La mesure de suspension du Maire de Cotonou, appelle de ma part les observations suivantes :
I- Sur la forme
L’analyse des dispositions des différentes lois à savoir :
– La loi N° 97-0028 portant organisation de l’Administration Territoriale en République du Bénin.
– La loi N° 97-0029 portant organisation des Communes en République du BENIN.
– La loi N° 98-005 portant organisation des Communes à statut particulier en République du BENIN.
– La loi N° 98-007 portant régime financier des communes en République du BENIN.
– La loi N°2013-06 du 25 Novembre 2013 portant code électoral.
– Les différents décrets d’application des lois de décentralisation pris à partir du 15 Octobre 2001 pour donner suite à l’organisation des élections communales et municipales courant Décembre 2002 et Janvier 2003 première mandature, appréciant les enjeux de la décentralisation tels que consacrés par le législateur face aux grands défis que constitue le phénomène de destitution des Maires de nos communes, il urge d’apporter des avis techniques pour éclairer les autorités compétentes dans la prise des décisions sur les lois et l’esprit des lois. Mes différentes fonctions exercées au niveau de l’exécutif et du législatif, me permettent de donner mon point de vue sur un dossier aussi important pour la nation.
II- Sur le fond
La mesure de suspension du Maire fait suite à plusieurs tentatives de destitution à l’échelle nationale.
En effet la loi N° 97-029 du 15 Janvier 1999 portant organisation des communes au Bénin, énonce en son article 53 : En cas de désaccord grave ou crise de confiance entre le Conseil Communal et le Maire, le Conseil peut par vote de défiance à la majorité des 2/3 des Conseillers, lui retirer sa confiance. Le vote a lieu à la demande écrite de la majorité absolue des Conseillers. Le Préfet, par Arrêté, constate cette destitution.
Outre les dispositions consacrées par le législateur, le gouvernement a par décret N° 2005-376 du 23 juin 2005 fixé les modalités de destitution du Maire. Ainsi, est-il mis en place un comité de conciliation de 3 membres par le Préfet pour tenter de concilier les parties en conflit dans un délai de 15 jours dès réception de la motion des dissidents. Ce comité a également 15 jours pour constater par procès verbal le succès ou l’échec de la tentative de conciliation. C’est donc à l’issue de l’échec des tentatives de conciliation ou de médiation que le Maire à l’obligation de réunir sans délai le Conseil Communal ou Municipal pour enclencher le processus de destitution. En cas d’urgence ou l’inaction de ce dernier, c’est l’autorité de tutelle qui convoque d’office la session de destitution.
En dehors de cette latitude reconnue aux Conseillers dans le cas de destitution du Maire, l’article 54 et suivants accordent la possibilité aux autorités centrales d’enclencher également la procédure de destitution des Maires en cas de faute lourde « Le Maire ou son Adjoint qui commet une faute lourde peut être révoqué de ses fonctions. La faute lourde est constatée par l’autorité de tutelle qui après avis du Conseil départemental de concertation et de coordination en dresse rapport au Ministre chargé de l’Administration Territoriale. Celui-ci peut prononcer la suspension du Maire ou de son Adjoint et proposer le cas échéant la révocation en Conseil des Ministres ».
Les faits ci-après constituent les fautes lourdes (article 55 de la loi) :
– Utilisation des fonds de la Commune à des fins personnelles
– Prêts d’argent effectués sur le fonds de la Commune
– Faux en écriture publique. Refus de signer ou de transmettre à l’autorité de tutelle une délibération en Conseil Communal.
– Vente ou aliénation abusive des biens domaniaux
– Toutes violations des règles de déontologie administrative
Que dire de la procédure de suspension ou de révocation du Maire ?
Conformément à l’article 56 de la loi 97-029 du 15 janvier 1999 « La suspension prévue à l’article 54 ci-dessus a lieu par Arrêté du Ministre chargé de l’Administration territoriale et la révocation par Décret pris en Conseil des Ministres.
Toute suspension d’un Maire ou d’un Adjoint doit être précédée d’une audition de l’intéressé par le Conseil Départemental de Concertation et de Coordination visé à l’article 54 ci-dessus ou d’une invitation à fournir des explications par écrit audit Conseil. La suspension ne peut excéder deux mois. Passé ce délai, le Maire ou l’Adjoint suspendu est rétabli d’office dans ses fonctions ».
Toute décision de suspension ou révocation est susceptible de recours pour excès de pouvoir devant la juridiction administrative compétente.
S’agissant du Conseil Départemental de Concertation et de Coordination créé par l’article 16 de la loi N° 97-028 portant organisation de l’administration territoriale, il s’agit pour le législateur de protéger l’autorité élue contre les abus de l’autorité de tutelle dont la fonction essentielle est l’assistance conseil ou le contrôle de légalité et non d’opportunité.
