Les mouvements politiques au Togo. C’est cyclique ! Peut-être un peu mieux depuis l’avènement au pouvoir de Faure Gnassingbé en 2005 et le dialogue politique quasi permanent qu’il a institué. Seulement, ces dernières semaines, le pays a encore fait parler de lui. Comme au bon vieux temps. Un peu comme un naturel qui revient au galop ! Mais ce qui change un peu cette fois-ci, c’est qu’à la place du mur à béton qui accueillait les manifestations les plus souvent matées, le Président Faure, Président en exercice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a pris acte des desiderata de l’opposition en hâtant les réformes constitutionnelles qui portent essentiellement sur la limitation des mandats, revendications principales des manifestants. Les choses risquent d’aller vite dès ce mercredi pour des réformes qui visent la culture de l’alternance et de rajeunissement du pouvoir. Si elles sont réussies, ces réformes placeraient le Togo devant pratiquement tous les pays africains, spécialement ceux ayant en partage le Français, voire ceux constituant la démocratie de l’Europe occidentale comme la France (d’avant les réformes Macron) et l’Allemagne notamment.
Au Togo, il y a ceux qui manifestent pour bouter hors du pouvoir le clan Eyadema en place depuis bientôt un demi-siècle. Ceux-là scandaient « démissionne » ou « quitte le pouvoir » ou encore « dehors… ». Puis il y a les autres pour qui l’essentiel, c’est que le pays retrouve une stabilité cohérente avec une Constitution moderne. Ceux-là n’ont pas vraiment confiance au pouvoir en place, mais se résignent à juger pièce par pièce les actes posés par Faure Gnassingbé, ayant succédé à son père en février 2005, et qui semble disposé à poser quelques pas importants allant dans le sens des attentes de la majorité du peuple togolais. Mais, les velléités de basculer vers un pouvoir à vie n’étant pas à exclure, l’ensemble de l’opposition au régime togolais observe et scrute. De son côté, le pouvoir avance sur sa réforme constitutionnelle : dans le cas d’espèce, le gouvernement a adopté en Conseil des Ministres du début du mois des réformes qui incluent notamment la limitation du mandat présidentiel et la réforme du mode de scrutin désormais présidentiel à deux tours. Deux revendications de l’opposition. Mais cela suffit-il à calmer Jean-Pierre Fabre et Tikpi Atchadam, figures emblématiques des manifestations, ainsi que leurs alliés de l’opposition ?
Plus loin que la « Constitution de 1992 »
A bien analyser la situation au Togo, les choses paraissent bien claires : un pouvoir en place qui dispose d’une légalité difficile à remettre en cause, le Président Faure Gnassingbé étant sorti gagnant de la présidentielle de 2015. Côté légitimité, il y a quelques réserves dans la mesure où des contestations avaient suivi l’annonce de la victoire de Faure en 2015 (une constance en Afrique !). Mais il y a surtout cette opposition qui réclame le retour à la Constitution de 1992, jamais réellement appliquée. Cette Constitution issue des travaux de la Conférence Nationale souveraine devrait instaurer un régime de pluralisme démocratique avec à la clé une alternance organisée par la limitation des mandats du Président de la République élu au suffrage universel direct à deux (2) tours. Le Président Faure Gnassingbé ne semble pas opposé à ces exigences. D’ailleurs, depuis son arrivée au pouvoir il a multiplié des gages d’apaisement du front politique et est même perçu de l’intérieur du pays, comme en Afrique voire dans le monde, comme un réformiste. Non sans succès, puisque la sempiternelle guéguerre avec l’opposant historique Gilchrist Olympio a pu être jugulée, au grand dam d’un Jean-Pierre Fabre, longtemps allié de Gilchrist Olympio du parti Ufc qui a gardé sa posture d’opposant. Mais les différentes élections gagnées par Faure et son parti même rebaptisé « Unir », toujours sur la base de la Constitution de 2002, ne semblent pas ramener l’apaisement, car les autres aussi espèrent participer au challenge du pouvoir. Entre petits pas et victoires électorales Faure Gnassingbé a fini par rassembler contre lui ceux qui paraissaient tous mécontents du pouvoir. Et pourtant, il avance.
