La plainte du citoyen Agapit Napoléon Maforikan contre le décret n 2017-48 du 27 janvier 2017 portant nomination des membres de l’Autorité nationale de lutte contre la corruption (Anlc) n’a pas reçu une réponse favorable de la part de la haute juridiction. La Cour constitutionnelle s’est déclarée incompétente au motif qu’elle n’est pas juge de la légalité, mais de la constitutionnalité. Lire le contenu de la décision.
Décision Dcc 17-169 du 27 juillet 2017
La Cour constitutionnelle,
Saisie d’une requête du 1er mars 2017 enregistrée à son secrétariat le 02 mars 2017 sous le numéro 0450/048/Rec, par laquelle Monsieur Agapit Napoléon Maforikan forme un « recours en référé contre le décret n°2017-048 du 27 janvier 2017 portant nomination des membres de l’Autorité nationale de lutte contre la corruption (Anlc) pour excès de pouvoir et sursis à installer » ;
Vu la Constitution du 11 décembre 1990 ;
Vu la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001 ;
Vu le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï Maître Simplice Comlan Dato en son rapport ;
Après en avoir délibéré,
Contenu du recours
Considérant que le requérant expose : « … Le décret n°2017-048 du 27 janvier 2017… est entaché de beaucoup d’irrégularités constitutives d’abus de pouvoir, de violation des droits fondamentaux et de violation des accords internationaux.
…-Abus de pouvoir
La Constitution … dispose en son préambule :
« Nous, peuple béninois,
-Réaffirmons notre opposition fondamentale à tout régime politique fondé sur l’arbitraire, la dictature, l’injustice, la corruption, la concussion, le régionalisme, le népotisme, la confiscation du pouvoir et le pouvoir personnel ;
-Exprimons notre ferme volonté de défendre et de sauvegarder notre dignité aux yeux du monde et de retrouver la place et le rôle de pionnier de la démocratie et de la défense des droits de l’Homme qui furent naguère les nôtres ;
-Affirmons solennellement notre détermination par la présente Constitution de créer un Etat de droit et de démocratie pluraliste, dans lequel les droits fondamentaux de l’homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine et la justice sont garantis, protégés et promus comme la condition nécessaire au développement véritable et harmonieux de chaque béninois tant dans sa dimension temporelle, culturelle que spirituelle
(…) » ;
Plus loin, la Constitution poursuit en ses articles 34 et 35 :
Article 34 : « Tout citoyen béninois, civil ou militaire, a le devoir sacré de respecter, en toutes circonstances, la Constitution et l’ordre constitutionnel établi ainsi que les lois et règlements de la République. »
Article 35 : « Les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun.’’ » ;
Considérant qu’il ajoute : « En se fondant sur les dispositions du préambule et des articles 34 et 35 de la Constitution, je voudrais inviter … la haute juridiction, statuant en référé, à déclarer contraire à la Constitution, le décret n°2017-048 du 27 janvier 2017 et de demander qu’il soit sursis aux effets de droit dudit décret, notamment la prestation de serment devant la Cour suprême des membres nommés prévue pour le vendredi 03 mars 2017 à 9 heures à Porto-Novo.
Le décret n°2017-048 du 27 janvier 2017 nomme dix (10) membres à l’Anlc, or, l’article 6 de la loi n°2011-20 précise que l’Autorité nationale de lutte contre la corruption (Anlc) « est composée de treize (13) membres à raison de :
-un (01) inspecteur d’Etat désigné par l’Inspection générale d’Etat ;
-un (01) communicateur désigné par la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac) ;
-un (01) sociologue universitaire désigné dans le corps professoral par ses pairs ;
-un (01) inspecteur des banques désigné par l’association des professionnels des banques et établissements financiers ;
-un (01) magistrat désigné par ses pairs ;
-un (01) expert-comptable désigné par l’ordre des experts comptables ;
-un (01) administrateur des impôts ;
-un (01) inspecteur des douanes ;
-un (01) spécialiste en passation de marché public ;
-deux (02) officiers de police judiciaire : un (01) gendarme et un (01) policier ;
-un (01) représentant du patronat désigné par ses pairs ;
-un (01) représentant des organisations non gouvernementales s’occupant des questions de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption.
L’administrateur des impôts, l’inspecteur des douanes, le spécialiste en passation de marché public et les deux (02) officiers de police judiciaire sont désignés par l’Exécutif ». En se référant à cet article, il apparaît que non seulement l’Exécutif a nommé dix (10) personnalités au lieu de treize (13), mais il a délibérément choisi de ne pas préciser l’origine professionnelle des personnes nommées.
