De retour de France après un habituel contrôle médical, l’ancien président de la République et Maire de la ville de Cotonou, Nicéphore Dieudonné Soglo, est monté au créneau pour dénoncer la mauvaise gouvernance et « la chasse aux sorcières » livrée aux élus locaux et autres personnalités par le pouvoir en place. C’était hier, mardi 5 décembre 2017 dans les locaux du siège du parti de la Renaissance du Bénin à Kouhounou.
L’appel de Vidolé a été bien suivi par les hommes politiques du Front pour un sursaut patriotique (FSP), du Parti communiste du Benin (PCB), les élus locaux, les femmes du marché Dantokpa, et bien d’autres, qui ont pris part à la déclaration du président Nicéphore Dieudonné Soglo. Un message plein d’indignation face à la mauvaise gouvernance et la lutte contre la corruption, engagée depuis peu par le pouvoir en place. Le président Nicéphore Dieudonné Soglo s’est indigné de la « chasse aux sorcières » enclenchée contre les élus locaux dont ceux de Parakou, de Djidja, Allada, Porto-Novo, Ouidah et Cotonou. Une situation qui a engendré l’exil du maire de Cotonou, Lehady Vinagnon Soglo, après avoir subi pas moins de quatre audits en un an. « Je veux exprimer ici, ma honte et mon indignation devant les tracasseries inacceptables, les mesquineries qui déshonorent leurs auteurs dont ma famille et moi sommes l’objet », ajoute-t-il. L’ancien chef d’Etat regrette aussi le sort subi par l’un des membres du Parti communiste du Bénin (PCB), le syndicaliste Laurent Métognon, jeté en prison comme ce fut le cas du président Sébastien Ajavon, impliqué dans une « sombre affaire » de trafic de cocaïne. Pour lui, le soutien du président du patronat Sébastien Ajavon à Patrice Talon, au second tour de la présidentielle de 2016, est une « imprudence » et, « s’il avait fait le choix inverse, le président du Bénin s’appellerait aujourd’hui Lionel Zinsou ». Face à ce mode de gouvernance, le président Soglo affirme son regret d’avoir mené une lutte contre Lionel Zinsou lors de la présidentielle de 2016. « C’est moi qui vous ai dit, à la veille de ces élections, que la Françafrique ne nous laissait le choix qu’entre la peste et le choléra, ce qui risquait de faire le lit de Boko Haram. Fallait-il s’abstenir ? J’ai perdu mon pari. Je bats ma coulpe et je fais pénitence », se confesse-t-il. Pour le président Soglo, la lutte contre la corruption enclenchée par le gouvernement incombe aux différents corps de contrôle, puis à la justice béninoise. « Il nous faut renouer avec le pardon, éviter les conflits d’intérêts, mettre fin à l’exercice solitaire du pouvoir et à l’opacité dans la gestion », propose-t-il.
L’esclavage en Lybie
Au cours de cette même conférence, le président Nicéphore Soglo s’est aussi prononcé sur l’esclavage en Lybie qui, une fois encore, vient de mettre à nu la traite arabe. L’ancien chef d’Etat invite à connaître et à combattre sans pitié et sans concession ce commerce honteux et monstrueux. Il convie les gouvernants, les partis politiques, syndicats, de la société civile à s’unir pour dégager, ensemble, les propositions concrètes appuyées d’un calendrier précis pour venir à bout de ce fléau.
DECLARATION DU PRESIDENT NICEPHORE SOGLO
Béninoises, Béninois, Chers Compatriotes,
L’an dernier, de retour de France après notre habituel contrôle médical, nous sommes, mon épouse et moi, tombés dans la rocambolesque affaire AJAVON. Le Président du patronat béninois avait commis, un an plus tôt, l’imprudence d’accorder ses voix pour assurer l’élection du candidat TALON. S’il avait fait le choix inverse, le Président du Bénin s’appellerait aujourd’hui Lionel ZINSOU qui prétendait que ‘’l’Afrique appartient à l’Europe’’. Et voilà le Président AJAVON brutalement mis aux arrêts et jeté en prison pour une sombre affaire de trafic de cocaïne.
C’est moi qui vous avais dit, à la veille de ces élections, que la Françafrique ne nous laissait le choix qu’entre la peste et le choléra, ce qui risquait de faire le lit de Boko Haram. Fallait-il alors s’abstenir ? J’ai perdu mon pari. Je bats ma coupe et je fais pénitence.