Le mardi 5 septembre dernier, le gouvernement adopte en conseil des Ministres le texte du projet de révision constitutionnelle qui consacre principalement le retour à la Constitution de 1992, ceci à travers trois articles principaux (voir encadré). Une lecture attentive de ces articles démontre que le gouvernement est allé plus loin que ce qui était attendu : la limitation des mandats s’adressera non seulement au Président de la République mais à tous les élus. Une donne qui risque de propulser le Togo au devant des pays ayant fait de la modernisation politique à travers des options d’alternance à tous les niveaux de l’architecture électorale. En effet, si partout en Afrique comme dans l’Hexagone (dont bien des pays africains francophones copient le modèle politique), seul le mandat du Président de la République est limité, le modèle proposé touche aussi bien les députés que les sénateurs. Même en France la limitation du mandat présidentiel n’est instituée qu’après la réforme constitutionnelle sous le premier septennat du Président Chirac. En Allemagne, le Chancelier (Chef du Gouvernement fédéral) peut faire autant de mandats que possible, alors que tous les Premiers Ministres des autres démocraties occidentales sont globalement rééligibles aussi longtemps qu’ils parviennent à se maintenir à la tête de leurs partis et que ceux-ci gagnent les élections ou forment des coalitions de gouvernement. Seuls les pays scandinaves font exception à cette logique et limitent les mandats.
Si le projet togolais passe, il consacrerait donc une première en Afrique. Et comme dans le domaine de la liberté de presse (le Togo a été l’un des premiers pays d’Afrique francophone à abroger les peines privatives de liberté pour délits de presse), le Togo risque de faire office de pionnier. Car limiter les mandats des élus autres que le Président de la République n’est facile nulle part. Encore moins en Afrique.
Seulement, il faut déjà que les réformes soient votées et surtout acceptées par l’opposition. C’est peut-être là la difficulté actuelle, dans la mesure où le lundi 11 septembre dernier, la coalition de l’opposition avait déjà appelé à de nouvelles manifestations. La Conférence des Présidents qui se réunit ce jour dans le pays pourrait toutefois prendre les devants des choses en programmant l’étude du projet de loi constitutionnelle. L’opposition sera ainsi prise en tenaille, car elle n’aurait pas d’autres raisons de garder la rue, au risque d’être désavouée ; son cheval de bataille, le retour à la Constitution de 1992, devant être de loin pris en compte. Seulement, l’option de rajeunissement est-elle réellement partagée par elle ? Ce retour à la Constitution de 1992 ne comporte-t-il pas des risques pour les opposants eux-mêmes ?
L’un dans l’autre, c’est donc une course contre la montre qui s’annonce au Togo où Faure Gnassingbé va devoir démontrer qu’il peut entrer dans l’histoire. Dans un sens ou dans un autre !
Une réflexion de Maurice K. DJAGBA
Ce que va changer la réforme constitutionnelle
Pour rappel, les articles visés par cette modification disposaient notamment que :
Article 52 : Les députés sont élus au suffrage universel direct et secret au scrutin uninominal majoritaire à un (1) tour pour cinq (5) ans. Ils sont rééligibles. Chaque député est le représentant de la Nation tout entière. Tout mandat impératif est nul.
Article 59 : Le Président de la République est élu au suffrage universel direct et secret pour un mandat de cinq (05) ans. Il est rééligible.
Article 60 : L’élection du Président de la République a lieu au scrutin uninominal majoritaire à un (1) tour.
Le Président de la République est élu à la majorité des suffrages exprimés.
Nouvelles dispositions
- Il faut rappeler que la Constitution actuellement en vigueur dans notre pays est celle du 14 octobre 1992 telle que modifiée ;
- Le projet de révision constitutionnelle porte sur les articles 52, 59 et 60
- La révision de l’article 52 vise la limitation des mandats parlementaires (députés et sénateurs) ainsi que les modalités de désignation des sénateurs ;
- La révision de l’article 59 porte sur la limitation du nombre de mandats présidentiels (mandat de 5 ans renouvelable une fois) ; et
- Le projet du nouvel article 60 fixe le mode de scrutin pour l’élection présidentielle (Scrutin uninominal majoritaire à deux tours).
La rédaction