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Supposée privatisation de certaines sociétés d’Etat: Les clarifications de l’ex-Bâtonnier Jacques Migan
Publié le jeudi 22 juin 2017  |  Le Matinal
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© aCotonou.com par Didier Assogba
Me Jacques Migan, Porte parole du collectif des avocats de Sébastien Adjavon dans l`Affaire de cocaïne.
Cotonou, le 02 Novembre 2016. Affaire de cocaïne, l`ambiance à la brigarde territoriale de Cotonou.




Face aux critiques faisant état de ce que le gouvernement est en train de revoir les modalités juridiques de gestion de certains organismes et sociétés d’Etat, l’ancien bâtonnier Jacques Migan a réagi. Dans une interview, il soutient que l’Etat n’a pas la prérogative de privatiser des entreprises stratégiques comme la Sbee, la Soneb ou encore le Port, mais que la loi lui confère la possibilité de revoir leur modes juridiques de gestion ».
Le Matinal : Depuis quelques semaines, l’opinion nationale est saisie de rumeurs et d’allégations révélant l’engagement du gouvernement de revoir les modalités juridiques de gestion de certains organismes et sociétés d’Etat. Certaines personnes parlent de privatisation desdites sociétés. Quelle lecture faites-vous de ces informations ?
Jacques Migan : Effectivement, depuis quelques semaines, une polémique et une grogne s’élèvent à propos d’une éventuelle privatisation de certaines sociétés d’Etat. L’on évoque notamment la privatisation du Port autonome de Cotonou (Pac), de la Sbee, de la Soneb, du Cnhu etc. Il convient d’emblée de préciser que la privatisation des sociétés d’Etat est régie par la Loi n°92-023 du 06 août 1992 portant détermination des principes fondamentaux des dénationalisations et des transferts de propriété d’entreprise du secteur public au secteur privé. Cette loi prévoit que l’Etat peut user du droit de disposition des entreprises dont il est propriétaire en décidant de les dénationaliser ou d’en transférer la propriété du secteur public au secteur privé. Mais si l’Etat dispose d’une telle prérogative, il convient de préciser que sont exclues du champ de dénationalisation ou de transfert de propriété du secteur public au secteur privé, les entreprises stratégiques et les entreprises du secteur non concurrentiel ayant une mission de service national. Sont ainsi réputées stratégiques, les entreprises ayant pour objet les mines, l’énergie, l’eau, les forêts, les armements, les transports, les communications et les télécommunications (cf. article 7). Cette même disposition prévoit que le Gouvernement peut toutefois intéresser des personnes privées à l’exploitation des entreprises relevant de ces secteurs. Aussi, l’article 14 de la Loi précitée donne la latitude à l’Etat conformément aux dispositions de l’article 7 ci-dessus évoqué, d’intéresser les personnes privées par la passation de contrats de gestion, de location-gérance, ou de gérance libre. De tout ce qui précède, il ressort clairement que l’Etat n’a pas la prérogative de privatiser des entreprises stratégiques comme la Sbee, la Soneb ou encore le Port. La loi confère cependant à l’Etat la latitude de revoir leurs modes juridiques de gestion.
Si l’Etat ne peut pas privatiser les entreprises que vous avez évoquées parce qu’elles sont réputées stratégiques, que recouvre alors la notion de « gestion déléguée » dont on parle si tant ?
D’abord, retenez que le concept de privatisation peut être utilisé dans plusieurs sens suivant le contexte. Traditionnellement, la privatisation est définie comme un transfert d’actifs détenus par les agents publics au profit des agents privés. La privatisation suggère un transfert définitif de la propriété du patrimoine de l’Etat à un opérateur ou une structure privée. Les différents modes de gestion déléguée, à l’opposé de la privatisation, supposent que l’Etat demeure le propriétaire de la société dont la gestion déléguée est projetée. L’Etat fait recours à ces modes juridiques de gestion pour faire face à la concurrence économique et pour lutter contre la mauvaise gestion qui prévaut souvent à la tête de ces organismes et offices d’Etat. La réalité, c’est que dans bien des cas, l’Etat nomme à la tête de ces sociétés des personnes ne disposant pas forcément des qualifications techniques requises pour occuper de telles fonctions. La conséquence directe est que les résultats financiers produits par ces entreprises sont souvent nuls ou déficitaires. De plus en plus, sous la pression de la Banque Mondiale et du FMI, les Etats sont tenus par les exigences de bonne gouvernance. Ils recourent à des modes de gestion déléguée afin d’assainir la gestion des entreprises d’Etat et de garantir leur performance économique. Les modes les plus usuels de gestion déléguée sont la concession, l’affermage, la régie intéressée ou la gérance. Chacune de ces formules correspond à un degré plus ou moins grand de délégation du service public. Chaque modalité de gestion déléguée présente des caractéristiques propres.
