A Bohicon, l’adoption des méthodes contraceptives modernes chez les jeunes tâtonne, occasionnant des grossesses en milieu scolaire. Résistance et conservatisme font le lit de cette situation dommageable dans le rang des élèves de cette commune comptant 12 collèges d’enseignement général, et distante d’une centaine de kilomètres de Cotonou, la capitale économique du Bénin.
« Les notions qu’on reçoit sur les méthodes modernes de contraception lors des cours de Svt (Sciences de vie et de la terre) à l’école, ne nous suffisent pas. On souhaiterait qu’on nous en parle davantage ». Murielle Adassin, 16 ans et élève en classe de 3ème, porte haut le besoin en information en santé de la reproduction de ses camarades du Ceg 4 de Bohicon. Contrairement à l’idéal d’une abstinence sexuelle en milieu scolaire, Ezéchiel Mahounon, 17 ans, en classe de 3ème, est un élève sexuellement actif. Comme Murielle, il exprime lui aussi, la soif d’information : « Il faut plus de sensibilisation sur les méthodes de contraception pour les élèves filles parce qu’elles sont nombreuses à tomber enceintes ». Plus illustratif du besoin crucial, Fiacre Samba. Elève en classe de terminale, le jeune homme de 19 ans pour qui « la libido est indomptable », capitule : « Je ne connais pas totalement ce qu’est la contraception », confesse-t-il. Conséquence majeure de cette situation, de nombreuses adolescentes enceintes ou mères sur les bancs enregistrées dans la commune de Bohicon. « Plusieurs filles tombent enceintes dans notre établissement parce qu’elles ne sont pas au courant des méthodes de prévention », déplore Murielle qui ajoute : « Cette année encore, il y a une fille enceinte dans ma classe et d’autres cas dans le collège ».
Transféré du lycée Mafory Bangoura, Ezéchiel rapporte aussi des cas de ce collège, se rappelant de « plusieurs filles enceintes l’année dernière ». Ces déclarations sont corroborées par Dénis Déguénon, professeur de Physique, chimie et technologie dans plusieurs lycées et collèges de la ville.
Enceinte depuis six mois, Aubierge K. se sent victime de cette absence d’information sur la contraception qu’elle dit n’avoir pas eue plus tôt. Dans le même collège, la fille du magasinier est touchée. « Ma fille, en classe de 3ème, est mère de deux enfants », témoigne le père, qui ne cache pas son opposition farouche aux méthodes contraceptives.
Si Aubierge et la fille du magasinier poursuivent encore les cours, Larissa Adomou 22 ans, s’est vue obligée d’abandonner les classes après avoir accouché deux fois, avant d’arriver en classe de 3ème. « J’ai étudié, l’année dernière et cette année, j’ai décidé d’arrêter. J’ai deux enfants, le premier a 4 ans et demi, et le second est âgé de 2 ans et demi », confie la jeune fille qui s’occupe désormais de son petit commerce au marché »Sèxi de Bohicon ». En dehors des mises en garde verbales de sa défunte mère, Larissa jure n’avoir pas été informée des méthodes contraceptives avant de contracter ses grossesses.
Dans la commune de Bohicon où l’on compte 12 collèges, le nombre e grossesses enregistré chez les élèves est en nette progression. Selon les données de la Direction départementale de l’Enseignement secondaire Zou-Collines (Ddes), de 53 grossesses enregistrées en 2011-2012, Bohicon est passée à 98 cas en 2014-2015 avant de chuter à 72 cas en 2015-2016. Mais, la tendance à la hausse a repris l’année d’après, avec 81 cas en 2016-2017, renseigne la même source.
