L’ancien Président de la République du Bénin, Nicéphore Dieudonné SOGLO est revenu au bercail, en provenance de la Côte d’Ivoire. Invité par son frère et ami, le Président de la République de Côte d’Ivoire Alassane Dramane OUATARA, pour co-parrainer la cérémonie de la route de l’Esclave, l’ancien Président Nicéphore Dieudonné SOGLO a accordé à la presse une interview. Il évoque l’exemple du Bénin qui sous sa gouvernance en 1990, 1992 et 1994 qui a été le premier à faire valoir ce douloureux passé qui continue d’inspirer les autres pays de la sous-région. Nicéphore Dieudonné SOGLO annonce qu’il va s’investir davantage dans la modernisation de la Route de l’Esclave du Bénin laissé dans un état vétuste.
Vous avez récemment été invité par les autorités de Côte d’Ivoire à un grand événement, le Lancement de la Route de l’Esclave. Avez-vous pu honorer cet engagement ?
Oui, j’ai assisté en Côte d’Ivoire, au lancement par les autorités, de la Route de l’Esclave. C’est une campagne d’information de dimension planétaire, qui permet de réfléchir aux voies et moyens pouvant alors aider les peuples noirs naguère opprimés comme les indiens d’Amérique, les aborigènes d’Australie et de relever avec le soutien de tous les peuples du monde le défis de développement
C’est quoi la Route de l’Esclave, monsieur le président ?
La Route de l’esclave c’est ce commerce abominable, la plus longue déportation de l’histoire humaine qui a duré 4 siècles et qui s’est déroulé entre l’Europe, l’Afrique, l’Amérique et aussi le Moyen-Orient. Cette monstrueuse hémorragie a vidé notre continent de 100.000.000 d’hommes de femmes et d’enfants et cela faisait suite au génocide des indiens d’Amérique dénoncé par le dominicain Las Casas et Alexis de Tocqueville. Les rescapés de ce génocide vivent désormais dans des réserves indiennes sorte de zoos humains.
Tout a commencé en 1991 à Port-au-Prince en Haïti, avec la première réunion internationale d’experts. Au cours de cette réunion, le témoin a été passé à notre pays qui a géré cet important projet jusqu’à son inscription effective au programme Ordinaire de l’UNESCO et sa prise en charge par l’Organisation Internationale. Nous devons ici, rendre un hommage particulier à l’ancien Directeur Général de l’UNESCO, Monsieur Federico MAYOR qui a su apprécier à sa juste valeur, l’enjeu d’un tel projet, en l’intégrant dans ses programmes. Car c’est la 29ème session de la Conférence Générale de l’UNESCO qui a adopté le Programme la Route de l’Esclave pour :
a- Briser le silence sur ce crime contre l’humanité ;
b- Mobiliser les communautés scientifique, culturelle, artistique, la jeunesse et la société civile contre l’oubli ;
c- Promouvoir les valeurs de tolérance, de respect et d’appréciation de l’égale dignité de tous les êtres humains.
La conférence de lancement a eu lieu le 1er Septembre 1994 à Ouidah (Bénin).
La Côte d’Ivoire est donc en train de dupliquer le projet béninois ?
Nous le constatons avec joie, mais aussi avec gravité car c’est le premier point de la feuille de route adopté en 2006 à Maputo par les anciens Chefs d’Etats et de Gouvernements d’Afrique sous le haut patronage de Nelson MANDELA car du Cap Blanc au Cap Gardafui, l’Afrique au sud du Sahara fut enserrée dans un réseau de forts, de prisons terrestres et maritimes qui préfiguraient les camps de déportation et d’extermination de la seconde guerre mondiale en Europe. Et il faut offrir une sépulture aux âmes de ceux dont les corps ont été enterrés dans les deux Amériques et les Caraïbes comme l’a fait l’empereur d’Ethiopie.
