un centre nourrissent plus d’engouement. Les artistes ont la spécificité d’être orgueilleux. Ils s’entendent plus facilement entre eux qu’avec des structures étatiques. Donc, le Centre national du cinéma et de l’image animée qui a été créé par l’actuel gouvernement montre l’attachement des dirigeants à l’éclosion du cinéma béninois. C’est vrai que nous sommes à l’étape de la création mais après l’installation de toutes les structures dans le domaine, les ambitions s’imposent à nous. A ce propos, nous devons faire preuve d’audace pour que les réformes nécessaires s’opèrent. Mais il y a de l’espoir. J’en veux pour preuve le prix obtenu au Fespaco.

Avec l’avènement des réseaux sociaux aujourd’hui, y a-t-il encore espoir d’aller s’asseoir un jour dans une salle de cinéma pour regarder un bon film au Bénin ?

Il est vrai que les salles de cinéma sont à l’abandon en ce moment. Toutefois, cela ne signifie absolument rien. Il faut simplement dire qu’au Bénin, nous ignorons le cinéma. Cette ignorance se manifeste au niveau du bas peuple, de la classe intellectuelle et même de l’Etat. Nous ne savons pas la place de choix que devrait occuper le cinéma dans une économie sérieuse. L’image que les cinéastes béninois laissent entrevoir de leur métier est qu’après la réalisation d’un film, il faille se mettre au carrefour des grandes rues pour procéder à sa vente. Mais qu’est-ce que l’on vend à ses lieux ? C’est de la pacotille. Il en ressort donc que lesdits films sont aussi des objets de peu de valeur. Cette idée que nous avons, par notre comportement, inculqué aux citoyens ne peut pas favoriser l’envie des salles de cinéma. Pour redéfinir l’historique de la rentabilité d’un film, je puis dire qu’au terme de la réalisation d’un film, la projection doit se faire en salle. Par exemple, nous avons aujourd’hui douze chefs-lieux de département, qu’il y ait des salles de cinéma dans lesdits chefs-lieux de département. Avec un film racontant le quotidien des citoyens, je vous assure que les salles de cinéma feront le plein, le temps de la projection de l’œuvre. Au finish, si le réalisateur a dépensé 100 millions de F Cfa pour la confection du film, après deux semaines de projection en salle dans les douze départements, il a déjà ses fonds et pourrait au-delà réaliser du bénéfice. Ce n’est qu’une caricature du cas Bénin.
Dans les pays sérieux tels que les Etats-Unis, la projection en salle du nouveau film se déroule au même moment sur plusieurs continents le temps du lancement. Outre la projection en salle, les télévisions s’approprient le film en l’achetant.Tel n’est pas le cas du Bénin. Notre télévision n’achète pas les films, nous les lui donnons. Car il n’est d’aucune utilité que tu réalises un film pour que le public ne le regarde pas. Cela nous contraint à être très généreux mais il faut souligner que parfois on supplie même pour que le film soit diffusé. C’est une anomalie. L’ambiance à suivre un film en salle est différente de l’ambiance à suivre un film chez soi. A la maison, il y a des éléments de distraction ; ce qui n’est pas le cas lorsqu’on est en salle pour une projection. Il faut dire que c’est après la diffusion du film par la télévision que l’auteur s’auto-pirate.
Il s’auto- pirate en produisant les versions DVD du film particulièrement à un prix de vente très bas pour décourager la rivalité des pirates. Le processus ainsi expliqué est ignoré par le peuple et les gouvernants. On pense qu’on vient au cinéma parce qu’on n’a plus rien à faire. Or, le cinéma est un travail intellectuel fort puissant à tous les niveaux. C’est ce qui fait malheureusement que l’absence des salles nous met dans une situation difficile. Autrefois avec l’Office béninois du Cinéma (Obéci), on avait le circuit de distribution. D’ailleurs, cela a été l’un des meilleurs circuits au Bénin parce qu’avec Ciné Bopéci, la distribution était fluide au Nord, Rex et Iri Akari à Porto-Novo, Okpè Oluwa, Ehuzu aujourd’hui Concorde, les Cocotiers à Cotonou. Malheureusement pour des raisons diverses, ces salles sont tombées dans l’abandon. Il faudrait qu’on travaille sérieusement pour leur résurrection parce que le cinéma reste le cinéma. Je me rappelle, on se cotisait pour se rendre au cinéma, car c’est la première occasion devant nous permettre de charmer la petite copine qui est aujourd’hui notre femme. Bref, on a besoin de cela. Voilà pourquoi il faut saisir l’opportunité que nous donne le Fespaco en primant notre compatriote afin de projeter son film dans toutes les salles de cinéma sur le territoire national. En particulier, il faut œuvrer pour le retour des citoyens dans les salles de cinéma.

Une exhortation à l’endroit de nos compatriotes

Je n’ai pas de mot à leur endroit. J’ai plutôt de mot à l’endroit des collègues qui veulent vivre du cinéma. Je crois que nous devons nous dire la vérité. On doit se distribuer les rôles de façon convenable. Chacun doit rester dans son couloir. Quand on le fait bien, le public viendra. J’en suis certain parce que dans mon adolescence, j’ai eu la chance de suivre « Ajani Ogun » d’Ola Balogun. Malgré mon handicap de langue, j’avais du plaisir à me mettre dans un interminable rang devant le ciné Rex à Porto-Novo pour accéder à la salle de cinéma, le temps de la diffusion de ce film. Le peuple continue d’aller au cinéma pour suivre la projection des films burkinabé. Pourquoi ne le ferait-on pas au Bénin ? Je crois que si nous faisons du bon travail, le public reviendra au cinéma.
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