Malgré toutes les potentialités qu’ils offrent en agriculture, les pesticides naturels constituent une ressource peu exploitée. A travers cette interview, Wilfried Yehouessi, ingénieur agronome phytotechnicien pose le diagnostic de l’utilisation abusive des pesticides chimiques et du manque d’intérêt pour ceux naturels. Le consultant indépendant en agriculture urbaine et périurbaine durable (Aupd) fait des propositions pour une exploitation optimale des potentialités qu’offrent les produits naturels. Depuis peu, il se note une utilisation abusive des pesticides chimiques par les maraîchers. Qu’est ce qui justifie, selon vous, cet état de choses ?
La forte et rapide augmentation des populations urbaines pose surtout des défis d’approvisionnement alimentaire et d’emplois. Pour y faire face, les populations pauvres des villes béninoises se tournent vers l’agriculture urbaine et périurbaine, en particulier le maraîchage qui contribue à l’approvisionnement en légumes. Mais pour répondre à une demande sans cesse croissante et atteindre des niveaux de production économiquement viables, les maraîchers pratiquent une protection intensive des cultures visant à lutter efficacement contre les bio-agresseurs et à accroître la productivité de leurs exploitations. Ainsi, on assiste à une utilisation des pesticides chimiques prohibés et/ou non recommandés en culture maraîchère. Il y a également l’augmentation exagérée des doses et fréquences durant l’utilisation des molécules et une réduction considérable du délai avant récolte qui est par définition, la période entre la dernière application du pesticide et la récolte du légume traité et immédiatement destiné à la consommation.
Quels en sont les risques potentiels sur la santé humaine et l’environnement ?
Le rapport des Nations Unies sur le droit à l’alimentation publié le 24 janvier 2017, indique qu’une exposition cumulative élevée des consommateurs aux pesticides est préoccupante. L’exposition des femmes enceintes aux pesticides entraîne un risque plus élevé de leucémie et d’autres cancers dans l’enfance, d’autisme et de maladies respiratoires. Les résidus de pesticides sur la nourriture peuvent avoir des effets dévastateurs sur la santé des enfants, notamment perturber leur croissance physique et mentale et déclencher des maladies et des troubles dont ils souffriront à vie. Les pesticides peuvent aussi passer dans le lait maternel, ce qui est particulièrement inquiétant étant donné que le lait maternel est pour le nourrisson la principale source de nourriture, et que leur métabolisme n’est pas suffisamment développé pour combattre les produits chimiques dangereux. Des risques cardio-vasculaires, d’atteinte à la reproduction et aussi cancérigènes ont été relevés par les scientifiques. Dans l’environnement, les pesticides peuvent persister pendant plusieurs décennies, représentant ainsi une menace globale pour l’écosystème dont dépend la production alimentaire. L’usage excessif et abusif de pesticides entraîne une contamination des sols et des ressources en eau dans l’espace environnant, une réduction de la biodiversité, la destruction de populations d’insectes bénéfiques qui sont les ennemis naturels des ravageurs et une baisse de la valeur nutritionnelle des aliments.
Peut-on produire sans faire recours à ces substances ?
Cela est possible, et l’idéal est d’y arriver en production légumière ; la santé des citadins béninois en dépend. Mais parallèlement, il faut sensibiliser les maraîchers sur le respect des doses et fréquences recommandées et indiquées sur la notice des produits. L’autorité de contrôle des pesticides en République du Bénin doit sanctionner les distributeurs de pesticides prohibés et veiller au respect des délais avant récolte. A l’instar du permis de conduire ou du permis de port d’arme, le « permis de traitement phytosanitaire » doit être institué en agriculture béninoise.
Où trouver les pesticides naturels et quels en sont les avantages ?
Les pesticides naturels sont présents dans la nature ; c’est une évidence. Les organismes vivants possèdent des mécanismes de défense qui se manifestent sous plusieurs formes. Chez les plantes, organismes incapables de se déplacer, l’évolution a privilégié le développement et l’accumulation de molécules qui peuvent efficacement éloigner les ennemis naturels ou limiter sensiblement leur intervention destructrice sans nécessairement causer des préjudices aux autres composantes de l’environnement. Par exemple, les propriétés insecticides des substances végétales comme la nicotine chez la plante de tabac, la roténone, le pyrèthre ou l’azadirachtine du margousier ou neem sont bien connues. Mais attention, les produits naturels ne sont pas toujours des molécules sans problèmes. Ils peuvent être aussi toxiques pour les ennemis naturels des ravageurs de cultures.
Quelles sont les difficultés auxquelles sont confrontés les producteurs qui décident de produire bio ?
Certains pesticides naturels sont généralement caractérisés par une action lente, comme par exemple « l’extrait de neem ». Par conséquent, leurs effets sont plutôt répressifs que lutteurs contre les ravageurs. La préparation des formulations est souvent très éprouvante pour les producteurs, et la solution est difficile à conserver, sur la durée. Les avantages de la consommation des denrées alimentaires indemnes de résidus de pesticides ne sont pas encore bien perçus par les consommateurs béninois.
Votre mot de la fin
Les pesticides chimiques sont très mal utilisés en culture légumière au Bénin. Ces mauvaises utilisations conscientes ou inconscientes causent assez de préjudices sanitaires aux consommateurs. Il urge que les autorités à divers niveaux s’organisent pour apporter une solution durable à ce phénomène.
Propos recueillis par Fulbert ADJIMEHOSSOU