Hostilité masculine
A Bohicon, parler des méthodes contraceptives aux élèves est quasiment proscrit au niveau des pères de familles et des éducateurs. Evariste Avowémè, enseignant de Svt et censeur au Ceg 4 de Bohicon s’explique : « Je déconseille fortement les méthodes contraceptives dans le milieu scolaire parce que ça ouvre le champ à la prostitution. La fille qui les adopte est livrée au libertinage et ça entraîne la dépravation, la destruction complète du genre féminin ». L’enseignant est marqué par ce qu’il a entendu dire des effets secondaires des méthodes contraceptives. « Les effets secondaires font peur. Deux femmes sur trois que j’ai connues ont gardé des conséquences très dures et très difficiles qui me découragent », dit-il, évoquant la prise de poids, les saignements intermittents, et l’hypertension artérielle.
Arlette Akoueïkou, sage-femme, conseillère pays à l’Unfpa, reconnait l’existence de ces effets secondaires, mais assure de leur gestion efficace lorsque la patiente fait recours à un responsable de santé qualifié. « Il existe une prise en charge appropriée à chaque méthode. Elle peut être psychologique ou médicamenteuse”, rassure la sage-femme.
Cette assurance ne suffit pas pour convaincre Gabin Honzounon, instituteur de formation. Réfractaire aux méthodes modernes de contraception, le jeune père de famille estime que sa femme est dans la fleur de l’âge pour les adopter et risquerait, si elle le fait, souffrir d’éventuels effets secondaires sur son organisme. « Ma femme n’a que 22 ans et est mère de deux enfants. Lorsqu’on aura fini d’avoir nos 4 enfants, j’y penserai », avance Gabin.
A l’opposé des hommes, des mères sont favorables à la contraception pour les jeunes filles à l’école.
Léontine Gbèmadazan, mère de famille justifie : « On ne peut plus rien interdire aux filles d’aujourd’hui. S’il y a des méthodes qu’elles peuvent adopter pour éviter qu’elles ramènent des grossesses précoces, nous ne pouvons que les y autoriser ».
Même son de cloche chez Georgette Assémou pour qui une grossesse est synonyme de déscolarisation chez la jeune fille élève. Bien que conservatrice, Cécile, la mère de Léontine et présidente du groupement féminin ‘’Ayiwanou’’’ du quartier Hèzonho à Bohicon, approuve aussi la contraception pour les jeunes filles. « Les parents d’élèves doivent accepter que les adolescentes adoptent les méthodes modernes de contraception pour éviter des cas d’avortements clandestins fatals », conseille la grand-mère qui, elle, tient aux méthodes traditionnelles pour les femmes en couple.
Hélène Ahéhémè, responsable du service du planning familial du centre de santé de Bohicon II, confirme la tendance des mères de famille à soutenir leurs filles dans le choix des methods modernes. “Je reçois souvent des mères, en moyenne deux par jour, qui accompagnent leurs filles pour adopter une méthode de contraception”, témoigne la sage-femme.
Changer la donne
Face à la situation, les sages-femmes se mobilisent à Bohicon. Des sensibilisations aux adolescents ne manquent pas, selon les dames en blouse rose. « Nous faisons des sensibilisations vers les élèves », assure Hélène Ahéhémè. Des campagnes de sensibilisations fixes et mobiles sont organisées, renchérit Gilberte Sègnonnan, Sage-femme diplômée d’Etat et responsable de la Statistique et surveillance épidémiologique de la zone sanitaire Zogbodomey-Bohicon-Zakpota (ZOBOZA). « Après les sensibilisations, les élèves viennent se renseigner davantage sur les méthodes de contraception », souligne-t-elle. Pour la dernière campagne organisée au mois de septembre selon la statisticienne, 671 jeunes filles de moins de 25 ans ont accepté les méthodes modernes de planification familiale. En dépit de l’impact obtenu, elle estime qu’il y a encore du travail à faire. « On sensibilise mais on n’a pas encore le résultat escompté. Il faut insister et si possible, intégrer l’éducation sexuelle dans le programme scolaire », préconise-t-elle.
Flore S. NOBIME