Depuis, se substituant au peuple et au mépris des textes sur la démocratie locale, une véritable chasse aux sorcières est livrée aux élus locaux par le gouvernement, au moment où l’explosion urbaine est un phénomène planétaire (quelle inconscience !). Les victimes sont les communes de Parakou, Djidja, Allada, Porto-Novo, Ouidah et Cotonou. Et le mouvement continue. Le maire de Cotonou, qui a eu plus de chance que celui de Dakar, vit désormais en exil après avoir subi pas moins de quatre audits en un an. Quel acharnement ! Sa maison fut perquisitionnée. Voulait-on peut-être y mettre de la cocaïne ? Qui sait ? Car des chars avaient bouclé son quartier et il ne manquait plus que des hélicoptères de combat.
Et cette année encore, à notre retour de France, bis répétita, ça recommence. Après AJAVON, c’est au tour du célèbre syndicaliste METOGNON membre du Parti Communiste du Bénin (PCB) de subir le même sort. Il ne faut tout de même pas insulter Dieu. Car sans la lutte héroïque du PCB, il n’y aurait pas eu de démocratie dans notre pays. C’est cette histoire qui doit être enseignée dans nos écoles et nos universités. Ne vivons plus dans l’ignorance et le mensonge.
En forçant KEREKOU à se réfugier à l’église Saint Michel, le PCB a obligé la France à sommer son gouverneur à peau noire de faire diligence. C’est l’ambassadeur Guy AZAIS qui a transmis un véritable ultimatum à Pierre OSHO, le Directeur de Cabinet de KEREKOU, le gouverneur à peau noire. Car ce transfuge de la Françafrique, (nous le savons depuis l’Affaire KOVACS), s’était refugié pendant plus de 17 ans dans le camp soviétique. Il convoqua sans délai, une réunion de toutes les Forces Vives de la nation. C’est cette réunion que le génie béninois transforma en la célèbre Conférence Nationale Souveraine qui m’a chargé de mettre en œuvre ses recommandations. On ne peut plus continuer à étouffer la vérité.
Avant cette réunion, Michel CAMDESSUS, l’ancien gouverneur de la Banque de France devenu Directeur Général duFMI, avait déclaré, je cite :‘’une politique économique musclée, réussit le mieux, quand les dirigeants politiques sont en mesure d’obtenir un consensus populaire en faveur de leur stratégie économique grâce à un véritable dialogue avec la population ’’fin de citation. (Voir Afise D. ADAMON, Le Renouveau Démocratique au Bénin, Ed. L’Harmattan). On venait de mettre à la porte sept mille fonctionnaires. Toutes les banques avaient déposé leur bilan. Les universités et les écoles étaient fermées. Les cas de mort, de prostitution et de suicide étaient devenus un spectacle quotidien. Le pays était au bord de la guerre civile. La Conférence Nationale était une nécessité, le passage obligé avant toute réforme. C’est la raison de mon absence au lancement du PAG, sorti je ne sais, de quelle officine.
N’ayons pas l’ingratitude d’oublier le lourd tribut payé par le PCB, (l’actuel Sursaut des Forces Patriotiques). Ses militants, Luc TOGBADJA, Rémi AKPOKPO GLELE, Parfait ATCHACA, Serge GNIMADI et bien d’autres encore, sont morts sous la torture, au Petit Palais. D’autres, comme maître BAPARAPE, l’avocat de METOGNON, ont subi d’affreuses tortures dans les camps de concentration de Ségbana, Parakou dirigé, est-ce un hasard, par Clément ZINZINDOHOUE, sans oublier, Dodja, Petit Palais, PCO et PLM Alédjo. Evitons de céder à nouveau aux sirènes de la division et de l’individualisme dénoncés jadis par l’écrivain français Emmanuel MOUNIER dans son livre L’Eveil de l’Afrique.
La jarre trouée du roi Guézo nous invite tous à l’union ; car l’heure est grave, très grave surtout après la bombe qui a éclaté en Libye et dont les effets vont se propager dans toute la CEDEAO et dans toute l’Afrique au Sud du Sahara.
Mon regret est de n’avoir pas pu, malgré mes efforts, mettre sur pied une Commission Vérité et Réconciliation pour parfaire notre Conférence Nationale à l’exemple de l’Afrique du Sud de Nelson MANDELA. Car il n’y a pas de paix sans justice, il n’y a pas de pardon sans confession. Nous devions à tous ces combattants un minimum de reconnaissance surtout, après la capture de Cissé le tout puissant marabout analphabète du gouverneur à peau noire : le Raspoutine béninois. Evitons qu’il ne renaisse sous les traits d’une sorcière bien connue dans le Zou. Le souvenir de cette tragédie, de cette période de désespoir reste à jamais gravé dans la mémoire de tous les Béninois.
