Sexe et école ne font pas bon ménage. A l’instar de plusieurs jeunes filles, victimes de grossesses en milieu scolaire, Christiane Mahouna B, élève en classe de 1re au Collège d’enseignement général (Ceg) de Golo, retiendra pour toujours la leçon.
Lundi 18 septembre dernier, l’école béninoise a rouvert ses portes. Mais elle n’accueillera pas cette année, Christiane Mahouna B, élève en classe de 1re au Collège d’enseignement général (Ceg) de Golo. Cette jeune fille de 18 ans a contracté une grossesse pendant les dernières vacances et se ferme ainsi les portes de l’école, du moins pour le compte de la nouvelle année scolaire.
L’auteur de la grossesse est, lui aussi, de la même promotion que Christiane. En lieu et place des études cette fois, les ‘’deux jeunes amoureux’’ devront plutôt apprendre à garder bientôt leur bébé.
C’est avec un air triste, le regard plongé dans le vide que Christiane raconte sa mésaventure. Pleine de remords, l’émotion dans la voix, c’est à peine qu’elle arrive à prononcer quelques mots sur sa situation.
Pourtant, elle et son ‘’mari’’ avaient plusieurs solutions pour s’éviter le pire : l’abstinence, le port de préservatif ou l’adoption d’une méthode de planification familiale. Sa grossesse n’a que deux mois et demi, mais son père, visiblement sous le choc, refuse de la laisser fréquenter dans cet état.
Le cas de Christiane Mahouna n’est pas isolé. Les grossesses en milieu scolaire ne sont pas un phénomène nouveau au Bénin. Du fait des grossesses, plusieurs jeunes filles, épine dorsale de la société, sont malheureusement retirées du circuit scolaire avant terme.
Statistiques alarmantes
Au regard des dernières statistiques, le phénomène est d’une ampleur jamais connue au Bénin. On estime à plus de 3000, le nombre d’élèves filles ayant contracté une grossesse en 2017. Tel un concours organisé au plan national en la matière, le département des Collines s’en sort 1er avec 472 cas enregistrés, selon les statistiques du ministère des Enseignements secondaire, technique et de la Formation professionnelle. Le Zou vient en 2e position avec 427 cas, et le Borgou occupe la 3e place, avec 400 cas. L’Atacora, l’Ouémé et l’Atlantique se disputent respectivement les 4e, 5e et 6e places. Chacun de ces trois départements a enregistré au cours de l’année scolaire passée, 333 ; 324 et 282 cas. Le Plateau, la Donga, le Littoral, et l’Alibori affichent respectivement 224, 182, 137 et 131 cas. Le Mono et le Couffo ont enregistré moins de cas : 96 et 37 cas.
Dans la majorité des cas, les victimes abandonnent l’école. Pour celles qui ont la chance de poursuivre les cours après la maternité, c’est malheureusement avec des années de retard. « L’avenir de la jeune fille enceinte est compromis même si dans de rares cas, elle retrouve le chemin de l’école après accouchement ou elle arrive à décrocher un hypothétique emploi précaire », se désole Toussaint Fanou-Sagbo, professeur certifié à la retraite et consultant en éducation.
Au regard de ce constat, des agents de santé privilégient les contacts avec les apprenants sur le sujet. « Nous avons remarqué que quand les filles tombent enceintes, elles ne poursuivent plus les études. Il en est de même des apprenties qui abandonnent la formation. C’est pourquoi, nous mettons l’accent sur le planning familial dans les écoles et les ateliers au cours de nos sensibilisations », souligne la responsable du service de planning familial du centre de santé de Bohicon, Hélène Ahéhémè.
Un phénomène qui résiste au temps
Mais le phénomène résiste encore aux efforts des acteurs de lutte. « Si ce ne sont pas les sensibilisations, on enregistrait pour le seul centre de santé de Bohicon, au moins une vingtaine de cas en septembre et en octobre les années antérieures. Cette année, nous en avons reçu moins d’une dizaine, mais attendons novembre pour mieux apprécier », poursuit-elle.
C’est sans compter avec la réticence des jeunes qui ignorent les dangers qu’ils courent.
« Les jeunes de 18 à 24 ans que nous sensibilisons ne nous facilitent pas toujours la tâche parce qu’ils ne comprennent pas le bien-fondé de l’abstinence ou des méthodes de planification familiale », se désole-t-elle.
Le gynécologue Bidossèssi Simon Séto souligne que la sous-information sur la santé de la reproduction et les méthodes contraceptives et le tabou familial expliquent davantage la persistance du phénomène.
Etant donné que la vie de chaque citoyen est liée à la vie socio-économique de son pays, une fille handicapée par une grossesse prématurée handicape en partie le développement de son pays. Mieux, l’éducation au rabais de la ‘’jeune mère’’ a des répercussions négatives sur celle qu’elle inculquera à ses progénitures.
Pour Toussaint Fanou-Sagbo, enseignant à la retraite et consultant en éducation, « Le manque d’ouverture de la jeune fille enceinte sur le monde, son état de demi-lettrée et de non émancipée feront d’elle une proie taillable et corvéable à merci de son ‘’mari’’ et de ses employeurs ». Aujourd’hui, la sensibilisation ne passe plus comme la seule alternative pour lutter contre le phénomène. « Elle a trop duré et ne produit aucun effet, puisque l’impunité demeure la règle », se désole-t-il.
Au-delà de l’accent à mettre sur l’éducation civique dans les établissements pour dissuader les jeunes qui font du sexe à l’école leur passe-temps favori, il faudra penser à la promotion du planning familial dans leurs rangs. L’abstinence leur étant difficile, sinon impossible, à pratiquer.
S’il est vrai que chaque enseignant doit considérer son élève comme sa fille ou sa petite sœur, il est aussi important que chaque parent mérite son titre de père ou de mère par la rigueur qu’il met dans l’éducation de son enfant. Cela passe également par le dialogue parent-enfant et davantage par la sensibilisation sur les méthodes de planification familiale.
« Les mères informées des méthodes de planification familiale doivent l’assurer à leurs filles pour éviter leur déscolarisation », préconise-t-il. Mais avant, les établissements doivent en faire aussi un outil pédagogique. « Les professeurs de Sciences de la vie et de la terre (Svt) ou d’autres disciplines similaires doivent en faire leur préoccupation en l’enseignant avec beaucoup de sérieux », suggère encore le consultant en éducation?
Maryse ASSOGBADJO