En dépit des nombreuses actions des Organisations de la société civile et de l’État, la lutte contre les grossesses précoces en milieu scolaire peine à porter ses fruits dans l’Atacora. Les chiffres donnent le tournis.
Les grossesses précoces en milieu scolaire préoccupent. Ce mercredi 24 mai, Lydie Déré Chabi Nah préfet de l’Atacora martèle : « Votre dignité réside dans votre travail et non dans le sexe qui ne vous conduira qu’aux grossesses et à l’échec ». Elle poursuit : « Vous avez la chance d’être envoyées à l’école, saisissez-la pour être respectées demain et faire la fierté de vos parents ». Face à elle, dans cette cour du collège d’enseignement général 1 de Toucountouna, une foule d’élèves filles silencieuses et religieusement attentives. A travers son initiative ‘’Semaine de la fille de l’Atacora » elle sillonne les établissements secondaires des communes de son département pour sensibiliser les élèves sur les grossesses précoces en milieu scolaire et dans les lieux d’apprentissage. Cette détermination de l’autorité préfectorale de lutter contre ce fléau tient tout son sens de statistiques bien édifiantes.
Selon les données de la direction départementale de l’Enseignement secondaire, de la Formation technique et professionnelle du département, de 2013 à 2016, 1485 cas de grossesses dont 505 en 2013-2014, 488 l’année scolaire suivante et 492 en 2015-2016 ont été enregistrés.
Dans ce tableau peu reluisant, la commune de Kouandé occupe tristement la première place en 2016 avec 77 cas. Elle est suivie par celle de Tanguiéta avec 74 grossesses. Les communes de Boukoumbé et Natitingou ont enregistré chacune 62 cas et viennent ainsi en troisième position.
Dans la même période 55 élèves sont tombées enceintes dans la commune de Péhunco. 51 grossesses dans le rang des élèves sont à déplorer à Cobly et à Matéri. Kérou s’illustre avec 46 cas et Toucountouna 14.
Au cours de l’année scolaire 2017, le collège d’enseignement général 1 de Natitingou a enregistré 12 cas de grossesses. Celui de Matéri est passé de 21 en 2016 à 25 en 2017. Le CEG 1 de Toucountouna 11 grossesses, Tanguiéta 05 et Cobly 08, selon les responsables de ces établissements.
Du côté de la direction départementale en charge des Affaires sociales, les statistiques évoquent 714 cas de mères élèves enregistrés dans le département en 2017 dont 210 à Natitingou, 207 à Kouandé, 89 à Péhunco, 61 à Matéri, 54 à Tanguiéta et 40 à Kérou. Toujours dans la même année on note 39 mères élèves à Cobly, 36 à Boukoumbé et 35 à Toucountouna.
Les grossesses en milieu scolaire au titre de l’année 2016-2017, selon le ministère de l’enseignement secondaire, se chiffrent à 333 soit un taux 1,87%.
Sous le toit de leurs enseignants
Spécifiquement dans les communes de l’Atacora, la première cause des cas de grossesses précoces en milieu scolaire est l’absence de contrôles parentaux. Sous le poids d’une certaine pauvreté, les parents livrent leurs filles aux hommes qui sont pour la plupart du temps des enseignants et des personnes responsables issues de diverses couches socioprofessionnelles.
« Beaucoup de parents ici à Cobly disent souvent qu’ils n’ont pas de moyens pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs filles. Ils les encouragent et les obligent bien qu’étant élèves à aller vivre sous le toit des hommes, qui parfois sont nos professeurs », regrette une élève de terminale du collège d’enseignement général de Cobly, sous anonymat.
Des propos confirmés par plusieurs responsables de la localité dont l’autorité communale. « Les parents pensent souvent que ces hommes vont les sortir de leur misère alors qu’eux-mêmes n’arrivent pas à subvenir à leurs propres besoins », soutient Théophile Nekoua, maire de la commune de Cobly. La vie en concubinage avec des personnes censées prendre en charge leurs besoins, observée chez nombre d’adolescentes de la zone Pendjari tient, admet-il, à un manque de responsabilité des parents.
