Au marché Tokpa d’Abomey-Calavi, les femmes sont les premières actrices de la vente des poissons d’eau douce. Une activité qu’elles exercent avec la complicité des hommes. Elles sont en amont et en aval des activités liées à la pêche.
Dame Marie-Pascaline Houngbédji a bravé la pluie de ce samedi 1er juillet pour faire ses emplettes au marché Tokpa d’Abomey-Calavi. Son objectif, acheter quelques condiments et surtout des poissons d’eau douce pour faire la cuisine pour sa petite famille. Il est 16 h 07. Il y a de l’affluence. Difficile de se frayer un passage au milieu des vendeuses et des acheteurs. Plus difficile encore est la maîtrise des mouvements de véhicules qui circulent en plein cœur du marché. Circuler aisément dans le marché est davantage difficile en raison des tas d’ordures entreposés çà et là et de la boue qui s’érige en maître par ces temps pluvieux. Mais l’instant est privilégié pour les achats. Les poissons d’eau douce en l’occurrence. Ils sont très appréciés des populations. Les clients, pour la plupart des femmes, se dirigent vers les vendeuses de cette ressource halieutique. Les unes avec des petits sacs plastiques en main, les autres avec des sachets ou encore de petites bassines. Attroupées autour des vendeuses, ces clientes sont en quête de meilleurs morceaux de poissons pour faire la cuisine. Les négociations du prix de poisson durent plusieurs minutes et prennent parfois l’allure d’une discussion houleuse. Certaines clientes cèdent à la surenchère. D’autres repartent, bredouilles. A Calavi, le poisson frais a un coût selon sa qualité. Pour le procurer, il faut s'armer de patience et aimer communiquer. Le souci des vendeuses est de livrer la marchandise au meilleur prix.
Le marché Tokpa d’Abomey-Calavi compte plusieurs stands qui approvisionnent une clientèle très exigeante. Pour les connaisseurs en poissons d’eau douce, le choix est embarrassant.Il en existe de différentes tailles et formes pour préparer des mets succulents et sains. Ici, on retrouve le tilapia appelé ‘’Akpavi’’ en langue fon, le poisson ‘’Djan’’ en goun ou ‘’Bololo’’ en mina et ‘’finmou’’ par les fon. On distingue aussi les variétés telles que ‘’Zavoun’’, ‘’ Tchèkè’’, ‘’Houétin’’, ‘’Gban’’, ‘’Guésou’’ et les ‘’Xwa’’.
Que de difficultés !
Célestine Hounkpè communément appelée ‘’Maman Francis’’ est l’une des vendeuses les plus réputées du marché. C’est depuis son enfance qu’elle a pris goût au commerce du poisson. En dépit de ses difficultés dans le métier, elle s’y accroche. Si ce n’est pas la morosité ambiante, c’est que les vendeuses sont exposées à l’insécurité et aux intempéries. Aucun stand pour les abriter. C’est un marché à ciel ouvert où se faufilent les motocyclistes et les voitures. « Nous n’avons pas d’emplacement, nous restons au soleil à longueur de journée. Les véhicules disputent le passage avec nous », se plaint-elle.
A cela s’ajoute la mévente. « Nous nous approvisionnons parfois chez les hommes et ne trouvons pas de clients. Dans ces conditions, nous sommes obligées de céder la marchandise à vil prix aux clients providentiels. Ce qui constitue des pertes pour nous », raconte-t-elle.
L’autre difficulté est relative à la fluctuation du coût d’approvisionnement des poissons chez les pêcheurs. Le prix de revient de la marchandise n’est pas standard. Ce qui crée parfois des manques à gagner aux vendeuses. « Ce que nous achetons chez les hommes à 2500 F Cfa par exemple, il arrive que nous le cédions à 2300 F compte tenu des contraintes du marché », explique-t-elle.
« Nous avons des difficultés pour nous approvisionner et pour vendre. Il nous faut un emplacement sur le quai pour plus de visibilité », se plaint Henriette Kpotè.
Jusqu’à un passé récent, les vendeuses de poisson disputaient les mêmes hangars avec les vendeuses de condiments et d’autres produits dans le marché Tokpa d’Abomey- Calavi. Elles étaient installées au cœur du marché. Avec le temps, elles ont dû changer d’emplacement. Ce qui ne les rend pas toutes visibles.
Si les poissons d’eau douce continuent d’être très prisés des habitants d’Abomey- Calavi et environs, les vendeuses doivent redoubler de dynamisme pour faire couler leurs marchandises.
Autrefois, les poissons abondaient et étaient à la portée de toutes les bourses. Avec le temps, les données ont changé. « Il y a quelques années en arrière, nous vendons jusqu’à 20 000 F Cfa par jour. Aujourd’hui, c’est très difficile d’atteindre la barre de 10 000 F Cfa », soupire Henriette. En fin de journée, la marchandise non écoulée est exposée au bord de la voie et cédée à vil prix. En cas de mévente, le reste du stock passe au salage et au séchage ou encore au fumage en vue d’éviter des pertes sèches, explique-t-elle.
