La rubrique hebdomadaire, « Invité du Lundi », s’est intéressée cette semaine à l’environnement. En marge du 9e Forum africain sur le carbone organisé du 28 au 30 juin, la Directrice du Bureau Afrique de ONU Environnement, ex PNUE, Dr Juliette Biao Koudénoukpo s’est exprimée sur les enjeux de ce forum. L’ancienne ministre de l’Environnement s’est aussi prononcé sur la nécessité pour les africains de mobiliser les ressources à l’interne pour lutter contre les affres des changements climatiques sur le continent.
Dr Juliette Biao Koudénoukpo : « Il est temps de penser à la mobilisation des ressources internes »/Ph:Dr
L’Evénement Précis : Que pensez-vous du neuvième forum africain sur le carbone que vient d’abriter le Bénin ?
Dr Juliette Biao Koudénoukpo : Ce Forum africain sur le carbone est le neuvième mais celui-ci se passe dans un contexte particulier en ce sens qu’il a lieu au lendemain de l’Accord de Paris. Les pays ont ratifié l’accord, les pays se sont ajustés, puisque les luttes contre les variations climatiques n’ont pas commencé à la veille de Paris. Les pays avaient déjà leurs plans d’actions qui commençaient d’une façon ou d’une autre de s’adapter aux changements climatiques. Mais à partir de Paris, cet accord historique, qui est d’ailleurs universel a plus regroupé le monde entier autour d’une et indivisible planète. Les pays ont commencé par s’ajuster à travers leurs stratégies pour aller dans le sens d’atteindre les objectifs de maintenir le réchauffement à 2°celsius. Malheureusement, lorsqu’on regarde les plus récentes négociations à Bonn sur la question des finances sur le climat, on se rend bien compte que les engagements pris par les pays développés sont loin de permettre qu’on puisse réduire l’écart. Onu Environnement a publié son rapport sur l’écart des émissions des gaz à effet de serre et on se rend compte, si la tendance continue, qu’on sera bien loin de maintenir le réchauffement climatique à 2° tel qu’il a été retenu par l’accord de Paris. Pire, si les politiques échouent, on ira droit vers un réchauffement de 4°. Et tout ça se traduit en termes de coûts faramineux sur les pays africains. Ce forum est donc un forum très important pour tirer la sonnette d’alarme et dire qu’il est temps de passer des politiques, des stratégies à l’action. Si les ressources disponibles aujourd’hui ne peuvent nous permettre de réduire l’écart, il est temps de penser à la mobilisation des ressources internes pour pouvoir compléter les ressources externes. D’ailleurs, la conférence de 2015 d’Addis-Abeba sur le financement pour le développement a été sans ambages: il faut mobiliser les ressources internes, non pas pour dire qu’on n’a plus besoin d’aide publique au développement, mais pour dire plutôt que l’aide publique au développement à elle seule ne suffira pas.
Pensez-vous que les pays africains puissent arriver à mobiliser ces ressources à l’interne ?
On a bien les moyens de mobiliser nos ressources internes.
Rien qu’en commençant par réduire les inefficiences au niveau de la production agricole, on fera beaucoup d’économies. On perd plus de 40 milliards avec les récoltes qu’on n’arrive pas à conserver. On perd beaucoup. Sur les questions d’écosystème, le commerce illicite de la faune et de la flore, c’est des milliards qu’on peut économiser. On peut aussi économiser à travers le flux financier illicite, si on arrive à le contrôler. Donc, en interne, il y a bien des créneaux. On peut avoir des idées innovatrices comme dans certains pays tels que le Kenya, où la technologie de l’information est utilisée pour pouvoir contribuer à lutter contre les changements climatiques. Ce sont ces exemples-là que ce forum offre l’opportunité de partager pour que le Bénin puisse aussi en profiter. Je dois dire aussi que le Bénin est dans la droite ligne de lutter contre les changements climatiques, parce qu’il commence par investir de plus en plus dans les énergies propres, l’énergie solaire. Avec ici à Cotonou les autres pays qui sont plus ou moins avancés, on pourra apprendre d’eux pour pouvoir améliorer. C’est en cela que cette neuvième édition du forum africain sur le carbone est importante.
On ne peut parler de lutte contre les changements climatiques sans évoquer le retrait annoncé des Etats-Unis de l’Accord de Paris sur le climat par le président Donald Trump. Quel sera l’impact de ce retrait s’il était confirmé ?
L’annonce du président Donald Trump de retirer les Etats-Unis de l’accord de Paris ne peut que susciter une préoccupation, quand on sait que les Etats-Unis pèsent sur la balance. C’est 15% des émissions de gaz à effet de serre. Ça a créé la panique, et à juste titre. Fort heureusement, on a l’impression de le président Donald Trump, qui est dans sa logique de campagne, est de plus en plus isolé, même par rapport aux Américains eux-mêmes, et aux entreprises américaines qui sont déjà sur la bonne voie de promouvoir les énergies propres. Les Etats-Unis sont forts parce qu’il y a des alliances, et je ne suis pas sûre qu’il y ait beaucoup d’alliances par rapport à ce que nous voyons depuis l’annonce du retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris. Ça a plutôt galvanisé la troupe, même au sein des Etats-Unis comme pour dire qu’il n’y a plus de retour en arrière, qu’on ne peut pas ramer à contre-courant. Il y a de l’espoir et je crois que cette annonce n’est pas encore définitive, étant donné que le Sénat doit pouvoir statuer dessus. On croise encore les doigts et on pense que le président Trump va revenir sur sa décision car ça pèse sur la balance. Non seulement les Etats-Unis font 15% des émissions des gaz à effet de serre, ce retrait pourrait aussi avoir un impact sur la finance climat et pourrait avoir des impacts sur les aides bilatérales. Il ne faut pas se voiler la face, il y aura d’impact mais il y a de l’espoir que le président Trump revienne sur sa décision.
On parle beaucoup du marché du carbone. Que pèse le continent africain sur ce marché et en bénéfice-t-il?
Au cours de ce forum, l’animateur de la session sur le rôle des marchés carbone et des instruments financiers dans l’appui à la mise en œuvre des contributions déterminées au niveau national disait que l’Afrique n’a jamais été prête, et que l’Amérique latine a été prête, l’Asie a été prête. Cela fait une dizaine d’années qu’on entend parler du mécanisme pour un développement propre. On n’est pas très sûrs que les opportunités aient pu être vraiment identifiées pour que les pays africains puissent en bénéficier. En plus, ce qui a entraîné tout ça est qu’on ne s’est pas assuré que les pays africains avaient les capacités et les moyens nécessaires pour pouvoir non seulement identifier les opportunités en termes de mécanisme de développement propre, mais aussi pouvoir traduire toutes les initiatives dans des projets bancables et puis ensuite, avoir accès à ces financements-là. La même chose peut s’appliquer au processus REDD+ (Réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation des forêts, NDLR) et je crois que ce forum va pouvoir faire le point et dire ce qui avait moins bien marché et ce qu’il faut améliorer.
Réalisé par Flore S. NOBIME