« 80% des filles de nos collèges vivent chez les hommes et ce avec le consentement de leurs parents », constate, pleine d’amertume, la responsable du Centre de promotion sociale de la commune de Matéri, Antoinette Gnanmi. Une situation favorisée par la démission des parents qui n’ont aucun contrôle sur les compagnies de leurs filles, encore moins sur leurs heures de sorties et leurs distractions.
Par manque de dialogue sur la sexualité au sein des ménages, dû aux pesanteurs sociales et par ignorance des parents, certaines adolescentes s’adonnent à l’acte sexuel sans y connaitre grand-chose.
« En classe de 6eme, c’est le jour où j’ai perdu ma virginité que je suis tombée enceinte, simplement parce que je ne maîtrisais pas encore mon corps », confesse Odette, jeune maman qu’une grossesse précoce a contraint à abandonner l’école. Aujourd’hui apprentie dans un salon de coiffure de Natitingou, elle ne cache pas ses remords. « J’ai eu une grossesse de l’ignorance que je regrette encore », se lamente-t-elle.
Outre le souci de subvenir aux besoins de leur progéniture, certains conservateurs prônent une natalité précoce, arguant que la vie est bien courte pour qu’on prenne tout son temps pour procréer.
Taille moyenne, regard évasif, ventre ballonné, Victoire, une adolescente de 16 est une victime du phénomène « Laisser un derrière » pour signifier ‘’avoir une progéniture’’.
Elève en classe de troisième, elle confie que l’auteur de sa grossesse est un jeune du village et avoue avoir cédé sous le coup de pressions de ses parents désirant coûte que coûte un petit fils.
A l’instar de Victoire, elles sont nombreuses, ces jeunes apprenantes ou non cherchant à honorer ce désir parental.
Par ailleurs, il faut citer le phénomène ‘’Les notes sexuellement transmissibles’’ qui consiste, selon le censeur adjoint du CEG 1 de Natitingou, Bienvenu Manté Sotima, à attribuer des notes à une fille qui ne la mérite pas en échange de faveurs intimes.
« C’est souvent pendant la période de calcul des moyennes qu’une telle pratique est observée dans les collèges et lycées publics et privés de l’Atacora », explique Justine N’tcha, élève en classe de troisième au CEG 1.
À toutes ces causes s’ajoute l’influence des nouvelles techniques de l’information et de la communication qui poussent les adolescentes à des délits sexuels.
Désamour pour l’école
Les conséquences de ce fléau de grossesses en milieu scolaire sont implacables. Selon le directeur de l’unité de programme Nord de Plan International Bénin Roger Bakary, 2330 cas de naissances de mineures dont 714 élèves sont à déplorer en 2017. 20,6% des jeunes femmes de 15 à 19 ans sont actuellement mariées ou en unions dans le département. L’abandon des jeunes filles des cours, les maladies sexuellement transmissibles y compris le VIH/SIDA, la faible représentativité des femmes dans les structures publiques, para publiques et même dans les instances de prise de décision, les troubles psychologiques, le rejet de la fille par les parents, l’augmentation des charges familiales et autres sont autant de conséquences que le phénomène occasionne.
Dans le souci de permettre à la femme de s’épanouir, de s’autonomiser, de réduire les inégalités de chances scolaires entre les deux sexes, un certain nombre de lois a été voté et promulgué en faveur de la gent féminine. Il s’agit notamment de la loi n°2006-19 du 05 septembre 2006 portant répression du harcèlement sexuel et protection des victimes en République du Bénin, de la loi 2011-26 du 9 janvier 2012 portant prévention et répression des violences faites aux femmes, de la loi N°2015-08 du 8 décembre 2015 portant code de l’Enfant.
