(L’opposition togolaise serait-elle prise à son piège ?)
L’intérêt des manifestations de rue au Togo depuis quelques semaines c’est la réforme constitutionnelle annoncée par le gouvernement le mardi 5 septembre 2017 au terme du Conseil des Ministres. Cette réforme exigée depuis des années par l’opposition togolaise risque de dépasser ses attentes, même de heurter certains intérêts de la vieille classe politique, dans la mesure où elle vise à instituer un nouveau mode de scrutin et la limitation du mandat présidentielle. Mais cette limitation ne s’arrête pas qu’au mandat présidentiel : elle s’étend aux autres élus notamment les députés et les sénateurs. Un véritable projet de renouvellement de la classe politique mais qui ne va pas plaire à tous. En tout cas, il y a de quoi prendre de court une opposition devenue de plus en plus exigeante au regard du succès des manifestations dont une autre est prévue pour ce vendredi. La question que se pose l’observateur averti est l’impact de cette réforme annoncée sur les manifestations, ainsi que l’attitude qu’aura l’opposition parlementaire qui demande le retour pur et simple à la Constitution de 1992 : deux inconnues qui détermineront le sort du Président Faure Gnassingbe qui se verrait bien poursuivre l’aventure présidentielle ainsi que les réformes institutionnelles pour la modernisation de la vie publique et le renouvellement de la classe politique.
La réunion de la Conférence des Présidents de l’Assemblée nationale togolaise prévue hier mercredi 13 septembre n’a pu avoir lieu, alors même que les travaux en plénière ont été, une nouvelle fois, suspendus. Mais une chose parait sûre : même si la session en cours devra être clôturée ce matin, une nouvelle session serait en principe aussitôt ouverte pour s’employer à l’étude du projet de loi portant réforme constitutionnelle. Un projet qui porte sur trois (3) articles : les articles 52, 59 et 60. Dans la Constitution de 2002 actuellement en vigueur ces articles sont ainsi intitulés :
« Article 52 : Les députés sont élus au suffrage universel direct et secret au scrutin uninominal majoritaire à un (1) tour pour cinq (5) ans. Ils sont rééligibles. Chaque député est le représentant de la Nation tout entière. Tout mandat impératif est nul.
« Article 59 : Le Président de la République est élu au suffrage universel direct et secret pour un mandat de cinq (05) ans. Il est rééligible.
Article 60 : L'élection du Président de la République a lieu au scrutin uninominal majoritaire à un (1) tour.
Le Président de la République est élu à la majorité des suffrages exprimés.
Dans la nouvelle mouture dont l’avant projet est soumis à l’Assemblée Nationale, les articles sont ainsi modifiés afin de prendre en compte les éléments ci-après :
- La révision de l’article 52 vise la limitation des mandats parlementaires (députés et sénateurs) ainsi que les modalités de désignation des sénateurs ;
- La révision de l’article 59 porte sur la limitation du nombre de mandats présidentiels (mandat de 5 ans renouvelable une fois); et
- Le projet du nouvel article 60 fixe le mode de scrutin pour l’élection présidentielle (Scrutin uninominal majoritaire à deux tours).
Cette nouvelle donne, si elle entre en vigueur, va considérablement bouleverser la cartographie politique au Togo. En effet comme on peut le constater le Projet de Réformes devra non seulement calmer les ardeurs d’une opposition togolaise depuis lors accrochée à cette exigence. Mais il fera entrer le Togo dans une ère véritablement nouvelle au plan institutionnel que politique.
Au plan institutionnel, le Togo renouera avec l’élection du Président de la République au suffrage universel et à deux tours. Le mandat présidentiel, lui sera de 5 ans renouvelable une seule fois. Mais ce projet de réformes va plus loin en élargissant la limitation des mandats aux députés et aux sénateurs. De quoi faire grincer des dents aussi bien du côté des partisans de l’opposition que de ceux du Président en place. Mais qu’à cela ne tienne. Le Président Faure Gnassingbé s’appuie sur la Commission qu’il a mise en place par décret présidentiel le 3 janvier pour étudier la question. L’avant-projet est donc conforme aux conclusions de cette commission qui, d’ailleurs, avait suspendu sa tournée au lendemain des évènements du 19 août pour proposer un texte au gouvernement.
Le travail confié à la Commission chargée de proposer les réformes était d’aller au-delà des seules revendications liées à la limitation du mandat présidentiel et au mode de désignation du chef de l’Etat.
La commission en est parvenue à la conclusion qu’une Constitution ne peut se modifier sans réflexions profondes pour justement éviter que les mêmes erreurs qui ont conduit à la modification en 2002 ne se reproduisent.
Le problème actuellement c’est l’ambiance dans laquelle cette réforme est lancée et qui est caractérisée par une méfiance généralisée. L’opposition qui, longtemps, a réclamé le retour à la Constitution de 1992 et qui semblait être gagnée par une certaine lassitude a retrouvé une nouvelle jeunesse avec le succès des manifestations successives depuis le 19 août. Organisées sous la houlette du truculent Tikpi Atchadam, leader du Parti National Panafricain non représenté à l’Assemblée Nationale. D’ailleurs, hier au Parlement, elle a retiré son projet de révision constitutionnelle déposé en Juin 2016, mais manifeste déjà quelques réticences à l’égard du projet gouvernemental. Un bras de fer est attendu notamment autour du bout de phrase « En aucun cas, nul ne peut faire plus de deux mandats ». Les deux parties, pouvoir et opposition, n’ont pas une même lecture de son opportunité.
Le second bras de fer, découlant du premier est que l’opposition demande qu’on retourne à la Constitution de 1992 dans sa forme originelle telle qu’adoptée lors du référendum du 27 septembre 1992. Une manière d’opposer une fin de non-recevoir à la volonté de Faure Gnassingbé et son gouvernement de moderniser la vie politique.
Mais peut-on réellement rester accroché, en 2017, à une Constitution adoptée en 1992 alors que le monde a beaucoup évolué ? N’y a-t-il pas une possibilité que le pouvoir et l’opposition accordent leur violon au nom de l’intérêt supérieur du peuple togolais ? Même si on peut comprendre les réticences de l’opposition, le mécontentement de la rue, il reste que le Président Faure Gnassingbé semble être bien conscient de la situation, et a amorcé une dynamique de dialogue depuis son accession au pouvoir. Au lieu de rejeter systématiquement les éléments de modernisation, l’opposition n’aurait-elle pas gagné plus en allant au dialogue, quitte à arracher certaines concessions ?
De son côté, le Président Faure doit encore donner des gages. C’est peut-être là le gage suprême qu’il doit donner à ses compatriotes. Il le peut. A lui de s’en donner les moyens !
Mike MAHOUNA