Venons-en maintenant à la lutte contre la corruption. Elle incombe aux différents corps de contrôle, puis à notre justice dans laquelle nous plaçons notre confiance et à qui nous demandons de ne pas, à son tour, tomber dans ce travers. Mais en démocratie, il faut aussi respecter la présomption d’innocence. Car souvent, les gouverneurs à peau noire (même le roi du Zaïre : MOBUTU), qui prétendent laver plus blanc, utilisent la lutte contre la corruption comme une arme pour intimider leurs opposants. Mon passage à la Banque Mondiale m’a permis d’avoir ces documents officiels que certains assimilent à des armes de destruction massive.
Restons calmes, sereins, ‘’N’ayons pas peur’’, comme disait le Pape Jean-Paul II, s’adressant à ses compatriotes polonais. Ne perdons pas de vue d’où nous venons ; et renouons avec la philosophie de la Conférence Nationale Souveraine, basée sur la non-violence. Nous sommes les disciples de GANDHI, de Martin LUTHER KING et de Nelson MANDELA.
Dans son célèbre recueil de sermons : La Force d’Aimer, le pasteur Martin LUTHER KING nous invitait à méditer ces paroles de Jésus : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ». Le fils de Dieu aurait pu dire ‘’Père, déchaîne la foudre puissante de ta juste colère et détruis-les’’. Mais ‘’du haut de la croix, Jésus a proclamé solennellement une loi plus haute. Il savait que la vieille philosophie de l’œil pour œil laisserait chacun aveugle. Il ne chercha pas à vaincre le mal par le mal. Il vainquit le mal par le bien. Crucifié par la haine, il répondit par l’amour’’. Quelle magnifique leçon ! Il faut donc cesser d’adorer le Dieu de la vengeance et de nous incliner devant l’autel de la revanche. « Seule la bonté peut extirper le mal, seul l’amour peut vaincre la haine ».
Il nous faut renouer avec le pardon. Eviter les conflits d’intérêts, mettre fin à l’exercice solitaire du pouvoir et à l’opacité dans la gestion en publiant s’il le faut, comme je l’ai fait en 1992 dans le quotidien la Nation, les salaires des membres de mon gouvernement y compris le mien. Et surtout, avoir plus de compassion pour les pauvres, les déshérités. Aimé CESAIRE, mon maître à penser, ne disait-il pas qu’on juge un homme à son attitude à l’égard de la souffrance humaine ?
Passons à présent, à la bombe qui a explosé en Libye, à notre longue marche vers la terre promise. Car l’heure de Dieu est la meilleure, dit un proverbe béninois.
Les dirigeants de l’Afrique noire avaient peut-être besoin d’un électrochoc, devenu planétaire grâce à vous, hommes et femmes des médias, pour enfin entendre les gémissements de leurs jeunesses et les obliger à s’unir. Désormais, rien ne sera plus comme avant. Nos chefs avaient des voisins de palier avec qui ils partagent la même foi (Mohammed Ali se retournera dans sa tombe). Ces derniers les ont fait passer aux yeux de leur peuple, pour des dindons de la farce ou pire, des complices. Et tout cela, pour ce que le Pape François appelle le ‘’fumier du diable’’ ? On comprend dès lors, leur désarroi, leur colère et la rapidité sinon la violence de leur réaction.
Car l’horreur est là : massif, incroyable, monstrueux, un génocide voilé : la traite arabe qui n’a jamais cessé est enfin mise à nue. Il faut la faire connaitre et la combattre sans pitié et sans concession. Nos peuples attendent avec impatience, la réaction et les propositions concrètes appuyées d’un calendrier précis de la part des gouvernements, des partis politiques, des syndicats, de la société civile et surtout celles des intellectuels comme ce fut le cas après ‘’Lav Gifle de Dakar’’ infligée par SARKOZY, un autre chef de la Françafrique. En ma qualité de Vice-président du Forum des Anciens Chefs d’Etats et de gouvernement, créé en 2006 à Maputo par Nelson MANDELA, chargé du Devoir de Mémoire et de la Route de l’Esclave, je reviendrai plus longuement sur ce sujet vital, existentiel.
Pardonnez-moi de terminer mes propos par un problème personnel. Nous sommes, il est vrai, encore dans la phase d’apprentissage de la démocratie. Nous devons progresser et prendre exemple sur les pays qui nous ont devancés sur cette voie. Je veux exprimer ici, ma honte et mon indignation devant les tracasseries inacceptables, les mesquineries qui déshonorent leurs auteurs dont ma famille et moi sommes l’objet. Tout le pays est au courant. Civilisation ou barbarie ? Voilà encore l’une des raisons, qui explique pourquoi en Afrique, les présidents s’éternisent au pouvoir.
Décidément, la ‘’Rupture’’ n’en rate pas une. Mais chacun sait que Jupiter rend fou ceux qu’il veut perdre.
Je vous remercie.
Cotonou, le 05 décembre 2017.
Rastel DAN