Le comble c’est que le décret ne fait aucune mention des trois (03) membres non nommés. Est-ce à dire que l’Exécutif est autorisé à décider du nombre de personnes qu’il nomme à l’Anlc en violation des dispositions de l’article 6 de la loi n°2011-20 qui fixe le nombre à treize (13) et qui en précise les provenances ? Il y a là un abus de pouvoir !
Toujours selon l’article 6 de la loi n°2011-20, « Les membres nommés devront avoir une expérience professionnelle de quinze (15) ans dans leur domaine de compétence ». Ces dispositions sont reprises à l’article 12 dernier alinéa qui précise: « Tous les membres de l’Autorité nationale de lutte contre la corruption (Anlc) doivent avoir au moins quinze (15) ans d’expérience avérée dans leur domaine respectif de compétence. »
Or, tel ne semble pas être le cas de tous les membres désignés dans la mesure où des réactions de plusieurs sources soutiennent que l’Opj de la Police désignée, le commissaire Ghislaine Justine Bocovo épouse Adjagboni n’aurait pas encore totalisé quinze (15) ans de pratique professionnelle dans son domaine, ayant pris fonction en qualité de commissaire de police en 2007 selon les explications du syndicat national de Police. Aussi, de sérieux doutes pèsent-ils également sur les quinze (15) ans d’expériences professionnelles de Monsieur Horace Florent Vivien Adoukonou en qualité de spécialiste en passation de marché public.
Il y a également à ce niveau un abus de pouvoir. » ;
Considérant qu’il poursuit : « Sur la violation des droits fondamentaux
En recevant en l’espèce le serment des dix (10) membres nommés sans se préoccuper du sort des trois (03) membres non nommés dont aucun cas n’est fait dans le décret n°2017-048, alors que deux d’entre eux, à savoir, Messieurs Agapit Napoléon Maforikan et Idohou Raoul Afoudah, ont été régulièrement désignés et ne sont frappés d’aucune sanction, la Cour suprême validerait une illégalité notoire qui relève d’un abus de pouvoir et de l’arbitraire proscrit par le préambule de la Constitution.
Il s’agit là d’un traitement inéquitable des citoyens censés pourtant jouir des mêmes droits.
Sur la violation de l’article 147 de la Constitution
Le fait pour le Gouvernement de nommer qui il veut au mépris des choix initiaux opérés par les structures compétentes… et de choisir un nombre de personnes à nommer différent de celui prévu par la loi constitue des manœuvres visant à s’assurer le contrôle de l’institution, en mettant entre parenthèses l’indépendance nécessaire à accorder à une instance de cette nature. Ce faisant, le Gouvernement se comporte en « juge et partie », violant de ce fait le principe de séparation des pouvoirs.
La loi n°2011-20 en son article 9 … dispose : « Il est accordé à l’Autorité nationale de lutte contre la corruption, l’indépendance nécessaire pour lui permettre d’exercer efficacement ses fonctions à l’abri de toute influence indue.
Elle jouit d’une réelle autonomie par rapport aux institutions de la République, sous réserve des dispositions des articles 49, 81 alinéa 2 et 117, 1er et 2ème tirets de la Constitution… et des articles 42, 52 et 54 de la loi n°91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001 (…) ».
L’article 147 de la Constitution … dispose : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie. » » ;
Le Bénin a régulièrement signé, ratifié et déposé les instruments de ratification de la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption dont il viole ainsi l’article 20 alinéa 4 qui stipule : ‘’Les autorités ou agences nationales jouissent de l’indépendance et de l’autonomie nécessaires pour exercer efficacement leurs fonctions. » La Convention des Nations Unies contre la corruption (également adoptée et ratifiée par le Bénin) stipule en son point 2 : « Chaque Etat partie accorde à l’organe ou aux organes visés au paragraphe 1 du présent article l’indépendance nécessaire, conformément aux principes fondamentaux de son système juridique, pour leur permettre d’exercer efficacement leurs fonctions à l’abri de toute influence indue. Les ressources matérielles et les personnels spécialisés nécessaires, ainsi que la formation dont ces personnels peuvent avoir besoin pour exercer leurs fonctions, devraient leur être fournis.’’ » ; qu’il soutient : « Les nominations objet du décret n°2017-048 du 27 janvier 2017 violent l’article 147 de la Constitution et l’article 9 de la loi n°2011-20 qui en fait bloc.