Vous avez trouvé un intérêt à ce projet que vous avez réalisé à l’occasion de votre passage à la tête de l’Etat béninois ? Avez-vous convaincu les autorités ivoiriennes à dupliquer cela ?
J’ai eu beaucoup de chances avec Monsieur BANDAMAN, le très dynamique et efficace Ministre de la Culture et de la Francophonie de la Côte d’Ivoire et son comité scientifique. Le Président Alassane Dramane OUATARA a tout naturellement mis à sa disposition, les ressources nécessaires et tout cela se déroulait sous l’œil vigilent de la grande historienne Madame Henriette DIABATE, la Grande Chancelière de Côte d’Ivoire. Tous les ingrédients étaient donc réunis pour un éclatant succès. Et le Vice-Président Daniel Kablan DUNCAN a célébré cette messe en présence d’une grande partie de la diaspora noire d’Amérique dont le grand footballeur Lillian THURAM. Et d’autres sommités d’intellectuel d’Afrique tel que Elikia M’BOKOLO
Vous voulez dire que vous avez pris part à une cérémonie particulière ?
Mais Oui ! Jamais de ma vie, je n’ai vécu en moi ce que j’ai vécu en une semaine en Côte d’Ivoire. C’est une prise de conscience et, pour moi, j’ai le sentiment qu’on a semé et que ça a commencé par germer de partout. Pour la nouvelle génération, ce qui est le plus important, c’est que nous ne faisons pas ça pour promouvoir les scientifiques mais nous voulons promouvoir les valeurs de tolérance dans plusieurs domaines, dont le domaine religieux. Quand je suis passé sur la chaine de télévision ivoirienne, j’ai dit que j’ai des parrains qui ont pour nom, Aimé Césaire, le Pape Jean Paul II, qui m’a encouragé, alors qu’il y avait de l’opposition entre les religions de notre pays, à aller de l’avant. La cérémonie à laquelle j’ai pris part est extraordinaire, phénoménale. C’est la preuve que les pays africains sont sur la voix de la Renaissance parce qu’ils ont pris conscience des maux sur lesquels il faut miser pour démarrer une nation. Il faut avoir la mémoire, l’énergie, la révolution verte, la communication ainsi que toutes les Techniques de l’information et de la communication. Ce que j’ai vécu était vraiment phénoménal.
En tant que pionnier de ce projet, pensez-vous que le gouvernement ivoirien a bien mis sur pied ce projet ?
Vous me donnez l’occasion de rendre un hommage particulier au ministre de la culture, Monsieur BANDAMAN, qui a fait un travail extraordinaire. Je l’avais vu lors d’une réunion à Abidjan des Maires de l’Afrique francophones et je lui ai rappelé que le chemin de la renaissance passe par le devoir de mémoire, ce qui a été rappelé par le président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara. Le président ivoirien a mis les moyens nécessaires à la disposition du ministère pour que cette idée devienne une réalité. Il a été mis sur pied un comité scientifique de très grande valeur. La Côte d’Ivoire nous rend fier d’être africain.
C’est ce qui explique que vous vous replongiez, depuis votre retour, dans la mission confiée par votre maitre à penser ?
Le Congo Brazzaville m’a aussi envoyé à plusieurs reprises des personnes ressources à qui j’ai donné des idées pour des projets. Il faut aussi aller vers tous les gouvernements et surtout en Afrique orientale, là où les noirs ont été déportés. C’est ce que nous devons faire. Le suivi que nous devons faire, c’est qu’il faut que les gens se remettent les priorités en tête. On ne fait pas n’importe quoi quand on est à la tête d’un Etat. Il faut lui donner des priorités. Celles que nous avons fixées à Maputo restent valables jusqu’à présent. Il s’agit du devoir de mémoire, l’énergie sans quoi il ne peut avoir le développement, la révolution verte, la communication, le travail à la jeunesse car, beaucoup meurent et sont jetés dans la méditerranée. Quand il y avait le génocide des aborigènes en Australie, on ne voyait pas le désordre épouvantable que c’était. Il y a aussi eu d’autres génocides mais, ce que nous voyons actuellement sous nos yeux est un début de génocide. Nous voyons des milliers de jeunes qui quittent leur pays à cause de la misère avec près de 2.000 morts dans la méditerranée, tous les ans. Il est temps que les chefs d’Etat d’Afrique noire fassent le voyage en Pétouza pour trouver les vraies solutions à ce problème.
