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Suite à l’élection de Emmanuel Macron en France: Aubin Towanou craint le statu quo pour le franc Cfa
Publié le mardi 16 mai 2017  |  Le Matinal
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© aCotonou.com par MC
Une conférence sur "le rôle du franc CFA dans l`intégration économique et monétaire de l`Afrique de l`Ouest" a eu lieu au siège de la BCEAO
Dakar, le 7 avril 2017 - La Banque Centrale des États de l`Afrique de l`Ouest (BCEAO) a organisé, à son siège, à Dakar, une conférence portant sur l`actualité et traitant du franc CFA. Le thème a été intitulé: "le rôle du franc CFA dans l`intégration économique et monétaire de l`Afrique de l`Ouest". Il a été animé par le professeur Théophile Azomahou.




Ce mois de mai 2017 est marqué par le changement de régime en France. Cette nouvelle donne peut-elle modifier qualitativement les apports sulfureux entre la France et les pays africains d’expression française ? L’Auteur du livre ‘‘Pauvre franc Cfa’’ (Ed. Savane, mai 2016), qui a montré le contrepoids que constitue cette monnaie pour les économies qui l’utilisent, livre ici ses impressions en constatant que tout évolue vers le statu quo quant à l’avenir du franc Cfa sous l’ère Emmanuel Macron.
Il y a quelques mois, vous aviez publié un livre sur le sujet tabou que constitue le franc Cfa. Pour vous, en résumé de ce livre, des économies faibles africaines ne peuvent utiliser cette monnaie forte et prétendre se développer. Quelle lecture faites-vous des positions défendues par Emmanuel Macron au cours de la campagne présidentielle française quant à l’avenir du franc Cfa ?
Aubin Towanou : En complément de votre résumé schématique, je soutiens qu’on ne peut, dans une économie de marché, faire jouer la loi de l’offre et de la demande sur les trois marchés des biens et services, des titres, du travail, et imposer une stabilité rigidité sur le quatrième marché, celui de la monnaie. Cela crée un environnement de paresse lorsqu’on sait que la monnaie se révèle être un indicateur privilégié qui sanctionne les politiques publiques en matière économique. Cela dit, l’élection de Emmanuel Macron ne semble pas augurer d’un changement positif notable en ce qui concerne l’avenir du franc Cfa.
Pourquoi soutenez-vous ce point de vue ?
Il ne s’agit pas d’une fiction. Nous avons tous suivi le candidat Macron au cours de ces dernières semaines lorsqu’il se prononçait, sur les médias, notamment Rfi (Radio France internationale), sur sa perception de ce qu’on qualifie de ‘‘France-Afrique’’. Il était admirable lorsqu’il a indiqué que l’esclavage et la colonisation sont des crimes contre l’humanité (en correction l’humain). Seulement, il n’a pas immédiatement proposé que les Africains, en même temps que la France et pourquoi pas l’Europe, célèbreront désormais collégialement une journée en ces mémoires. Un peu comme les Juifs se souviennent annuellement de la Shoah en même temps que toute la communauté internationale. Pour ce qui concerne nos relations monétaires, comme tout officiel français, Emmanuel Macron avait affirmé que le franc Cfa garantit aux économies qui l’ont adopté une stabilité monétaire qui leur évite des incertitudes majeures. Ce qui est vrai. Mais contrairement aux anciens présidents français, il a ajouté que, comme tout instrument, le franc Cfa a ses avantages et ses inconvénients. Mais quant à la question de savoir s’il était pour ou contre la rupture de ce lien historique qui lie la France à l’Afrique, un lien que d’aucuns qualifient de contrepoids pour l’émergence économique des pays qui l’utilisent, il n’a pas été pro-africain. Il était à la limite méprisant. Il a bien dit que tout dépend des dirigeants des pays de la zone franc. Il a ajouté qu’il revient à ces pays d’analyser la situation en vue de prendre la décision qui les arrange.
Emmanuel Macron est français et défend les intérêts de la France. Pourquoi dites-vous qu’il était méprisant ?
Pour comprendre combien il était méprisant, il importe de savoir comment le franc Cfa fonctionne. Car, dès que vous comprenez comment fonctionne ce que d’autres qualifient de ‘‘servitude monétaire’’, vous vous rendez compte qu’on ne peut parler de l’avenir du franc Cfa en ces termes et être sincère lorsqu’on appartient à l’établissement français.
