Elle a bercé plusieurs générations de Béninois, mené des combats et surtout chanté pour la paix. Malgré l’âge et les rides, sa voix est demeurée suave et mélodieuse. Victorine Agbato, plus connue sous son nom d’artiste Vivi L’Internationale, malgré son âge, n’est pas prête à renoncer à sa passion. Entre elle et la musique, c’est comme entre l’arbre et l’écorce.
« Mémé » ! Ne pas l’appeler ainsi, c’est un peu comme un affront à sa personne. Toujours est-il que Vivi l’Internationale, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, tient à sa « jeunesse» dans l’esprit. En allant à sa rencontre, ce vendredi dans sa résidence à Tokpota dans la ville de Porto-Novo, nous avons effectivement rencontré une «mémé » pétillante de forme, accueillante avec un sourire aguichant. Une grand-mère trop accrochée à sa famille, Vivi affiche son attachement à ses petits enfants dont la réussite lui importe beaucoup. Elle gronde, câline, conseille, menace au besoin. Tout cela, nous l’avons vécu en un laps de temps passé en compagnie de celle qui est l’une des grandes vedettes de la musique béninoise. De sa voix presque mélancolique lorsqu’elle chante la paix, à celle plutôt joyeuse qui a chanté « Wa yi do », un de ses plus grands succès, Vivi est restée une artiste engagée pour chacune des causes qu’elle choisit. Qu’il s’agisse de la nation, de la famille ou même de Dieu sa nouvelle ‘’passion’’.
Les années et les albums, elle ne les compte plus. « Je ne me suis pas lancée dans les calculs de compter le nombre de mes albums. En notre temps, on avait évolué dans un contexte qui fait que tu peux mettre du temps entre deux albums. C’était difficile pour nous à l’époque. Ce que nous visions, c’était de faire l’effort pour que l’album suivant ait plus de succès que le précédent », nous a-t-elle confié. Sa vie n’a été que musique et le reste de sa vie le sera davantage, conçoit-elle. D’ici là, on devrait la retrouver sous les feux de la rampe, annonce la diva. Sa discographie actuelle, confesse-t-elle, ne représente qu’une infime partie des compositions à son actif. En somme, Vivi n’a pas fini de chanter. C’est comme si elle avait à peine chanté, pourrait-on dire, à l’entendre. Mais pour la paix, elle aura tout chanté !
Apôtre de la paix
Comme Aïcha Koné en Côte d’Ivoire, Vivi L’Internationale a offert sa voix pour la paix. Connue déjà du public, elle va se révéler davantage grâce à la mutation politique qui devrait faire passer le Bénin de la période marxiste révolutionnaire à celle du Renouveau démocratique. Les fameuses assises de la Conférence nationale des forces vives de la nation de février 1990 au Plm Alédjo qui ont tenu en haleine tout un peuple et même la communauté internationale, n’ont pas échappé à l’inspiration de l’artiste. Son hymne pour la paix va se révéler comme l’ode à l’aube de la démocratie béninoise. De toute son inspiration, Mémé Vivi a plaidé pour la paix, demandé la compréhension, imploré l’union, chanté la cohésion et surtout crié à l’aide de Dieu dans les moments les plus cruciaux de la vie politique de notre pays.
Une inspiration d’essence divine, raconte-t-elle avec le temps, mais mue essentiellement par son souci de voir son pays mieux se porter. « J’ai commencé la composition de cette musique de la paix avant le passage de la Révolution à la démocratie. Beaucoup trouvaient qu’en ce moment, on n’avait pas la capacité de faire la démocratie car, on ne connaissait que la Révolution. Et finalement cela s’est passé en douceur, vraiment Dieu aime ce pays. Cette chanson était ma contribution à la paix dans ce pays. » C’est ainsi que l’artiste conte l’histoire de ce morceau « N’dokolidji » (littéralement : je suis à genoux). Les années 90, années de fortes tensions et de basculement politique sur le continent avec son cortège de drames, de misère, de guerres, de tueries, de réfugiés et surtout de mésentente politique, l’artiste s’est voulu le sapeur pompier du potentiel drame qui couvait dans son pays.
« J’ai été touché par la peine des réfugiés des autres pays. Je ne voulais pas que cela arrive à mon pays. Quand cela arrive, tout bascule. Je me suis demandée si un jour, je pourrais quitter mon pays pour aller me réfugier dans un autre. Il fallait donc prévenir le danger et demander aux gouvernants de prendre leurs responsabilités. J’ai demandé au Seigneur de m’inspirer afin que je puisse faire passer des messages de paix à mes compatriotes. C’est ce que j’ai fait à travers cette chanson. Personne ne m’a recommandée de chanter, c’est l’Eternel qui m’a inspirée », soutient l’artiste qui laisse couler des larmes. Parler de paix avec Vivi L’Internationale, c’est tout sauf un exercice aisé. Il faut s’armer de courage et surtout apprêter son mouchoir pour, à défaut essuyer ses propres larmes, lui sécher les siennes.
