La Cour constitutionnelle a donné une suite au recours à elle adressé par le militaire Pascal Emmanuel Sosso après sa radiation de l’Armée de terre. Par décision Dcc 17-181 du 24 août 2017, la Haute juridiction a déclaré nulle et contraire à la Constitution la décision du Chef d’Etat-major de l’Armée de terre d’alors. Lire l’intégralité de la décision.
Décision Dcc 17-181 du 24 août 2017
La Cour constitutionnelle,
Saisie d’une requête du 30 mai 2017 enregistrée à son secrétariat à la même date sous le numéro 0943/147/Rec, par laquelle Monsieur Pascal Emmanuel Sosso forme devant la haute juridiction un recours en annulation d’une décision de «radiation d’un militaire du rang de l’Armée de terre» ;
Vu la Constitution du 11 décembre 1990 ;
Vu la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001 ;
Vu le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï Madame Lamatou Nassirou en son rapport ;
Après en avoir délibéré,
Contenu du recours
Considérant que le requérant expose : « …Le mardi 29 octobre 2013, aux environs de quatre heures et quart, j’ai quitté ma maison à Calavi pour prendre part au Covapi qui se déroulait au Camp Guézo. Au cours de mon chemin, j’ai connu un accident très grave. Et la Police, sur les lieux de l’accident, après m’avoir envoyé à la clinique Mahouti de Godomey, a fait appel à mes parents pour les informer de mon accident à l’aide de mon téléphone portable. A l’arrivée de mes parents à la clinique Mahouti, l’accident étant très grave, ils ont décidé de m’évacuer pour les soins traditionnels.
J’avais vraiment eu des malaises, à savoir :
– Une plaie linéaire profonde hémorragique d’environ 5 cm de longueur située au niveau de la région pariétale gauche ;
– Inflammation du tympan droit ;
– De multiples éraflures de tout le corps ;
– Une douleur à la palpation de la face intérieure du thorax.
Donc, ces maladies ont fait que j’avais des réactions violentes anormales comme un début de folie, voilà pourquoi mes parents ont pris la décision de m’amener chez un tradi-praticien du nom de Tika, dans le village de Kpalaha, Commune de Copargo. Avant de m’évacuer, mes parents ont d’abord averti mon Unité en la personne de mon chef de garde, le sergent-chef Djoi Doésin, de mon état de santé et ensuite la Brigade territoriale de Copargo.
Suite à l’alerte de mes parents sur mon état de santé, la Brigade territoriale de Copargo a envoyé un message téléphonique porté n°643/2-Mtp-Cop du 04 novembre 2013 au colonel commandant le Groupement des Sapeurs-pompiers.
Après ma guérison par le tradi-praticien Tika, j’ai repris service normalement. L’adjudant Inoussa est allé voir le Drh, le lieutenant Nassara des Sapeurs-pompiers, pour lui faire part de mon état de santé et de ma prochaine reprise éventuelle ce qui fut une réalité le 17 mars 2014.
… Grande a été ma surprise de me voir radié par la décision en pièce jointe du 18 août 2014, soit huit (08) mois environ après mon accident. Je ne devrais pas être radié étant donné que j’ai connu un accident le 29 octobre 2013 et la Brigade territoriale a signalé ma position le 04 novembre 2013, soit cinq (05) jours après.
J’ai adressé une demande de régularisation de ma situation à mon chef de corps le 17 février 2015, au chef d’Etat-major général le 27 septembre 2016 et au ministre délégué auprès du président de la République chargé de la Défense nationale le 30 mars 2017.
Ces trois demandes sont restées sans suite.
… J’ai la vocation de servir l’Armée béninoise, servir mon pays le Bénin et je suis volontaire…» ; qu’il demande à la Cour de faire annuler la décision de sa radiation des Forces armées béninoises
(Fab) et de le mettre dans ses droits ;
Considérant que par une correspondance du 07 juin 2017 enregistrée à la Cour le 08 juin 2017 sous le n°1004, le requérant ajoute : « En complément à mon recours du 30 mai 2017, je tiens à préciser que dès mon retour des lieux de traitement, je n’ai reçu aucune demande d’explication concernant mon absence jusqu’au jour où ma note de radiation m’a été notifiée un 27 août 2014 au retour d’un sport collectif.
