La décision rendue par la Cour Constitutionnelle le 05 décembre 2017 (DCC 17-251) crée la polémique en raison de la portée que certains analystes tentent de lui donner. Saisie de deux requêtes respectivement les 28 juin et 02 août 2017 par lesquels les sieurs Kpodèto Philibert AZON et Komi KOUTCHE forment un recours en inconstitutionnalité du « relevé du Conseil des ministres du 28 juin 2017, en son point 2.6.3 portant “Mission d’audit organisationnel, technique et financier de la filière coton au Bénin …” » ; la Cour conclut à l’issue de l’analyse du recours sur le fondement des articles 26 de la Constitution béninoise et de l’article 3 de la Charte africaine des Droits de l’Homme qu’il y a eu violation du principe de l’égalité.
Cette décision a été diversement traitée et interprétée par les différents organes de presse qui ont hâtivement conclu à un désaveu du gouvernement par la Haute juridiction (lire par exemple, La Nouvelle Tribune du 11 décembre 2017).
Au-delà de la lecture approximative à laquelle ladite décision a donné lieu dans les médias, c’est davantage la portée juridique de la décision qui appelle quelques observations.
En l’espèce, sur la base du rapport du Cabinet d’audit Mazars, diligenté par le Gouvernement, le relevé du Conseil des ministres n°22/2017/PR/SGG/CM/OJ/ORD du 28 juin 2017 au point 2 a fait état de graves irrégularités dans la gestion de la filière Coton au titre des campagnes 2013-2014, 2014-2015, 2015-2016 portant des préjudices importants à l’Etat.
A l’examen du rapport d’audit, la responsabilité de ces irrégularités est à rechercher au sein des membres des Commissions mises en place par le Gouvernement précédent pour les campagnes querellées. Dans ce cadre, certaines personnes dont l’ancien ministre de l’Economie, des Finances et des Programmes de Dénationalisation, Monsieur Komi KOUTCHE, ont été visées.
Le Conseil des ministres a instruit le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et de la Législation, en relation avec le ministre de l’Economie et des Finances, à l’effet d’engager les poursuites judiciaires appropriées et de faire prendre des mesures de saisies conservatoires pour assurer le remboursement par les membres desdites Commissions et structures d’Etat en cause et leurs complices, dès lors que leur responsabilité serait établie.
Dans son dispositif, la Cour a décidé par un raccourci que le relevé du Conseil des ministres querellé est contraire à la constitution. Ce relevé du conseil des ministres laisserait apparaître que les personnes identifiées comme responsables d’actes de mauvaise gouvernance ont été citées, pour certains, nommément, alors que pour d’autres, leurs noms n’ont pas été cités nommément et il n’est fait allusion qu’à leur qualité en vertu de laquelle ils ont agi.
Une telle décision n’entraine aucune conséquence sur les probables poursuites qui seront exercées contre les présumés auteurs des irrégularités constatées, que lesdits auteurs aient été nommément cités ou non par les résultats d’audit.
En fait, les juridictions pénales appelées à connaître de l’affaire seront saisies « in rem » c'est-à-dire en raison des faits. Si dans la conduite de l’instruction en vue de la manifestation de la vérité, il apparaît que l’enquête doit être élargie à d’autres personnes ou à d’autres faits, la juridiction saisie avisera et agira conséquemment.
En l’état, il serait inexact de penser que la décision de la Cour Constitutionnelle constitue un obstacle à quelque titre à la poursuite et au jugement des personnes indexées par le rapport d’audit.
La Cour constitutionnelle n’a pas statué sur les faits révélés par le rapport d’audit. Elle n’en a d’ailleurs pas le pouvoir. Elle s’est juste prononcée sur les formulations employées pour désigner les personnes soupçonnées de commission d’irrégularités dans lesdites affaires, lesquelles formulations violeraient le principe d’égalité.
Maître Jacques A. MIGAN
Ancien Bâtonnier