Mais malgré ces dispositions, l’on note toujours de graves déviances qui s’accentuent chaque jour, annihilant de fait les efforts du gouvernement et ceux des parents d’élèves.
C’est d’ailleurs ce qui a amené le responsable de l’unité de programme Nord de Plan Bénin, Roger Bakary, lors de la Journée de l’enfant africain célébrée en différé dans l’Atacora de faire clairement remarquer que le Bénin n’a pas de problème de loi mais d’hommes qui doivent veiller à son application.
Une nouvelle ère pour le combat
L’engagement des nouvelles autorités politico-administratives au plus haut niveau du département de l’Atacora à lutter contre le phénomène semble être implacable depuis quelques mois surtout avec le défi de « zéro cas de grossesses en milieu scolaire et d’apprentissage d’ici 2020 », lancé par le préfet du département, Lydie Déré Chabi Nah, depuis sa prise de fonction. Ainsi depuis son implication dans le combat nombre de présumés auteurs ont vu leur forfait porté devant les tribunaux. D’un aide-soignant du centre de santé de Kérou en passant par le surveillant général d’un collège de la commune de Cobly, certains présumés auteurs se sont vus privés de leur liberté avec l’instruction judiciaire en cours de leur dossier.
Au-delà de la campagne de sensibilisation des élèves dans les collèges et lycées du département qu’elle a entamé dans le cadre de son initiative « Semaine de la fille de l’Atacora », Lydie Déré Chabi Nah appelle également à sévir à travers un communiqué radio diffusé dans les radios communautaires de l’Atacora.
Les difficultés dans la gestion des cas
Un engagement qui butte toutefois contre la difficulté à inculper des auteurs, certaines pesanteurs sociales telles que les liens de parenté, la résistance des parents à accepter qu’on puisse emprisonner l’auteur d’une grossesse, la victime fût-elle une mineure. Les dispositions législatives prises par le Bénin en la matière se retrouvent non appliquées au détriment de préjugés.
« À peine un auteur sur cent est inquiété à cause de l’ignorance des parents et des histoires de famille », confie avec amertume un observateur averti de Birni dans la commune de Kouandé.
Triste réalité que corrobore une autorité judiciaire ayant requis l’anonymat.
« Dans la plupart des cas, les parents refusent même de porter plainte et ceux qui viennent rarement ne collaborent pas », déplore l’autorité judiciaire du tribunal de Natitingou. Les quelques cas qui ont pu être sanctionnés, précise-t-il, sont les ceux portés par les Ong, avant de conclure que les parents sont les premiers responsables du laisser-aller et de la non-sanction des auteurs de ces actes qu’on observe actuellement dans le département.
Il n’est pas rare de constater que nombre d’enseignants ont pour femmes leurs élèves. Ces dernières sont déscolarisées à la suite d’une grossesse trop tôt survenue. Si certaines arrivent à gagner le cœur de leur amant en devenant l’épouse, d’autres par contre connaissent le triste sort des filles-mères abandonnées une fois l’enfant né de ces relations incestueuses arraché à leur tutelle.
« Si on doit poursuivre les professeurs du secondaire qui ont pour épouse leur apprenante, ils seront presque tous, en tout cas en prison » témoigne Médard Bondé un journaliste de la radio communautaire de Péhunco.
Il est à condamner parfois également les pressions ou l’influence des autorités locales pour empêcher le déroulement normal des enquêtes pour une meilleure protection des enfants.
« Ce n’est pas du tout facile lorsque vous interpellez les auteurs, les pressions fusent de partout, autorités politiques, religieuses et traditionnelles » témoigne le préfet de l’Atacora Lydie Déré Chabi Nah.
Par ailleurs, les menaces à l’endroit des travailleurs sociaux et la négligence dans la gestion des dossiers par les acteurs qui ne taillent pas d’importance aux faits, freinent la gestion normale des cas. Autant de réalités qui plombent les efforts non moins négligeables des acteurs à divers niveaux.