Je ne suis donc pas passé devant un Conseil de discipline militaire avant la prise de la décision de ma radiation des Forces armées béninoises (Fab). J’estime qu’une telle pratique est contraire à la Constitution de mon pays suivant laquelle « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : … le droit à la présomption d’innocence… » ; « Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente
jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public durant lequel toutes les garanties nécessaires à sa libre défense lui auront été assurées ».
Je viens … demander à la Cour de … déclarer ma radiation contraire à la Constitution » ;
Instruction du recours
Considérant qu’en réponse à une première mesure d’instruction diligentée par la Cour le 07 juin 2017, le chef d’Etat-major général, le Général de brigade Laurent Amoussou, écrit : « … A
la requête de cet ex soldat des Forces armées béninoises (Fab), il y a lieu de préciser ce qui suit :
1-De l’accident de la circulation
De l’étude des pièces jointes à son dossier, cet ex-soldat aurait été victime d’un accident corporel de la circulation le 29 octobre 2013, car il est mentionné dans la photocopie du carnet de soins, en conduite à tenir (Cat) : une suture de la plaie du cuir chevelu en huit (08) points. Il est précisé également que le malade est référé le même jour au Cnhu ou au centre de Djako pour la suite des soins sans ordonnance.
Au lieu qu’il se présente au Cnhu de Cotonou ou au Centre Djako, suivant les prescriptions du cabinet de soins, ou à défaut à l’Hôpital d’instruction des Armées (Hia) de Cotonou du fait de sa qualité de militaire, il a préféré faire appel à ses parents pour d’éventuels soins traditionnels dans la commune de Copargo.
Or, il pouvait être pris en charge au niveau de l’Hia suivant les dispositions de l’article 26 de la loi n°2005-43 du 26 juin 2006 portant statut général des personnels militaires des Forces armées béninoises (Fab) : « Les militaires en activité, leurs conjoints et leurs enfants ont droit aux soins gratuits du service de santé des armées et des services conventionnés. Ils reçoivent l’aide du service de l’action sociale des armées… »
De même recourir à des soins chez les guérisseurs traditionnels agréés n’est possible pour les militaires en activité que lorsqu’ils y sont référés par le médecin militaire traitant, ce qui n’est pas le cas pour ce dernier.
Donc, le requérant a délibérément choisi d’aller à Copargo se faire soigner traditionnellement, sans aucune autorisation et sans avoir été examiné par un médecin militaire à la suite de son accident.
2- Du message de la Brigade de Gendarmerie
Le message rédigé par la Brigade relève de ses compétences en matière de police militaire, car la position de tout militaire en déplacement hors de sa garnison doit être connue en tout temps par la hiérarchie.
Ainsi, lorsque les parents de l’ex-Sp1, Pascal Emmanuel Sosso, se sont présentés à la Brigade le 04 novembre 2013 pour signaler sa présence dans le village Kpalaha dans la commune de Copargo, le compte rendu a été fait. Ne pas le faire, constituerait de la part du commandant de Brigade, une négligence qui est passible de sanctions disciplinaires à son encontre.
Il faut remarquer que le message de la Brigade ne fait mention que des déclarations des parents de l’intéressé qui affirment que le Sp1, Pascal Emmanuel Sosso, souffre de début de folie et qu’il a été évacué pour les soins chez un guérisseur traditionnel et non d’accident de circulation. De même, ses parents n’ont exhibé aucun document à la Brigade relatif à cette évacuation, sinon, mention aurait été faite dans le compte rendu.
En conséquence, le message de la Brigade ne saurait constituer pour l’ex-Sp1, Sosso Pascal, une autorisation pour quitter sa garnison à Cotonou pour se rendre dans son village, ni un document le référant pour les soins en famille.
3- De la décision de radiation
Le Sp1, Pascal Emmanuel Sosso, pour avoir été absent du service pendant plus de trente (30) jours, a été radié des effectifs des Fab conformément aux textes en vigueur.
En effet, la loi n°2005-43 du 26 juin 2006 portant statut général des personnels militaires des Forces armées béninoises (Fab) dispose en ses articles 133 et 107 :
Article 133 : « …Les causes de perte de grade des militaires du rang sont identiques à celles applicables aux sous-officiers et prévues à l’article 107 de la présente ».
