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À bâtons rompus avec Edgard Kpatindé: « Le plus grand danger auquel est confronté un chef d’Etat, c’est son entourage »
Publié le vendredi 14 avril 2017  |  L`événement Précis




Edgard Kpatindé est une personnalité bien connue de la scène politique et socio-économique béninoise. Juriste de formation, administrateur de sociétés, il a fondé et préside i3S, un cabinet qui conseille entreprises et organisations dans leur développement international et qui intervient aussi auprès de certaines institutions spécialisées dans les questions de sécurité globale.
Notre journal l’a interrogé sur les sujets chauds de l’actualité. Lire l’intégralité de cet entretien comme à son habitude sans langue de bois:

L’Evénement Précis : Monsieur Edgard Kpatindé, vous êtes Expert en Stratégie et en Intelligence globale, Administrateur de sociétés et Président d’i3s (Intelligence Sécurité Stratégie et Service). Vous avez été souvent dans les arcanes du pouvoir, eu égard à vos expériences, que pensez-vous des nombreuses décisions prises par le Gouvernement actuel et qui ont été cassées par le Cour Constitutionnelle ?

Edgard KPATINDE : Vous touchez là un point sensible. Par essence, une décision prise par un gouvernement et déclarée non conforme à la constitution par une cour constitutionnelle est une décision sinon mauvaise du moins mal préparée. Au Bénin comme ailleurs, en France par exemple, cela arrive de temps en temps et c’est à chaque fois un camouflet pour l’exécutif. D’où l’importance de disposer d’une constitution non pas de circonstances mais adaptée aux réalités du pays. Peut-être devons-nous effectivement toiletter une constitution très largement inspirée par le modèle français qui n’est pas forcément transposable sous nos latitudes…

En haut lieu, comment se passent les prises de décisions ?

C’est une question qui mériterait le développement d’une thèse de doctorat ! Les processus de décision découlent de multiples facteurs, l’environnement et l’héritage socio-culturel, le degré de maturité politique des différents acteurs, la solidité ou la fragilité des processus institutionnels, la personnalité de ceux qui les prennent, le recours nécessaire à des experts…Aujourd’hui, les dirigeants disposent de toute une gamme d’outils d’aide à la décision, comme les sondages par exemple, dont ils peuvent user quand ils en ont besoin. Lorsque vous voulez prendre une décision concernant le secteur bancaire, vous devez sonder ceux qui travaillent dans le secteur, les spécialistes sectoriels, les usagers, et voir aussi ce qui se fait dans la région, vérifier si votre décision ne va pas à l’encontre des dispositions communautaires, car le Bénin appartient à un espace économique, et politique régional.

Il parait que l’entourage influence souvent les chefs d’Etat et parfois dans le mauvais sens, avez-vous fait ce constat dans les lieux du pouvoir ?

Poser la question, c’est y répondre ! C’est vieux comme le monde… Je crois au progrès scientifique et technique, pour le progrès humain, beaucoup reste à faire… J’ai de l’intérieur fait cette expérience à de multiples reprises au Bénin et ailleurs : souvent, le plus grand danger auquel est confronté un chef d’Etat, c’est son entourage. Une fois qu’il est élu, il lui est d’autant plus facile de s’isoler que toute une cour lui chante qu’il est ce qu’il s’est fait de meilleur et de plus beau depuis la naissance de Jésus-Christ. Il est très difficile d’y résister même quand on est un homme de grande expérience. Dans ces jeux de pouvoir, ce sont souvent les plus flatteurs qui gagnent. Et les plus flatteurs ne sont pas forcément ceux qui vous aiment ou vous servent le mieux. J’ai beaucoup d’exemples dont je pourrais parler, au Bénin, au Cameroun où j’ai travaillé, ou quand je conseillais feu Général Robert GUEI en Côte d’Ivoire. Les manipulations de l’entourage des chefs sont parfois diaboliques.J’ai le souvenir d’un haut gradé béninois qui a fait croire à un des récents Président de la République qu’Adrien HOUNGBEDJI préparait un coup d’Etat depuis son domicile avec un de ses amis alors ministre d’Etat au Gabon. Le Président était fou de rage, figurez-vous que le ministre d’Etat gabonais n’avait pas mis pied à Porto-Novo où résidait Adrien HOUNGBEDJI…ça existe de nos jours, c’est inhérent au pouvoir ; L’histoire du monde abonde d’exemples en ce sens. Pensez à Raspoutine…

Vous avez travaillé sur les questions sécuritaires, comment appréciez-vous la gestion faite du problème de l’insécurité depuis l’ère du Nouveau Départ ?

