Achats massifs de terres en milieu rural, non respect des textes sur le foncier domanial, non respect de la réglementation sur la gestion de l’espace en milieu rural…l’urbanisation mal conduite réduit gravement les terres agricoles dans le Sud du Bénin. Tout ceci dans la jungle de la spéculation foncière.
Christian HOUNONGBE
La poussée démographique fait partie des causes du recul des terres agricoles dans le Sud du Bénin, notamment depuis la Côte jusqu’à la latitude de Bohicon (100 km au Nord de Cotonou). C’est ce que pense Apollinaire Hounsou, secrétaire Général de la Mairie de Zê : « La population s’accroit. Les zones sont appelées à être viabilisées et les paysans vendent les terres, vu qu’elles prennent de la valeur marchande », explique-t-il. Par ailleurs, le désir ardent d’acquérir un terrain pour construire sa propre maison d’habitation est un sentiment largement partagé chez les Béninois. Conséquence, « bon nombre de Béninois s’intéressent à la terre, ignorant tout de sa fonction agricole », regrette Coffi Justin Noumon, ingénieur agronome, spécialiste du génie rural. En réalité, l’extension des grandes villes comme Cotonou, Porto-Novo, Abomey-Calavi, Lokossa provoquent l’érection massive de maisons d’habitations dans les communes périphériques qui étaient pour la plupart des milieux ruraux. C’est ce constat que confirme la Délégation à l’Aménagement du territoire(DAT) et des données de l’Institut national de la statistique et de l’analyse économique (INSAE). « Les quatre départements à façade maritime (Littoral, Atlantique, Ouémé, Mono) abritent 37% de la population sur 5 % de la superficie totale du pays avec une densité de 588,29 au kilomètre carré ; ce qui entraine une forte pression sur le milieu rural de ces départements et leurs périphéries. Le seuil du passage de la terre agricole au sol urbanisable est vite franchi », alerte la DAT dans le rapport sur le dynamisme et l’attractivité des territoires au Bénin publié par en 2014. Le Bulletin de la Recherche Agronomique du Bénin (BRAB) publié par l’INRAB en septembre 2014, révèle que les résultats des trois premiers recensements généraux de la population ont établi que de 1921 à 2002, le taux d’accroissement de la population de la ville de Cotonou a été de 30% et sa fonction résidentielle a été récupérée par les communes environnantes d’Abomey-Calavi, de Ouidah, d’Allada, de Tori-Bossito, de Zè et de Toffo . Par exemple, « seuls deux arrondissements de la commune d’Abomey-Calavi (Zinvié et Kpanroun) restent en milieu rural avec des superficies disponibles pour l’agriculture » renchérit Patrice Hounsou-Guèdè, ancien maire de la commune.
En effet, la population béninoise a été multipliée par cinq en cinquante ans. Entre 1961 et 2013, passant de 2 106 000 à 10 008 749 habitants. Cette forte croissance démographique s’est traduite par une accélération du taux d’urbanisation qui s’est presque triplé selon les données fournies par l’INSAE sur la base du quatrième Recensement Général de la Population. Cette urbanisation au Sud-Bénin est en grande partie cristallisée dans les départements du Littoral, de l’Atlantique, du Mono, du Zou, l’Ouémé autour des grandes villes de cette partie du pays. Mais le phénomène ne ralentira pas de si tôt. « Le taux d’urbanisation a presque triplé en 50 ans et d’ici 2020, plus de la moitié des béninois vivra en ville », précise la DAT sur la base des données de l’INSAE. « C’est ce processus d’extension de la ville qui a conduit à la requalification fonctionnelle de l’espace rural et le passage de la terre agricole au sol urbanisable dans plusieurs communes sans aucune norme », estime Dr Clément Codjo Gnimadi, Spécialiste en Economie Locale et Développement Participatif, du Centre Béninois de la Recherche Scientifique et Technique dans le BRAB.
« …..les paysans vont manquer de terres cultivables »
L’explosion démographique seule ne saurait expliquer le phénomène. Depuis une quinzaine d’années, le Gouvernement béninois, a pris l’initiative de doter les Communes d’outils de planification spatiale et d’aménagement tel que les Schémas Directeurs, les Plans Directeurs d’Urbanisme, les Plans d’Occupation des Sols, etc. qui définissent les différentes zones d’implantation (agricoles, d’habitation). Plus d’une trentaine de Plans Directeurs et Plans d’Aménagement ont été réalisés par l’Etat, avec l’appui des Partenaires Techniques et Financiers. Cependant, ces documents de planification ne prévoient ni le financement des actions identifiées, ni les mécanismes d’internalisation et de vulgarisation desdits plans. Cette situation a pour conséquence le non respect des options de planification qui, pour la plupart, ne sont pas mises en œuvre par les autorités communales.
« Nous avons déjà réalisé le schéma directeur d’aménagement (SDAC) depuis 2013 et on connait les zones agricoles, même si les réalités du terrain sont tout autre », reconnait Gelase Hounguè, Directeur des affaires domaniales de la mairie d’Abomey-Calavi. D’après lui, le SDAC de cette commune considère les arrondissements de Zinvié et de Kpanroun, ainsi que certains villages de Glo et Ouèdo comme étant du milieu rural non urbanisable. Mais, le constat est tout autre sur le terrain. Des difficultés financières bloquent la mise en œuvre des documents de planification. C’est le cas des communes comme Akpro-Missérété, Zê, Sô-Ava, Lalo, Athiémé, Lokossa, Pobè et Ouinhi. Toutes ces communes ont déjà réalisé le SDAC, mais ont de grands problèmes pour sa mise en exécution, selon Coffi Justin Noumon, Ingénieur agronome spécialité Génie rural en service à la Direction du Génie rural à Porto-Novo.
D’après un rapport réalisé en 1998 pour le compte de la SERHAU-SEM par Joseph Comby et portant sur la réforme du droit foncier au Bénin, les diverses études d’urbanisme menées dans le pays n’ont encore jamais débouché sur l’adoption de zonages réglementaires juridiquement applicables. C’est pourquoi, le magistrat Gilbert Togbonon préconise une actualisation des textes : « Toutes les communes doivent actualiser leur plan d’aménagement du territoire, sans quoi elles ne peuvent pas gérer leur patrimoine foncier. Dans ce cadre, chaque commune doit inventorier son patrimoine, le domaine public et le domaine privé. Une fois ces terres inventoriées, le nouveau plan établi doit tenir compte de l’existence des terres rurales ». A propos de cette réforme préconisée, les élus locaux participent à une formation itinérante financée le Pays-Bas sur la valorisation des terres agricoles à Lokossa. A cela s’ajoutera le cadastre, garant de la propriété foncière mais pour le moment inexistant. Heureusement le Code foncier domanial en fait une exigence.