Dans le cadre des opérations de lotissement dans la commune d’Abomey-Calavi, la mafia locale capte la rente foncière, au détriment des réserves administratives et sociales, faisant des acquéreurs de parcelles, les vrais dindons de la farce.
Enquête réalisée dans le cadre du projet « Pour des médias plus professionnels au Bénin » de la Maison des médias Thomas Mègnanssan financé par OSIWA
En cet après-midi du 26 avril 2017, le service en charge des contentieux de la mairie d’Abomey-Calavi ressemble à un tribunal de conciliation. Les interminables va-et-vient des usagers traduisent la haute importance du sujet qui les mobilise : les litiges entre acquéreurs de parcelles et propriétaires terriens. Dans une petite salle de réunions toujours animée, le chef du service du contentieux, Malick Tokpo et sa collaboratrice multiplient les séances de conciliation. Sans répit. En moyenne, une dizaine de contentieux accapare leur journée. A la direction des Affaires juridiques de la mairie créée, il y a à peine un an, le remue-ménage s’observe au quotidien. Au tribunal de première instance de première classe d’Abomey-Calavi, environ 1500 dossiers de contentieux fonciers directs ont été enregistrés, rien qu’au premier trimestre 2017. En fait, ces contentieux représentent 95% des affaires traitées par le service de contentieux de la mairie. « Plus de 1500 acquéreurs de parcelles à Calavi n’ont pas retrouvé leurs parcelles dans le répertoire d’état des lieux ; les lotisseurs les ont vendus », soupire Malick Tokpo.
Voies 40 morcelées et vendues à Calavi, une parcelle avec deux titres fonciers et deux propriétaires différents à Akassato, une réserve administrative introuvable à Cocotomey-Centre pour un lotissement bouclé à 80% environ, des aires de jeu morcelées et vendues à Godomey ! Ces différentes situations illustrent bien la mauvaise gouvernance foncière dans la commune d’Abomey-Calavi.
Manœuvres astucieuses
Au cœur du dispositif, les manœuvres frauduleuses lors des opérations de lotissement. « Les opérations de lotissement sont des foires d’empoigne entre les différents acteurs impliqués», déplore Bruno Kangni, président intérimaire du comité de lotissement de la tranche C de Godomey. Le chef quartier de Cocotomey-Centre qualifie le lotissement à Abomey-Calavi de désastre. «De nombreux arrêtés communaux ont fait disparaître le point de chute des réels sinistrés. Depuis 10, 16 voire 20 ans, des sinistrés cherchent désespérément leur point de chute. Pendant ce temps, des bâtiments non prévus dans le plan de lotissement poussent comme des champignons au profit de certaines catégories de personnes sous la bannière des arrêtés », s’offusque-t-il. Le mode opératoire des faussaires est très simple. Supposons que Cocotomey compte mille parcelles pour lesquelles on applique à chacune 35% de coefficient de réduction lors des travaux de lotissement. Très souvent, le nombre d’infrastructures publiques et de réserves administratives prévues pour la zone est largement en deçà de la superficie obtenue en faisant la somme des réductions opérées. La mafia s’organise sur la base des superficies disponibles. «Avant de procéder à la vente de leurs parcelles, des propriétaires terriens créent des voies fictives, qu’ils changent après en parcelles ; ce qui fait gonfler le coefficient de réduction. Lequel va jusqu’à 40% alors que si les choses se passaient dans les normes, il ne devrait pas excéder 20% », dénonce Bruno Kangni.
Gilbert Tossou, chef du service Planification et développement urbain de la direction générale de l’Urbanisme et du Foncier (Dguf), assimile le lotissement à « une manne dont les acteurs se partagent de substantiels reliquats ». Affirmation que confirme l’audit sur le lotissement à Abomey-Calavi, révélateur de graves anomalies. « Quand vous lirez le rapport d’audit sur le foncier à Abomey-Calavi, même si on vous donnait gratuitement des terrains dans la commune, vous allez décliner l’offre », avertit Franck Hessouh, conseiller communal d’Abomey-Calavi. Ledit rapport établit qu’aucun des six lotissements étudiés n’est achevé. Il s’agit des lotissements de six quartiers de Calavi centre : Zétacomè, Gbodjo, Gbodjo-Agamandin et Agamandin, Tokpa-Zoungo, Agori et Sèmè.
Tirer le drap à soi
Pourtant, en matière de lotissement, personne ne veut endosser une quelconque responsabilité. Les différents acteurs se présentent comme des victimes. Elus locaux et municipaux, comités de géomètres, avocats, acquéreurs de parcelles…chacun tire le drap à soi, rejetant le tort sur l’autre. A en croire, Franck Hessouh, ce sont les géomètres qui montrent les réserves aux élus locaux dans le cadre des morcellements et des ventes. Et à Ferdinand Dossou-Yovo, directeur des Affaires juridiques, d’enfoncer le clou : « Les géomètres manipulent les données parcellaires des urbanistes en créant de faux sinistrés et en leur trouvant des actes de propriété».
