Lorsqu’elles essaient d’accéder aux soins de santé, les personnes handicapées rencontrent toute une série d’obstacles. Ce qu’affirme Géronime Tokpo, juriste, présidente de la fédération des associations les regroupant, personne handicapée de la vue. Elle plaide pour la prise des décrets d’application de la loi portant protection et promotion des droits des personnes handicapées. Une loi qui prévoit un certain nombre d’avantages à ces dernières, dont l’instauration d’une carte d’égalité des chances.
La Nation : Quels sont les problèmes spécifiques auxquels sont confrontées les personnes handicapées en matière d’accès aux soins de santé au Bénin ?
GéronimeTokpo : Les personnes handicapées éprouvent des problèmes spécifiques dans le domaine de la santé. Ces problèmes sont de plusieurs ordres. Concernant l’accessibilité infrastructurelle, les infrastructures sanitaires, je dirai même les infrastructures socio-communautaires en général, au Bénin, pour la plupart ne sont pas construites suivant les normes d’accessibilité qui facilitent l’accès de ces bâtiments aux personnes handicapées. Vous avez des personnes handicapées qui viennent à l’hôpital avec leur fauteuil roulant et qui ont besoin de circuler librement au niveau des centres de santé mais généralement, la plupart des centres de santé ne sont pas si accessibles et cet état de choses peut déjà décourager la personne handicapée à y accéder. Et quand on parle d’accessibilité, il y a aussi l’accessibilité au matériel. Je prends le cas spécifique des tables d’accouchement. Pour les femmes handicapées moteur, les tables d’accouchement ordinaires ne sont pas du tout adaptées. Elles ne peuvent pas monter sur ces tables d’elles-mêmes et parfois, ou très souvent, le personnel sanitaire est obligé de les soulever et de les prendre comme des colis. Ce qui pose un problème de dignité et qui parfois, amène des situations de railleries, de moquerie de la part du personnel sanitaire du genre, « tu es personne handicapée et tu aimes le sexe », etc. Alors qu’il y a des pays où les tables d’accouchement sont conçus de façon adaptée de telle sorte que la femme qui a des déficiences au niveau de ses membres arrive à monter facilement d’elle-même et ne constitue plus une charge pour le personnel sanitaire.
L’autre chose qu’on peut aussi aborder, c’est la formation du personnel sanitaire aux spécificités du handicap. Lorsque ce personnel reçoit par exemple des personnes sourdes, s’il n’est pas déjà sensibilisé à savoir comment parler, comment échanger avec les personnes sourdes, le dialogue ne passe pas et donne lieu à d’autres choses parce que le personnel sanitaire est fatigué, il ne comprend rien et la personne handicapée elle-même ne se sent pas accueillie. C’est la même chose pour les personnes avec des déficiences intellectuelles ou des personnes avec des déficiences visuelles. Lorsque le personnel sanitaire n’est pas formé ou sensibilisé à accueillir ce type de patients, l’accueil fait défaut et tout cela fait que la personne handicapée peut ne plus fréquenter les centres de santé.
Qu’en est-il des problèmes d’accessibilité financière ?
Le problème le plus important pour nous, c’est le problème d’ordre économique. Vous savez que 80% des personnes handicapées sont pauvres comme le révèle le rapport mondial de 2011 sur le handicap, conjointement produit par l’OMS et la Banque mondiale. Notre pays n’échappe pas à cette situation. Ici aussi, la plupart des personnes handicapées vivent dans la pauvreté. Et la question la plus cruciale pour nous personnes handicapées aujourd’hui au Bénin, c’est l’accès à un emploi, l’accès au travail, que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur privé. Il faut avoir un emploi pour assurer son indépendance. Si la personne handicapée n’a pas d’emploi, si à l’âge adulte, elle se retrouve encore à la charge de ses parents, elle n’arrive pas à se prendre en charge, c’est normal qu’elle ait des difficultés à accéder aux soins de santé qui ont également un coût. A ce niveau, la fédération reçoit beaucoup de demandes d’aide ; vu que la fédération est limitée elle-même en ce qui concerne les ressources, elle n’arrive pas à répondre à ces besoins-là.
Il faut préciser que la déficience fait aussi parfois appel à un suivi médical. Par exemple les personnes handicapées moteur qui portent des appareils orthopédiques, ont besoin de les renouveler de façon périodique. Renouveler un appareil coûte au moins 300.000 F CFA. Beaucoup n’ont pas les moyens de le faire, l’appareil devient défaillant et à moindre geste, la personne handicapée chute et tombe. La déficience visuelle appelle aussi parfois un suivi ophtalmologique qu’il faut pouvoir supporter. Il y a des personnes sourdes qui portent des appareils auditifs pour pouvoir mieux entendre. Ces appareils, il faut les entretenir et ça a un coût. Tout ceci fait partie des problèmes spécifiques auxquels les personnes handicapées font face. Les problèmes sont donc nombreux.
Qu’attendez-vous des pouvoirs publics pour faciliter l’accès des personnes handicapées aux soins de santé ?
Nous portons tous ces problèmes dans le plaidoyer de la fédération et c’est ça qui a fait que dans la loi portant protection et promotion des droits des personnes handicapées en République du Bénin votée par l’Assemblée nationale en avril 2017 et promulguée par le président de la République en septembre 2017, il est prévu l’instauration d’une carte d’égalité des chances et cette carte confère à son détendeur, des avantages dans plusieurs domaines dont le domaine sanitaire et ces avantages peuvent aller de la réduction des coûts d’accès aux soins jusqu’à la gratuité des soins de santé. La loi l’a prévue, il reste que les décrets d’application l’accompagnent. Tout ce que nous demandons aux autorités, c’est de faire en sorte que tout ce qui est prévu dans cette loi devienne une réalité et aussi, faudrait-il que les autorités prennent en compte la question du handicap dans toutes les politiques d’assurance, de prise en charge qui sont en train d’être élaborées au niveau national. Ainsi, les problèmes d’accès aux soins de santé des personnes handicapées seront un peu réduits et elles pourront vivre mieux.
Propos recueillis par Reine AZIFAN