Dites-nous alors comment fonctionne le franc Cfa ?
La France occupe une place de choix dans le dispositif de gestion du franc Cfa. C’est avec elle que les pays africains de ladite zone monétaire ont signé tous les accords de coopération et convention instituant cette Monnaie. Les autorités françaises siègent aux conseils d’administration des banques centrales (Bceao et Beac) qui gouvernent les francs Cfa. Et dans ces conseils, les décisions se prennent à l’unanimité. Au moins une fois l’an, le ministre des finances de la France rencontre ses ‘‘homologues’’ africains de la zone. Au Trésor français est institué ce qu’on appelle ‘‘compte d’opération’’ où sont logées les réserves de change que génère le franc Cfa. Je m’en arrête là pour dire que si Emmanuel Macron était favorable à une évolution du franc Cfa, il aurait pu dire qu’il va ouvrir le débat et non affirmer qu’il revient aux Africains d’analyser la situation pour prendre une décision. Je suppose que vous avez souvenance des représailles de la France (les inflations punitives par exemple) contre les pays qui ont osé par le passé sortir de ladite zone monétaire. Les Africains ne peuvent rien faire sans la France et vice-versa sauf en cas de diktat. Et en cette matière, l’histoire du franc Cfa révèle que la France a recouru plusieurs fois au diktat en faisant entériner son désidérata par les Africains qui n’y étaient pas favorables. Cependant, je reconnais que la pression devant déclencher le processus de révision des accords sur le franc Cfa doit venir de l’Afrique.
Pourquoi ne voulez-vous pas accorder la bonne foi au nouvel élu à la tête de la République française ?
Pas plus que ses prédécesseurs, je ne saurais lui accorder la bonne foi. Car, dans le concert des nations, aucune d’entre elles n’a intérêt à défendre l’économie d’une autre sans y attendre un avantage supérieur à celui de celle défendue. Je me plais souvent à dire que nous sommes en guerre économique entre États dans le monde. Ainsi, la France n’a aucun intérêt altruiste à se gêner autant pour défendre les intérêts monétaires de pays africains. Seul ce qu’elle y gagne pour son développement propre la préoccupe dans cette affaire.
Dans ce cas, pourquoi autant d’élites africaines s’y accommodent, je veux évoquer les chefs d’État, leurs ministres et conseillers sans oublier ces nombreux universitaires… ?
Pour les chefs d’État, le statu quo leur garantit une assurance tout risque en ce qui concerne les choix économiques hasardeux qu’ils font. Je disais à l’entame que la stabilité rigide du franc Cfa que font valoir les chantres de cette monnaie crée un environnement de paresse lorsqu’on sait que la monnaie se révèle être un indicateur privilégié qui sanctionne les politiques publiques (budgétaire, fiscale, etc). Les chefs d’État sont donc à l’abri de toute sanction directe issue du marché, conséquence de leurs choix. Les gouverneurs et ministres sont eux aux ordres et jouissent de la tranquillité que procure cette monnaie. Toutes ces personnes sont des ‘‘colons noirs’’ à qui le colonisateur, avant de partir, a accordé des privilèges en leur faisant croire qu’ils risquent de perdre tout ceci si le statu quo en arrivait à être rompu.
Je ne vous laisserai pas affirmer qu’ils ne travaillent pas…
Ce n’est nullement mon intention. Ici et ailleurs, j’ai de très bons rapports avec des ministres avec qui j’échange sur des sujets sensibles. Ils ne sont pas paresseux, mais l’environnement les y contraint de fait. Même chose pour les intellectuels et universitaires. Dès qu’ils sont alignés et veulent gagner tous les avantages liés à leur titre, ils préfèrent se la boucler pour passer une vie paisible.
Donc, vous rectifiez qu’ils sont paresseux ?
Lorsqu’un agent économique lambda du Nigeria ou du Ghana se lève le matin, il se renseigne sur le cours de la monnaie avant de prendre n’importe quelle décision économique relative à son patrimoine. Même le taximan, pour ne pas dire le petit épicier du coin, sacrifie à cette exigence. Alors qu’ici, dans les zones franc, même le gouverneur d’une Banque centrale s’en préoccupe peu. Ne parlons pas des ministres des finances et autres autorités et agents économiques majeurs. J’ai quasiment expliqué déjà que la parité fixe fait entorse à la loi de l’offre et de la demande dans une économie de marché.