Toutefois, cette activité constitue tout leur espoir. « Nous ne détenons pas de parcelles, encore moins d’autres richesses en dehors du lac », dit-elle implorant les élus locaux et autres autorités à améliorer leur cadre de vente.
Les poissons d’eau douce ne sont pas les seules spécialités du marché. A côté des vendeuses de poisson, il y a celles de crustacés (crabes, crevettes fraîches, huîtres…).
Pour leur part, les clientes doivent également composer avec les écailleuses, dernières actrices de la chaîne de vente. Elles assurent le service final en enlevant les écailles des poissons. Dotèwé Hounsa a fait du chemin dans ce domaine, sans pour autant s’épanouir. « Il arrive que nous nous coupions les doigts avec le couteau par mégarde alors que les recettes issues du job sont insignifiantes. Avec la morosité économique, c’est difficilement que nous arrivons à gagner 150 ou 200 F Cfa sur un tas de poissons de 2000 F. Parfois, nous gagnons à peine 300 F dans une journée, mais lorsque le marché coule bien, nous comptons une dizaine de clientes par jour », explique-t-elle.
Une affaire des deux sexes
La commercialisation de poisson d’eau douce mobilise les deux sexes. Les hommes assurent la pêche et vendent ensuite leurs produits aux femmes. Tout commence la nuit et s’achève au petit-matin. « La pêche nocturne est très florissante. Elle se déroule de 22 h à l’aube et sans éclairage. Pourtant, nous voyons en profondeur du lac et ramenons des poissons », sourit François Hounguè, la cinquantaine. Il souligne que lui et ses collègues se préparent en conséquence avant d’aller sur le lac la nuit.
Pourtant, cette étape se révèle parfois une aventure risquée. Les femmes s’en inquiètent : « L’une de nos préoccupations porte sur les souffrances qu’endurent les pêcheurs sur le lac, car la force que déploie le lac est plus intense que celle observée sur l’embarcadère », confie Henriette Hounkpè.
Mais les pêcheurs semblent minimiser ces risques. « En période de fraîcheur et de pluie, nous prenons beaucoup de risques certes, mais il arrive que les gens meurent dans des accidents de la circulation. Même dans nos chambres à coucher, la mort peut nous rattraper. En cas d’accident ou de détresse, nous sollicitons des secours », souligne François Hounguè.
Malheureusement, les risques encourus lors de la pêche ne permettent pas toujours aux pêcheurs de réaliser d’importants bénéfices. «Nous y allons de jour comme de nuit et revenons parfois sans un seul kopeck », souligne-t-il. En dépit des périodes de vaches maigres auxqu’elles ils sont confrontés pendant la décrue, la pêche mobilise encore la toute leur énergie. « Nous n’avons pas d’autres sources de revenus », sourit encore le quinquagénaire.
Toutefois, nuance-t-il, pendant la période faste (mai, juin, juillet), la moisson est abondante en raison de la saison pluvieuse. « Lorsque le marché est florissant, nous faisons des ‘’acadja’’(systèmes de branchages dans l’eau qui servent de refuge aux poissons ). C’est cela notre richesse ». Mais tout dépend des filets utilisés. Pour pêcher des poissons en quantité et en qualité, il faut des filets spéciaux.
Si les revenus issus de ces activités ont baissé, c’est également du fait de la main-d’œuvre importante qui s’y adonne. Ils sont aujourd’hui plus de deux cents pêcheurs à faire carrière dans le secteur. « Du temps de nos pères, les poissons abondaient et nous n’étions pas nombreux. Aujourd’hui, nous sommes des dizaines à embrasser cette carrière, ce qui diminue nos chiffres d’affaires. Il n’y a pas d'autres activités par ici et il arrive également que le lac tarisse ».
Les vendeuses de poisson tout comme les pêcheurs attendent le financement de nouveaux projets pour conjuguer leurs difficultés au passé. Selon leurs témoignages, les projets dont ils avaient bénéficié datent du régime Kérékou. Leur souhait est que le Gouvernement actuel procède à la réfection du marché et les dote de nouvelles machines dont ils pourront se servir pour la pêche. En attendant, les sachets et autres déchets qui polluent la surface de l’eau trahissent la beauté de l’embarcadère qui donne accès au lac.
Présentation du marché
Le marché Tokpa d’Abomey-Calavi fait corps avec l’embarcadère érigé dans le même bâtiment que la Direction des professions et établissements touristiques, dont les agents assurent le voyage des touristes vers Ganvié, Sotchanwé et Sô-Ava. C’est l’un des plus grands et anciens marchés de poisson de la commune. Il est très fréquenté les jours ouvrables comme en week-end. Outre les habitants de la localité et des zones environnantes, les gérants de restaurants et hôtels des autres villes y vont régulièrement pour s’approvisionner.
M. A.