Article 107 : « … Absence illégale de trente (30) jours du sous-officier en activité de son corps… ».
Cet ex-soldat qui a quitté son service le 29 octobre 2013, n’y est retourné que le 17 mars 2014, soit quatre (04) mois et dix neuf (19) jours d’absence non réglementairement motivée. Il remplit ainsi les conditions statutaires pour la perte de grade qui est consécutive à la radiation du contrôle des effectifs des Fab. » ;
qu’il conclut : « Cet ex soldat, après l’accident corporel de la
circulation dont il aurait été victime dans sa garnison, a préféré se rendre à Copargo, alors qu’il avait été référé au Cnhu de Cotonou ou au centre Djako par le cabinet de soins qui lui a administré les premiers soins.
Dans les Fab, tout militaire bénéficie de la liberté de circulation comme le prescrit l’article 21 du décret n°2008-493 du 29 août 2008, portant règlement de discipline générale dans les Forces armées béninoises (Fab) :
« Lorsqu’il n’est pas en service, et hors de toute astreinte due à l’exécution du service ou à la disponibilité de son Unité, le militaire jouit de la liberté de circulation sur le territoire de sa garnison.
Les déplacements du militaire d’une garnison à une autre sont soumis à une autorisation préalable de l’autorité hiérarchique compétente.
Lorsque les circonstances l’exigent, le commandement peut restreindre l’exercice de cette liberté de circulation ».
Or, dans le cas présent, même si l’ex Sp1, Pascal Emmanuel Sosso, devait se rendre à Copargo pour quelque motif que ce soit, il doit être détenteur d’une autorisation de ses chefs hiérarchiques, ce qui n’est pas le cas.
En plus, aller se faire soigner en famille (soins traditionnels) est subordonné pour tout militaire en activité qui serait malade, à une prescription du médecin militaire traitant et non d’une décision unilatérale du militaire.
Donc, au mépris de toutes les dispositions réglementaires ci-dessus énumérées, l’ex-Sp1, Pascal Emmanuel Sosso, s’est absenté du service pendant plus de quatre (04) mois et sa radiation est justifiée au motif « d’absence illégale de trente (30) jours » conformément aux dispositions de la loi portant statut général des personnels militaires des Forces armées béninoises (Fab)… » ;
Considérant qu’en réponse à une seconde mesure d’instruction de la Cour du 21 juin 2017, le chef d’Etat-major général, le Général de Brigade Laurent Amoussou, écrit : qu’ « à la nouvelle requête de cet ex soldat des Forces armées béninoises (Fab), il faut noter ce qui suit :
1- De la demande d’explication
Dans les Fab, la demande d’explication n’est rien d’autre qu’une demande de compte rendu ou de déclaration adressée à un militaire. Ce compte rendu (ou déclaration) est un écrit destiné à informer sommairement une autorité hiérarchique sur un événement ou une situation grave en vue d’en établir un rapport complet ou un fait de moindre importance. Plus concrètement, le compte rendu peut exposer une situation personnelle particulière ou porter sur les conditions dans lesquelles une faute a été commise. Cette demande de compte rendu est alors adressée par le chef hiérarchique au militaire présent sur les rangs.
Or, l’ex SP1, Pascal Emmanuel Sosso, a quitté son service le 29 octobre 2013, et n’y est retourné que le 17 mars 2014, soit quatre (04) mois et dix-neuf (19) jours d’absence non réglementairement motivée. Dans ces conditions, il était impossible de lui demander un compte rendu sur son absence, car il remplissait déjà, à compter du 29 novembre 2013, les conditions statutaires pour la perte de grade qui entraîne la radiation du contrôle des effectifs des FAB.
Aussi, est-il opportun de rappeler également que les dispositions de la loi n°2005-43 du 26 juin 2006 portant statut général des personnels militaires des Forces armées béninoises (Fab), en ses articles 133 et 107, ne font pas obligation à l’autorité, d’adresser une demande d’explication à un militaire fautif avant de prononcer une décision de radiation au motif d’absence illégale de trente (30) jours.