L’issue de cette fameuse Conférence des forces vives et surtout le succès de cette chanson qui n’est en réalité que la plus connue d’une série de compositions en faveur de la paix à l’actif de l’artiste, ont fait de Victorine Agbato, un chantre pour la paix. Un succès qui fait d’elle à ce jour, la plus en vue des artistes de la paix au Bénin. Mais c’est avec modestie que Vivi assume cette performance. « J’avais la joie et je rendais grâce à Dieu qui nous avait permis d’avoir un consensus national. C’est là que les hommes ont compris qu’il y a une autre force qui dépasse celle des humains. Le pays pouvait basculer dans le chaos, mais il y a eu la force de l’esprit qui a guidé les pas des conférenciers jusqu’au dénouement heureux. Il y avait trop de tensions et de colère, beaucoup ne voulaient pas aller vers la démocratie. La seule force qui a finalement apaisé ces esprits qui s’échauffaient, était la force divine, elle a permis vraiment qu’on soit en paix aujourd’hui. Il faut rendre hommage à Dieu », développe Vivi.
« Un engagement qui m’a offert des opportunités ! »
Pour elle, il fallait tout mettre en œuvre pour éviter au pays de passer par la douloureuse épreuve des affrontements entre factions politiques rivales et acteurs idéologiquement opposés. L’exemple de certains pays l’auraient fortement inspirée aussi. « Des pays ont essayé d’entrer en démocratie, mais ça a basculé dans la violence. Il y a certains Béninois qui étaient dans ces pays. Quand ils sont revenus, ils m’ont fait la confidence que la guerre n’est pas une bonne chose et qu’elle doit être notre pire ennemi », soutient l’artiste. Dès lors, elle s’est résolue à jouer sa partition, en touchant le cœur des acteurs concernés de sa voix de femme. Un objectif visiblement atteint, quand on connaît le rôle déterminant joué par le morceau « N’dokolidji » et le clip qui lui a servi de support aux heures chaudes du passage du régime marxiste révolutionnaire à celui démocratique en vigueur de puis 1990.
« La musique est immense, elle est un art trop fort, j’ai souvent la chair de poule quand on me parle de la musique, c’est un art qu’il faut vraiment respecter même plus que l’argent. On me demande souvent ce que je trouve dans la musique, et je réponds que je trouve le sourire que les autres ne peuvent pas me donner. La musique ouvre de nombreuses portes aux artistes. Quand j’avais chanté la paix, j’ai été reçue par de nombreuses autorités, cela m’a offert des opportunités. Des portes se sont ouvertes », confesse souriante L’Internationale.
Aussi, admet-elle ceci : « Je n’ai aucune force personnelle pour composer des morceaux, c’est la force de l’esprit de Dieu tout simplement, parce que lui-même vit dans la chanson. Dès que je me concentre, l’inspiration me vient. La musique au sens propre du mot est un esprit qu’on doit respecter parce que pour moi sans la musique, le monde serait vide ». Aussi, fait-elle observer qu’on ne peut pas parler toute une journée sans la mélodie et que parfois quand un chef est malade on lui fredonne de belles mélodies pour le revigorer. Tout cela, pour illustrer la force de l’art auquel elle consacre sa vie depuis son jeune âge.
La joie débordante avec laquelle elle en parle pour justifier son option d’avoir laissé l’une de ses filles, Marlène Zinsou, prendre, elle aussi le sentier de la musique. Piquée depuis son jeune âge par le virus, sans doute par atavisme, Marlène se révèle aujourd’hui comme la digne héritière de sa mère au point de semer la confusion entre son timbre vocal et celle de sa génitrice qui ne manque pas de fierté au sujet de ses prestations. Il est même fréquent de les voir toutes deux dans des coproductions discographiques et parfois sur scène.
Une activiste politique
Même si ce pan de sa vie publique est peu connu du public, ce n’est pas pour autant que Vivi s’en cache. Elle a été politiquement très active au sein des organisations de femmes révolutionnaires. Et, à l’instar de bon nombre d’acteurs de cette fameuse période, elle en garde de bons souvenirs. Même si, note-t-elle, « la Révolution était dure ».
Son exhortation, c’est que ses compatriotes demeurent fermes dans la prière et le travail. «Il faut que mes compatriotes s’aiment pour continuer à aller de l’avant. Il faut que chacun dise que le Bénin est sa patrie et travaille pour son développement. Il faut combattre la paresse. C’est la seule façon pour nous de nous développer », exhorte l’artiste. Aussi, conscientise-t-elle : « Le Bénin est mon pays qui m’a vu naître. Je lui ai donné beaucoup et j’en ai reçu également beaucoup de lui. Il faut savoir aimer son pays tout simplement. Je suis fière de mon pays. Il faut que tout le monde retrousse les manches pour construire l’avenir de ce pays, c’est ça le vrai développement ».
En tout cas pour elle, rien n’est au-dessus du pays qu’elle semble bien vénérer. « Mon pays a trop fait pour moi. Aujourd’hui, quand je passe dans la rue, les gens me saluent avec respect. Tout le monde m’appelle Mémé. Et cela me donne à chaque fois la joie. Partout où je passe, les enfants m’accueillent toujours avec enthousiasme. Même parfois si je ne suis pas dans mon véhicule, les enfants pensent toujours que je suis à bord, et saluent avec joie mon véhicule à bord duquel se trouve quelqu’un d’autre. C’est le travail que j’ai accompli qui me vaut souvent cet honneur, et cela me réconforte. Mon pays a été reconnaissant envers moi», salue Victorine Agbato, alias Vivi L’Internationale?
Josué F. MEHOUENOU