Le domaine de la sécurité est assez vaste, intéressons-nous à la sécurité intérieure, celle qui touche directement nos populations. Il s’agit des atteintes aux biens et aux personnes. Ce type d’insécurité est souvent relayé par les médias, je veux parler des braquages, des hold-up, des vols avec violences,etc.
On a connu juste après la prise de pouvoir par l’actuel gouvernement, une recrudescence de quelques mois ; les délinquants profitent souvent des alternances politiques, du temps qu’on prend pour mettre en place les structures pour commettre leurs méfaits.
Mais les choses ont été reprises en main rapidement, d’ailleurs, vous avez dû remarquer que les dernières fêtes de fin d’année ont été plus calmes que les précédentes ; un grand réseau malfaisant connu de longue date a été enfin neutralisé.

Et pourquoi la police ne les avait pas arrêtés avant l’ère du nouveau départ ?

C’est à la police qu’il faudra poser la question ; Par contre, il y a une insécurité non relayée par les médias et qui est grandissante, c’est la cybercriminalité ; Dans le cadre du Bénin, on peut parler de cyber délinquance. Ces cyber délinquants sont pour la plupart des béninois et des nigérians installés au Bénin et qui font des victimes aussi bien au Bénin qu’en France. Savez-vous qu’en France, sur les douze derniers mois, il y a eu au minimum neuf cents (900) actes de cybercriminalités en provenance du Bénin ?

Ce n’est pas en changeant les structures qui composent nos forces de défense qu’on aura un effet positif sur les états d’esprit, au contraire, nous devons privilégier et assurer pour nos forces de police, des formations et mieux les équiper pour faire face aux vrais enjeux stratégiques et sécuritaires de demain ? Sans oublier de bien les payer afin qu’elles cessent de rançonner sur les routes, et que leurs chefs arrêtent de courir après les marchés publics d’équipements de sécurité.

Le Président Patrice Talon vient de boucler ses douze premiers mois à la tête du Bénin. Quelle appréciation faites-vous du système de gouvernance de l’homme ?

Tout d’abord, je crois fermement que la gouvernance relève de la solidité des institutions, de la modernité des processus de gestion et de décision, et de leur adéquation aux besoins réels de nos pays. On ne gouverne pas un pays comme le Bénin comme on gouverne l’Allemagne ou la France.
Ensuite, bien-sûr, les styles présidentiels peuvent être différents. Il faut rendre grâce au Président Talon d’avoir souhaité mettre un terme aux dérives grotesques héritées de la monarchie française : le fait que le gouvernement entier se déplace à l’aéroport à chaque déplacement présidentiel par exemple. Comme si au 21ème siècle, à l’heure où il est plus facile et plus sûr de faire Cotonou Paris par avion que Cotonou Malanville en voiture, cela avait du sens ! De même, ces marches inconvenantes de soutien à l’action du Président ou de tel ou tel ministre. Il était temps d’y mettre un terme. Après, gérer un État est un art délicat et complexe. Il y a des contingences politiques, culturelles et sociales lourdes dont il est difficile de s’abstraire mais qui ne doivent pas entraver l’action.

Vous êtes parmi les béninois qui sont contre la restitution par la France des biens et œuvres béninois volés par la France et qui figurent dans le patrimoine français, avez-vous évolué sur ce point ? Vous prenez parti pour la France ?

Merci pour cette question qui me divertit infiniment. Qui prend parti pour quoi et pour qui dans cette affaire ? Tout d’abord, permettez-moi de rire : parmi tous ceux qui du fait de mes prises de position sur le sujet disent que j’ai pris parti pour la France voire, comble de la bêtise et de l’ignorance, que je suis un agent français infiltré au Bénin, combien ont la double nationalité et combien ont renoncé à leur nationalité française ? Combien ont sorti leurs enfants du système scolaire et universitaire gratuit de la France ? Laissez-moi rire ! Je n’accepte de leçon de patriotisme de personne et surtout pas de ceux qui vont mendier des prébendes ou des avantages auprès des autorités françaises pour ensuite mieux leur cracher dessus en ressassant les vieilles lunes de la colonisation. Je n’imaginais pas qu’une prise de position sensée sur ce sujet pourrait déclencher autant de calomnies. Je laisse leurs auteurs à leur médiocrité. Dieu jugera des actes de chacun.