En créant le Conseil Départemental de Concertation et de Coordination, la volonté du législateur est de faire apprécier la faute lourde reprochée au Maire par ses paires et aux représentants élus de la société civile comme l’atteste sa composition ci-dessous :
Le Conseil Départemental de Concertation et de Coordination est composé :
– du Préfet du département (autorité de tutelle)
– des Maires des Communes et leurs Adjoints
– d’un Représentant de l’Union Départementale des Producteurs
– d’un Représentant de la Chambre Départementale
– D’un représentant de la fédération départementale des associations des parents d’élèves.
Le choix de ces trois (03) représentants se fait par élection dans le respect d’égalité du droit à l’éligibilité pour l’homme et la femme, conformément à l’article 26 de la constitution du 11 Décembre 1990. L’article 20 de la loi énumère que ce conseil d’élus réunis délibère et fait des recommandations au Préfet.
A la lecture de l’ensemble des dispositions sus-énoncées il convient de faire observer :
Nous sommes dans une administration écrite et non dans une administration de l’oralité. Dans le cadre de l’audition organisée par le Préfet, s’il est prouvé un refus au Maire d’apporter des réponses écrites aux questions pourtant écrites, cela violerait la transparence administrative, le respect des droits de la défense.
L’adaptation de l’administration aux impératifs d’une Société démocratique exige l’application des règles de procédures administratives pour éviter que des actes pris ne soient entachés d’irrégularité du fait de vice de forme.
Le législateur en consacrant un conseil départemental de concertation et de coordination pour connaitre le cas de suspension du Maire ou d’un Adjoint pour en délibérer n’a pas institué par hasard un « Gadget » qui pourrait permettre, une décision unilatérale du préfet, une autorité nommée, à suspendre un maire qui du reste est une autorité élue. Le législateur en absence d’un second niveau de décentralisation a créé cet organe dont les avis sont obligatoires et non facultatifs.
Le compte rendu intégral des débats parlementaires à la séance du 28 juillet 1997 consacrés à la loi d’orientation portant organisation de l’administration territoriale au Bénin montre clairement la nécessité de soustraire le Maire de la tutelle pesante du Préfet. A cet effet, le député HONAVI AKPO déclarait : « je félicite la commission des lois pour avoir initié la création du Conseil Départemental de Concertation et de Coordination ; c’est un véritable garde-fou contre l’abus de certains préfets »
Le député Isidore GNONLONFOUN déclarait : «je voudrais féliciter tous les membres de la commission pour avoir su créer au travers de l’article 20 et suites le Conseil Départemental de Concertation et de Coordination qui en fait est déjà une porte ouvert pour le deuxième niveau de décentralisation »
L’analyse juridique de cette forme de concertation permet d’établir une garantie au Maire pour ceux qui sont consultés (En l’occurrence le conseil départemental de coordination et de concertation). Le régime juridique des consultations est complexe. On distingue les avis obligatoires et les avis facultatifs.
Avec les premiers l’administration est obligée de procéder à une consultation qui doit être effective, loyale et complète, l’avis n’étant pas impératif, l’administration est ensuite libre de sa décision à condition de ne pas adopter des dispositions entièrement différentes de celles qui ont fait l’objet de la consultation et de ne pas statuer sur les points nouveaux.
L’avis facultatif, au contraire, par définition n’entraine aucune obligation pour celui qui consulte. C’est de sa propre initiative qu’il décide de consulter et il n’est nullement tenu de suivre l’avis qui est donné.
Le conseil d’Etat (CE) a pu contester cette liberté laissée à l’administration « Si l’administration choisit sans y être obligée la voie de la consultation, elle doit la suivre jusqu’au bout ; si elle entend jouer le jeu de la participation, elle doit le jouer complètement….Saisir une commission d’un projet et ensuite adopter un projet différent c’est donner l’impression que la consultation a été au mieux un dérangement inutile et au pire un piège.
Somme toute, la procédure de suspension du Maire est encadrée par les articles 17-19 et 20 de la loi 97-028 du 15 Janvier 1999 et les articles 54-55-56 de la loi N° 097-029 du 15 Janvier 1999. Compte tenu de tout ce qui précède le préfet a donc l’obligation d’accéder à la demande du Maire qui aurait souhaité répondre par écrit à une audition écrite dont les questions écrites ne sont pas jointes à l’invitation. Il s’agit là d’une interprétation erronée des règles et pratiques administratives par le Préfet.
Claude Cossi DJANKAKI
– Administrateur des Finances à la retraite
– Expert Consultant en Finances Publiques et Décentralisation
– Ancien Directeur des Etudes et de la Planification (DEP) MISAT 1986-1989
– Ancien Chef de Cabinet du MISAT
– Chargé du projet tripartite Franco-Bénino-Allemand d’appui à la Décentralisation/Déconcentration et du comité interministériel de suivi des avant-projets des lois de décentralisation 1993-1996
– Etc.
– Auteur de l’ouvrage le BENIN Décentralisé, Tome 1 & 2
– La décentralisation au BENIN, l’impasse, le Cas de la Commune d’Abomey-Calavi.