Vous revenez de la Côte d’Ivoire pour le lancement de ce projet mais dans votre pays, celui que vous avez lancé est en ruine, monsieur le président ?.
Nous avons en effet un devoir de suivi sinon les mânes de nos ancêtres vont nous maudire. Vous ne pouvez pas vous développer si vous oubliez ceux qui vous ont précédé.Je vais m’impliquer une nouvelle fois dans cette douloureuse histoire. Je vais rencontrer un certain nombre d’ambassades, d’organisations, réveiller la conscience des compatriotes parce qu’ils ne peuvent pas oublier les morts. Comme le disent les grands poètes, les morts ne sont pas morts. Ils sont présents dans notre vie de tous les jours et ça nous donne une nouvelle force pour continuer ce combat. Beaucoup ne sont plus de ce monde. Mais si nous sommes là, je pense que tant que tu n’as pas fini la mission que Dieu t’a confiée il te reste du travail à faire et je ne pense pas baisser les bras.
Comment avez-vu Abidjan durant votre séjour ?
Le pays est sorti d’une guerre civile dévastatrice. La Côte d’Ivoire a eu la chance d’avoir comme président celui qui a été le vice-président du Fonds monétaire international. Il y a mis son savoir-faire, son carnet d’adresse et son amour pour la patrie. C’est vrai que tout est à refaire. Il faut faire revenir tous les enfants d’Afrique pour qu’on puisse, ensemble, rebâtir notre continent.
Pour vous qui plaidez chaque fois pour une confédération en Afrique de l’ouest. En avez-vous parlé avec le President Ouattara ?
Il ne s’agit pas seulement de le dire ici. J’en ai parlé longuement avec le président de la Banque africaine de développement, un homme remarquable qui a aussi été l’un des plus grands ministres de l’agriculture au Nigéria. Le problème que nous avons, nous le connaissons, c’est la jeunesse. Quand on prend un pays comme les Etats Unis, la plus grande puissance du monde, on peut tirer exemple de ce qu’ils ont fait. Si vous sortez la Californie qui est le 8ème Etat le plus puissant du monde, le Texas, 12ème Etat plus puissant du monde, ils ont trouvé utile d’être dans une fédération de 502 hectares qui a une seule monnaie. Or, ici, nous avons dans la Cedeao, le Nigéria avec deux cent millions d’habitants. Le reste des populations est d’à peu près cent à cent cinquante millions d’habitants. Nous avons la taille et c’est la bancarisation qui est notre mal. Il faut comme les autres pays, avoir une seule monnaie. On en a parlé. C’est des affaires qui se traitent doucement et nous devons avoir une monnaie d’ici trois à cinq ans. On ne peut pas être indépendant si on n’a pas une dignité monétaire et aussi une armée fédérale. Il nous faut des armées capables de défendre nos frontières terrestres, surtout vers le nord où des pays financent BokoHaram. Il faut une véritable armée pour dire à ces gens qu’il faut arrêter leur pratique contre notre ensemble. Il faut défendre non seulement nos frontières terrestres, mais aussi maritimes. Car les gens viennent piller chaque jour nos richesses. Il faut avoir une armée capable de défendre ces frontières, même aériennes. Ce n’est que la Cedeao qui nous permettra d’avoir ces résultats comme la Sadec en Afrique australe et la Fédération de l’Afrique orientale permet de l’avoir même en Afrique centrale.
Propos recueillis pour Matin Libre par Mike MAHOUNA