Sur le fond de ce dossier, je n’ai jamais dit que j’étais contre la restitution par la France des biens et des œuvres béninois figurant dans ses collections nationales. Je dis simplement que ce genre de problème ne se résout pas en se tapant sur la poitrine ou en battant les estrades. D’abord, apportez-vous la preuve que toutes ces œuvres ont été volées ? Si certaines œuvres sont issues de pillage, certaines ont pu être offertes, d’autres achetées. Quand le roi Béhanzin, en 1893, envoie une délégation auprès de Sadi Carnot, imagine-t-on, connaissant la légendaire générosité de nos traditions, que cette délégation – qui pour la petite histoire n’a jamais été reçue – avait les mains vides ?
Ensuite, je n’aime pas les faux-semblants : il est plus facile de mener un combat identitaire pour la restitution d’œuvres qui ne sont plus au Bénin depuis le 19ème siècle que de fournir de l’électricité au Musée national de Porto Novo qui en est dépourvu ! Romuald HAZOUME, l’un des meilleurs artistes plasticiens africains mène des actions discrètes pour aider nos musées, il est à féliciter.
Je lance d’ailleurs un appel à tous ceux qui militent ici ou en France pour la restitution des œuvres, faites un geste concret pour la culture de ce pays puisque vous l’aimez tant : participez au financement de la restauration des sanctuaires du Musée Honmè ou lancez un mouvement, utile celui-là, pour la restauration des 600 maisons Afro-brésiliennes de notre capitale qui sont de véritables ruines ! Et quand je dis un mouvement, je veux dire mettez la main au portefeuille ! Parce que pour signer des pétitions, on trouve du monde mais pour agir et payer, là, les rangs s’éclaircissent !

Quels sont selon vous, les deux secteurs dans lesquels le gouvernement pourrait faire des efforts ?

Le gouvernement fait beaucoup d’efforts. L’élaboration du Plan d’Action Gouvernemental (PAG) a représenté un travail colossal pour les administrations. Des agences ont été créées, des experts recrutés comme José PLIYA qui met toute sa passion et son talent à développer le patrimoine et le tourisme de notre pays. Tous ces efforts risquent toutefois de rester lettre morte s’ils ne sont pas compris et acceptés par la population. Pourquoi le Président a-t-il attendu le rejet de son projet de réforme constitutionnelle par le Parlement pour parler à la presse ? Comment peut-il se dire triste de ne pas avoir été compris quand il n’a rien expliqué ? Gouverner est un art d’autant plus difficile aujourd’hui qu’on est pris en étau entre la nécessité de l’action, qui exige rapidité et détermination, et la nécessité de l’acceptation, qui exige le temps de la concertation. Dans un pays comme le Bénin, où tout est politique, le risque d’immobilisme est élevé mais à l’heure des réseaux sociaux qui transcendent les vieux clivages, on ne peut plus gouverner à l’ancienne en se disant que les décisions s’imposeront à ceux qu’elles concernent. Les peuples aujourd’hui sont informés. Les jeunes sont connectés. Ils se mobilisent rapidement. Le feu social peut prendre très vite. Comme deuxième secteur, je parlerai de la culture qui me tient à cœur : celle-ci est un levier fantastique de développement. La culture, ce n’est pas seulement les artistes, c’est aussi l’architecture, les paysages…Le bétonnage et l’érosion qui menacent notre côte et sont des problèmes bien plus graves pour le présent et l’avenir du Bénin que celui de la restitution des œuvres. Ayons de l’ambition. Cela vaut aussi pour nos villes : la modernité, ce n’est pas de singer Dubai, c’est de concevoir des villes durables, adaptées à nos modes de vie, à notre climat, à nos moyens, notamment en consommation d’énergie. Et puis les déchets : il ne coûterait rien au gouvernement de lancer une grande campagne d’éducation citoyenne au travers d’une journée de ramassage de tous les détritus qui défigurent nos rues et nos paysages, tous ces sacs plastiques qui s’accumulent, qui favorisent le développement de maladies diverses, qui empêchent l’eau d’infiltrer les sols… Je propose de lancer une semaine nationale du ramassage citoyen, où chacun, y compris le Président, les membres du gouvernement, les parlementaires dans leur circonscription, les maires, montrera l’exemple en balayant devant sa porte. Feu Général KEREKOU avait initié toutes ces réformes après avoir arraché le pouvoir en 1972.

Quand Gandhi s’est mis à filer le coton, on s’est moqué de lui, ça a été le départ de l’indépendance indienne.
En 2017, on ne peut plus tolérer de voir des enfants assis au milieu d’un tas d’immondices. Il faut que les Béninois, de toutes conditions, acquièrent le sens de l’intérêt général. La beauté des rues, des paysages, cela participe aussi de la dignité. Cotonou n’est pas une belle ville hélas…

Un mot pour conclure cet entretien.

Une citation de Guillaume d’Orange Nassau, le père de l’indépendance des Pays-Bas : Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer !

Entretien réalisé par Gérard AGOGNON
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