2- De la traduction devant un Conseil de discipline
Le Conseil de discipline fait l’objet du chapitre IX du décret n°2008-43 du 29 août 2008 portant règlement de discipline générale dans les Forces armées béninoises (FAB). Ce chapitre expose, non seulement les causes pouvant motiver la traduction d’un militaire devant un Conseil de discipline, mais également, la procédure subséquente.
Or, l’article 107 de la loi n°2005-43 du 26 juin 2006 portant statut général des personnels militaires des Forces armées béninoises (Fab) qui énumère les causes de la perte de grade n’exige l’avis d’un Conseil de discipline que dans le seul cas d’indiscipline grave ou mauvaise manière habituelle de servir. Ce qui n’est pas la cause de la perte de grade de l’ex SP1, Pascal Emmanuel Sosso. Ce dernier s’est absenté du service pendant plus de quatre (04) mois et sa radiation était justifiée au motif « d’absence illégale de trente (30) jours » conformément aux dispositions de la loi ci-dessus citée.
En conséquence, la traduction devant le Conseil de discipline n’est pas prévue pour la perte de grade au motif d’absence illégale de trente (30) jours » ;
Analyse du recours
Considérant que le requérant demande à la Cour de déclarer contraire aux articles 7 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et 17 alinéa 1er de la Constitution, sa révocation de l’effectif des Forces armées béninoises (Fab) ;
Considérant que les articles 7 de la Charte africaine des droits
de l’Homme et des peuples, 17 alinéa 1er de la Constitution énoncent respectivement : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend … c/ le droit à la défense y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix » ;
« Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public durant lequel toutes les garanties nécessaires à sa libre défense lui auront été assurées » ; que par ailleurs, l’article 107 de la loi n°2005-46 du 26 juin 2006 portant
statut général des personnels militaires des Forces armées béninoises (Fab) dispose : « Le sous-officier perd son grade sur décision du chef d’Etat-major général pour une des causes suivantes : … absences illégales de trente (30) jours du sous-officier en activité de son corps ; … » ; qu’il résulte de la lecture combinée et croisée de ces dispositions que s’il est permis au chef d’Etat-major général de prendre une décision portant sanction d’un sous-officier des Fab, celle-ci ne peut être prise sans que le mis en cause ne soit mis à même d’exercer son droit à la défense conformément aux dispositions constitutionnelles sus-citées ;
Considérant qu’il ressort des éléments du dossier que Monsieur Pascal Emmanuel Sosso, pour s’être absenté plus de trente (30) jours sans autorisation pour suivre des soins médicaux traditionnels, a été radié de l’effectif des Forces armées béninoises (Fab) sans avoir été mis en mesure d’exercer son droit à la défense ; qu’en agissant ainsi qu’il l’a fait, le chef d’Etat-major de l’armée de terre à l’époque des faits a violé la Constitution ; que dès lors, il échet pour la Cour de dire et juger que la décision n°2344/Emat/Drh/Boe/Sch/Sec du 18 août 2014 du chef d’Etat-major de l’armée de terre des Forces armées béninoises (Fab) portant radiation du Sp1, Sosso Pascal Emmanuel, est contraire à la Constitution et doit être déclaré nulle conformément à l’article 3 alinéa 3 de la Constitution aux termes duquel : « Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus… » ;
Décide
Article 1er : Le chef d’Etat-major de l’armée de terre au moment des faits a violé la Constitution.
Article 2 : La décision n°2344/Emat/Drh/Boe/Sch/Sec du 18 août 2014 portant radiation de Monsieur Pascal Emmanuel Sosso de l’effectif des Forces armées militaires est nulle.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Monsieur Pascal Emmanuel Sosso, à Monsieur le Chef d’Etat-major général des Forces armées béninoises (Fab), à Monsieur le Président de la République et publiée au Journal officiel.
Ont siégé à Cotonou, le vingt-quatre août deux mille dix-sept,
Messieurs Théodore Holo Président
ZiméYérima Kora-Yarou Vice-président
Bernard D. Dégboé Membre
Madame Marcelline-C Gbèha Afouda Membre
Monsieur Akibou Ibrahim G. Membre
Madame Lamatou Nassirou Membre
Le Rapporteur, Le Président,
Lamatou Nassirou Professeur Théodore Holo