Tel n’est pas l’avis de Patrice Hounssou-Guêdê, ancien maire de la commune d’Abomey-Calavi. «Il n’est pas juste de dire que le géomètre diminue les parcelles. Avant qu’il ne commence son travail, un préliminaire est fait entre lui et l’urbaniste et qui tient compte des réserves qui abriteront des infrastructures sociocommunautaires. Ceci est soumis à l’autorité préfectorale qui examine et approuve les coefficients de réduction», explique-t-il. Chose curieuse: «Abomey-Calavi, la terre était partagée comme de petits pains entre des élus qui en avaient la chasse gardée », dénonce Franck Hessouh. Au banc des accusés, l’ancien maire de la commune, Patrice Hounsou-Guêdê, Noël Toffon, ancien chef d’arrondissement (CA) d’Akassato, et l’actuel chef d’arrondissement de Godomey qui n’a pas cru devoir répondre à nos questions. Sans toutefois accepter cette accusation, Patrice Hounssou-Guêdê nuance : « Je ne vais pas nier que de telles pratiques existent. Mais quant à vouloir l’imputer au maire, je ne saurai l’accepter. Il faut que les gens m’apportent les preuves de leurs allégations ». Noël Toffon, quant à lui, est constamment cité comme un des « bourreaux» des acquéreurs de parcelles. Joint au téléphone, il n’a pas souhaité se prononcer sur cette accusation.
Ces accusations n’épargnent pas la Justice. Mais Gilbert Togbonon, magistrat, spécialiste des questions foncières, par ailleurs, auteur du Guide sur le foncier réfute ces récriminations : « Dire que la gestion des problèmes fonciers relève d’une combine entre les magistrats et les acteurs du lotissement est archi-faux ». Selon lui, les justiciables n’épuisent pas toujours les voies de droit qui s’offrent à eux. Il y a effectivement la possibilité d’interjeter appel lorsqu’on n’est pas satisfait de la première décision rendue par le juge, et même si on n’est toujours pas satisfait de la décision en appel, on peut se pourvoir en cassation. « Tout n’est pas parfait certes, mais au Bénin, on peut construire et déconstruire tout ce qu’on veut», concède William Kodjoh-Kpakpassou, président du tribunal d’Abomey-Calavi.
L’ignorance des lois par les populations fait également le lit à l’escroquerie des acteurs de lotissement. « Les Béninois doivent comprendre qu’il ne sert à rien d’acheter un terrain et d’en être dépossédé après, pour cause d’ignorance de leur part. Ils doivent donc s’en remettre aux notaires en vue des procédures convenables en la matière », indique Me Aline Dossou-Yovo, notaire à Parakou. Pour réduire les litiges domaniaux, le directeur des Affaires juridiques de la mairie d’Abomey-Calavi, Ferdinand Dossou-Yovo, pense qu’il faut définir les cahiers des charges des différents acteurs de lotissement et les plans fonciers ruraux (Pfr), avant le lotissement. La question du développement du pays exige aussi que l’Etat dégage des superficies à lotir et s’approprie les réserves. Mais le paradoxe est que la plupart des terres appartiennent aux collectivités. Les nombreuses incohérences observées dans le cadre des opérations de lotissement à Abomey-Calavi ont amené certains acteurs de la société civile à créer un Observatoire pour la gestion transparente d’Abomey-Calavi (Ogtac). Il aura fort à faire pour ramener la franchise dans ce domaine.
Avertissements
Relativement aux dysfonctionnements qui marquent les travaux de lotissement, d’aucuns accusent l’Institut géographique national (Ign). Gélase Hounguè, directeur de l’Aménagement et de l’Urbanisme à la mairie d’Abomey-Calavi, évoque son manque d’efficacité. Face à ces reproches, Cyriaque Aguégué, archiviste au sein dudit institut, rectifie : « Au regard de l’arrêté interministériel portant définition des prescriptions minimales à observer en matière d’opérations de lotissement et des opérations foncières urbaines de remembrement en République du Bénin, l’Ign est le bras technique de contrôle des opérations de lotissement. Mais nous sommes de moins en moins sollicités à cause des cabinets privés qui nous ravissent la vedette ». Cette prescription n’est pas respectée. Les mairies se contentent de lancer des opérations de lotissement en vue de disposer des ressources d’investissement pour le développement.
En prêtant le flanc à ces différentes irrégularités, les élus locaux prennent des risques. « Les gens violent la loi et les maires qui continuent de lancer des opérations de lotissement peuvent se retrouver devant les juridictions », avertit le magistrat Gilbert Togbonon. A l’appui de son avertissement, il cite l’article 511 du Code foncier et domanial, « tout lotissement effectué sur un domaine ne disposant pas de certificat de propriété foncière est puni d’une amende de 5 millions de FCfa et d’une peine d’emprisonnement allant de 2 à 5 ans ou de l’une de ces deux peines seulement ». Autre aberration, relève Franck Hessouh, il arrive que des contrats soient signés avec les géomètres qui, à leur tour, sous-traitent avec des agents qu’ils emploient. Ces deniers n’ayant pas les compétences requises, des dégâts s’en- suivent. C’est la loi 2013-01 portant Code foncier et domanial qui consacre la création de l’Agence nationale du Domaine et du Foncier (Andf). Cette agence a pour challenge de « tout faire pour juguler les litiges domaniaux » sur l’ensemble du territoire national, et particulièrement à Abomey-Calavi, indique Fabrice Kossou, chef département opération foncière et technique de l’agence.