Etant donné qu’il est prévu l’installation des membres nommés à travers leur prestation de serment devant la Cour suprême le vendredi 03 mars 2017 à 9 heures… et une fois cette formalité accomplie, la violation de la Constitution sera actée, il serait souhaitable que la haute juridiction prononce la nullité dudit décret aux fins de correction des violations constatées, ce qui aura le mérite d’en annuler les effets.
La pertinence d’une telle décision se justifie par le souci de préserver l’Anlc de l’arbitraire et de permettre que tous ses membres régulièrement désignés, conformément aux dispositions constitutionnelles en vigueur y siègent effectivement. Elle évitera la situation de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes suite à la décision Dcc 17-023 du 02 février 2017 par laquelle la Cour constitutionnelle a affirmé que la décision du gouvernement de dissoudre l’Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (Arcep) est « contraire à la Constitution ». Mais, depuis la notification de cette décision à qui de droit, la nouvelle équipe de l’Arcep continue à exister comme si de rien n’était. Une telle situation n’est pas de nature à renforcer la crédibilité des organes surtout ceux qui ont des missions aussi délicates comme l’Anlc. C’est pourquoi, le sursis à la prestation de serment des membres paraît nécessaire pour sauver l’institution. L’entrée en fonction des nouveaux membres de l’Anlc nommés sur la base des griefs ainsi soulevés ne saurait garantir la réelle autonomie de l’institution. » ;
Considérant qu’il demande à la haute juridiction de dire et juger que le « décret n°2017-048 viole la Constitution … en son préambule et en ses articles 34, 35 et 147 » et que « la Cour suprême diffère la réception du serment des membres nommés sur la base d’un décret aussi arbitraire » ;
Instruction du recours
Considérant qu’en réponse à la mesure d’instruction de la Cour, le secrétaire général du Gouvernement, Monsieur Edouard A. Ouin-Ouro, écrit : « … En objection aux prétentions du requérant, je voudrais porter à votre attention ce qui suit :
I- Sur le recours pour excès de pouvoir.
Il est établi que le recours pour excès de pouvoir est une demande adressée au juge administratif tendant à l’annulation d’un acte administratif. Par ce recours, le requérant demande au juge d’apprécier la légalité de l’acte administratif, puis de l’annuler dans le cas où il serait entaché d’irrégularités.
Dans le cas d’espèce, la lecture des éléments du dossier soumis à la Cour … révèle que le recours intenté tend à faire apprécier par la haute juridiction la légalité du décret n°2017-048 du 27 janvier 2017 portant nomination des membres de l’Autorité nationale de lutte contre la corruption.
Or, le contrôle de la légalité des actes administratifs ne relève pas de la compétence du juge constitutionnel. Il relève plutôt de celle de la Cour suprême qui, aux termes de l’article 131 de la Constitution,… « est la plus haute juridiction de l’Etat en matière administrative’’. C’est certainement en méconnaissance de ces dispositions que le requérant saisit la Cour constitutionnelle.
II- Sur le sursis à installer
Le requérant sollicite également de la Cour qu’elle enjoigne à la Cour suprême de surseoir à l’installation des nouveaux membres nommés. Outre le fait qu’une telle demande ne paraît pas recevable en raison de ce qu’elle ne figure pas dans les prérogatives constitutionnelles de la haute juridiction, il s’agit d’une mesure provisoire relevant du domaine judiciaire. Or, la Cour suprême ‘’est la plus haute juridiction de l’Etat en matière… judiciaire.’’ » ; qu’il demande à la Cour de dire et juger qu’elle « …n’est pas compétente pour connaître de ce recours.» ;
Analyse du recours
Considérant qu’il ressort des éléments du dossier que la requête de Monsieur Agapit Napoléon Maforikan tend, en réalité, à faire apprécier par la Cour les conditions d’application de la loi n°2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin ; que l’appréciation d’une telle demande relève d’un contrôle de légalité ; que la Cour, juge de la constitutionnalité et non de la légalité, ne saurait en connaître ; que dès lors, il échet pour elle de se déclarer incompétente ;
Décide :
Article 1er : La Cour est incompétente.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Monsieur Agapit Napoléon Maforikan, à Monsieur le Secrétaire général du gouvernement, Edouard A. Ouin-Ouro et publiée au Journal officiel.
Ont siégé à Cotonou, le vingt-sept juillet deux mille dix-sept,
Messieurs Théodore Holo Président
Simplice C. Dato Membre
Bernard D. Dégboé Membre
Madame Marcelline-C Gbèha Afouda Membre
Monsieur Akibou Ibrahim G. Membre
Madame Lamatou Nassirou Membre.
Le Rapporteur, Le Président,
Simplice Comlan Dato Professeur Théodore Holo