Que veut dire précisément chacun de ces termes que vous venez de distinguer ?
L’affermage est un contrat par lequel la collectivité publique confie à une personne morale tierce (de droit privé ou de droit public), la gestion d’un service public. Cette personne exploite et entretient l’ouvrage à ses risques et périls – elle agit pour son propre compte. Par ailleurs, la concession est un contrat qui charge un particulier ou une société d’exécuter un ouvrage public ou d’assurer un service public à ses frais, avec ou sans subvention, avec ou sans garantie d’intérêt et qui les rémunèrent en lui confiant l’exploitation de l’ouvrage public ou l’exploitation du service public avec le droit de percevoir des redevances sur les usagers de l’ouvrage ou sur ceux qui bénéficient du service public. La régie intéressée quant à elle est un contrat par lequel la collectivité publique confie à un tiers public ou privé la gestion ou la gestion et l’entretien d’un service. Celui-ci exploite le service pour le compte de la collectivité, qui assure l’intégralité des dépenses et recueille la totalité des recettes du service. Elle agit en tant qu’agent public ou « mandataire » de la collectivité qui conserve la direction du service. Le régisseur est rémunéré d’une part, directement par la collectivité (garantie de recettes) et, d’autre part, en tenant compte en partie, de sa performance en gestion, nécessaire à l’équilibre du contrat. Enfin, la gérance est un contrat par lequel la collectivité publique confie à un tiers de droit public ou privé la gestion ou la gestion et l’entretien d’un service. Ce tiers exploite le service pour le compte de la collectivité, qui, elle, assure l’intégralité des dépenses et recueille la totalité des recettes du service. Il agit en tant qu’agent public ou « mandataire » de la collectivité qui conserve la maîtrise du service. Le gérant est rémunéré directement par la collectivité. Dans le contrat de gérance, l’autorité organisatrice assure, en cas d’insuffisance des recettes, la couverture des dépenses exposées par l’exploitant, dans la limite d’un budget annuel qu’elle approuve ; en cas d’excédent des recettes sur les dépenses, l’excédent est versé à l’autorité organisatrice. L’exploitant perçoit une rémunération déterminée en fonction de la nature et du volume des prestations fournies, et éventuellement au moyen d’une prime calculée en fonction de paramètres significatifs de l’amélioration de la gestion du réseau. C’est ce mode de gestion qui est par exemple envisagé pour le Port. Au regard de la définition proposée pour ces différentes modes de gestion déléguée, vous pouvez vous rendre compte aisément qu’aucun d’entre eux n’entraîne dans sa mise en œuvre, un transfert du patrimoine de l’Etat vers un quelconque patrimoine privé. L’objectif poursuivi est de maximiser la bonne gestion et la compétitivité desdites entreprises.
On réalise bien, sur la base de vos explications, que la gestion déléguée présente beaucoup d’avantages pour l’économie béninoise. Mais il y a des craintes qui se cristallisent dans le rang des travailleurs qui ont même décidé d’engager des mouvements de grève pour se faire entendre et enrayer le processus en cours. Qu’en pensez-vous ?
Je dois dire qu’il y a beaucoup de désinformation qui entoure la conception et l’opérationnalisation de ces réformes de la part de personnes de mauvaise foi. Des personnes peu qualifiées se jettent en conjecture et font des spéculations et des raisonnements biaisés sur les projets de réforme. Tout projet d’une telle envergure implique toujours en amont des études et des analyses sur ses implications au plan social. En l’état actuel, il n’est aucunement question de suppression d’un quelconque emploi puisque la gestion déléguée envisagée n’entraîne pas un changement d’objet des sociétés concernées. Il n’y a donc aucun risque de perte d’emploi ou de bouleversement de conditions de vie et de travail des salariés des entreprises concernées par ces mesures. Je voudrais faire un appel à toutes les parties prenantes pour un dialogue franc et constructif en vue d’une mise en œuvre sereine des réformes engagées et ce, pour le bien de tout le peuple béninois.

Propos recueillis par Abdourhamane Touré
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