Puisque vous y revenez, parlons des caractéristiques essentielles des francs Cfa.
Il y en a plusieurs dont la parité fixe avec le franc français dans un premier temps, et avec l’euro depuis 1999. Ainsi, 655,957 francs Cfa = 1 euro, point barre. Même si le ciel tombait sur la tête des pays des zones franc Cfa, cette parité est fixe jusqu’au jour où la décision serait prise ailleurs, et non en Afrique, de procéder à un réajustement.
Une autre particularité est la libre transférabilité. En effet, le franc Cfa est supposé circulé dans toutes les zones franc et en Europe sans limite. Ce n’est même pas vrai. Puisque, lorsque vous allez au Cameroun tout près, personne n’accepte automatiquement vos francs Cfa, version Umoa. Sauf si vous êtes prêts à perdre une partie de leur valeur faciale.
Aussi, comme caractéristique des francs Cfa, nous avons la convertibilité illimitée. Ici, suivant les accords signés avec la France dans le cadre de la création des francs Cfa, les banques centrales doivent déposer dans un compte ouvert au Trésor français leurs réserves de change (environ 50% aux dernières nouvelles, depuis 2005) en contrepartie du bénéfice de ce qu’ils appellent ‘‘la convertibilité illimitée’’. C’est-à-dire que la France se porte garante pour faciliter la mise à disposition des pays concernés de la quantité de devises étrangères voulue en échange de francs Cfa.
Ces particularités n’ont pas que des faiblesses, elles ont aussi des forces …
Toujours pour ce qui est des inconvénients, prenons la situation actuelle entre le Bénin et le Nigeria. Ce pays anglophone, disposant du levier monétaire, suite à la baisse du cours du pétrole, son principal produit d’exportation, a déjà opéré plusieurs dévaluations du naira. Ainsi, les autorités monétaires nigérianes ont-elles actionné la commande monétaire à leur possession pour relancer leur économie. Ce faisant, elles ont mis en difficulté les économies des pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre qui entourent le Nigeria et qui sont tous membres des zones franc, à savoir, le Bénin, le Niger, le Tchad et le Cameroun. Même réalité du côté du Ghana. Pourtant, parmi les pays limitrophes du Nigeria, les trois derniers, cités précédemment, sont aussi exportateurs de pétrole brut. Mais face aux mêmes causes, issues de la conjoncture économique internationale, ils n’ont pu rien faire sur le plan monétaire à l’image du Nigeria, parce qu’ils ne détiennent pas le levier monétaire de leur économie. Ainsi, le Nigeria relance son économie aux dépends des pays des zones franc Cfa de fait.
En ce qui concerne la libre transférabilité, vous comprenez en termes d’avantages qu’un investisseur peut décider de s’installer dans les zones franc parce qu’il n’a pas de souci à se faire pour rapatrier ses gains vers son pays d’origine. Mais c’est dans l’avantage même que réside l’inconvénient. En effet, cet avantage qui pouvait stimuler l’attrait des investissements directs étrangers a la particularité de favoriser la fuite des capitaux qui auraient pu être réinvestis si cette liberté n’était pas totale. Mais en fait, parmi les pays qui attirent les investissements directs étrangers en Afrique, les pays des zones franc Cfa sont en queue de peloton. Ajoutée à la convertibilité illimitée, cette particularité du franc Cfa facilite par ailleurs le transfert des biens mal acquis par les dirigeants corrompus vers l’Europe et par la suite vers les paradis fiscaux.
L’autre faiblesse des économies des zones franc est la question du faible taux de crédit dans les pays du fait, entre autres, de la limitation à un niveau très bas du taux d’inflation. Réalité qui ne permet pas de financer l’activité économique réelle en vue de stimuler la croissance dans une économie sous-développée. J’estime que la limite de 2% de taux d’inflation ne permet pas à des économies comme celles sous analyse de financer le développement, voire la croissance. Depuis quelque temps, on constate que les États sont de plus en plus autorisés à lever des fonds sur le marché financier. Seulement, rien que l’État ne saurait insuffler une dynamique de croissance. Le secteur privé, notamment les petites et moyennes entreprises, doit accéder davantage au crédit, pour ne pas dire à la facilité de crédit.

Propos recueillis par Abdourhamane Touré
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