C’est à un exercice bilan de deux mandats (2011-2017) que le Recteur sortant de l’Université d’Abomey-Calavi (Uac), le Professeur Brice Sinsin s’est soumis. Reçu en INVITE DU LUNDI, l’ingénieur agronome-forestier a exposé quelques-uns de ses grands acquis après 6 ans de gestion de la première université nationale du Bénin. Lisons !
L’EVENEMENT PRECIS : Quel héritage laissez-vous à la communauté universitaire après deux mandats ?
Recteur Brice Sinsin : Nous sommes dans l’académique et ce que la communauté internationale attend d’une université est qu’elle soit attractive pour revoir des étudiants, des enseignants. C’est donc de savoir si elle prendre en compte les attentes des étudiants à travers leur insertion professionnelle. Globalement, l’Uac n’a pas encore fini de relever les défis qui sont les siens, à savoir la surpopulation indépendamment de notre volonté tout comme le taux d’encadrement qui sont relativement faible. Cependant, nous avons réussi à formaliser l’année académique. Car, à ce jour, il y a des universités dans la sous-région qui n’ont pas encore organisé la rentrée académique des bacheliers de 2016. Les bacheliers de 2015 continuent le processus d’enregistrement dans certaines universités. C’est déjà très bien de dire que, quand on vient à l’Uac, l’année académique est très bien découpée en semestres et aussi en fin d’année. La seconde chose, est de confirmer que l’Uac reste attractive. Les facultés classiques ont mis au point un dispositif de sélection de ceux qui peuvent aller en faculté des lettres, arts et sciences humaines, en sciences techniques, en sciences juridiques, économiques. Cela montre que l’Uac reste attractive. Aussi, beaucoup d’étudiants préfèrent venir ici faire leur formation du 3ème cycle. L’uac arrive à faire des échanges d’étudiants. Tous ceux que nous avons pu envoyer au Kenya, en Afrique du sud et autres, sont si performants qu’on fait tout pour les retenu là-bas intégrant de grands réseaux de chercheurs. Nous réussissons ainsi à accompagner l’Etat dans l’insertion professionnelle. Nous sommes l’une des rares en Afrique à initier le corps au service des volontaires. Le service essaye de donner suffisamment d’outils aux apprenants pour leur performance sur le terrain. Comme les autres universités, on n’est pas nombreux à avoir un incubateur pour aider les diplômés qui ont des idées géniales d’entreprises, ou de création d’entreprise à atteindre leur objectif. Beaucoup de groupes comme MasterCard au Canada, la coopérationnéerlandaise, ont saisi cette opportunité pour réorienter leur financement à l’enseignement supérieur en aidant les jeunes très intelligent dont les parents sont démunis. L’Uac est aussi sortie de sa tour d’ivoire pour permettre aux pouvoirs décentralisés de l’utiliser pour parfaire leurs plans de développement communautaire. C’est aussi une université qui essaye donc de bien s’insérer. Nous avons tendu la main à des personnes pour venir chercher des solutions à l’université. C’est cela notre vision d’université citoyenne. L’Université doit se confondre à tout le monde pour un développement durable.
Que dites-vous de la conciliation des charges rectorales aux activités pédagogiques, qui vous a permis de décrocher de prix ?
C’est difficile pour moi d’assurer une charge administrative sans penser à mes fondamentaux. Comme vous le savez, je suis ingénieur agronome forestier. C’est après que j’ai évolué pour devenir enseignant. Maintenant en tant qu’ingénieur forestier, je reste attaché pour ce qui de ma spécialité, qui est la conservation de la ressource naturelle. Toute chose qui m’oblige à aller questionner la nature avec les étudiants, mes collègues du domaine. Dans l’académie, ce genre d’exercice se fait à l’intérieur des programmes de recherche. C’estpourquoi, j’ai maintenu un certain nombre d’enseignements et mes activités de recherches à travers mes doctorants et mes collègues qui m’accompagnent. Cela fait que bien étant recteur, en mois d’août dernier par exemple, j’ai regroupé toutes mes sorties pédagogiques pour aller sur le terrain avec mes étudiants du Bénin au Niger passant de sites d’expérimentation en sites de recherches. J’ai continué à former ma relève en formant de nouveaux docteurs. Bref, je me suis planifié de telle manière que je ne puisse jamais enlever mon manteau professionnel. Je suis resté très attaché à la recherche. Donc ce n’est pas étonnant que les critères qui ont été avancés pour ce prix soient à notre actif. On était parmi les tops en terme de recherches et de renommés, sans oublier le sens de l’innovation. On a réussi à remplir les critères qui nous ont valu ce prix.
Votre secret pour la vingtaine de prix décrochés par l’Uac
C’est en fait les autres qui font leur enquête et vous découvrent. Ce n’est pas qu’on va là-bas pour demander qu’on nous offre des prix. On nous appelle seulement pour nous informer de nos prouesses. Pour moi, le passage au rectorat est un service que je suis venu rendre à ma communauté. Mon champ d’expression de ma profession est mon laboratoire, ma faculté et les étudiants sans oublier mes collègues scientifiques. Une fois que vous acceptez ce poste, attendez-vous à tout. Car, un philosophe de la chine antique dit : « Diriger, c’est servir ». Si tu n’es pas prêt à servir ta communauté, ne t’attends pas à te mettre à leur tête pour les commander. Je suppose que tout ce que j’ai connu comme difficulté et défis font partie de cela. C’est vraiment une valeur que je partage.
Quel bilan faites-vous en terme de réalisation d’infrastructures académiques
Globalement, il faut se dire que normalement les rectorats n’ont pas pour mission d’installer les infrastructures académiques. Cela relève du gouvernement et du ministère de tutelle. Mais face auxdésarrois constatés sur ce campus, où les formations sont attrayantes sans les cadres, nous avons décidé autrement. Nous avons donc fait un bilan en terme d’insuffisance de nos infrastructures et aussi de ce que nous pouvons attendre de manière concrète du pouvoir central. C’est de là qu’on s’est dire que si nous même ne faisons rien, personne ne pourra nous accompagner. C’est ainsi que nous avons commencé à revoir radicalement la gestion de cette université en terme de rubrique de dépense. On s’est rendu compte qu’il y a beaucoup de rubriques de dépenses sur lesquelles nous pouvons faire des économies pour faire face aux investissements. On a commencé par la commande des préfabriqués de la Chine où on a été aidé par notre service de volontaires pour les installer sans grandes dépenses. C’est ce qui a valu les salles pour les formations en master. Mais aussi avons-nous mis à contribution l’effort commun à travers un téléthon pour sortir un « Amphi Téléthon ». Le Président Yayi Boni et d’autres ministres, en son temps, ont mis la main à la poche pour nous accompagner. Ensuite, sur nos économies, on a construit un bâtiment pour les enseignants que nous appelons « La Doctrine ». Donc, pas mal d’enseignants ont aujourd’hui de bureaux afin de poursuivre les échanges avec les étudiants après les cours, et aider les chefs d’établissement à animer la vie de ces établissements de formation dont ils font partie. Nous avons mis un grand accent sur la coopération interne comme externe. Les fruits ont aussi tenus la promesse des fleurs. C’est ainsi que nous avons des amphis désignés « Amphi Ouattara », « Amphi Houdégbé », « Amphi Etisalat »et autres. Mais nous constatons que le problème se pose toujours.
Est-ce une option de construire de petites salles de cours alors que nous avons de grands effectifs ?
Heureusement que je suis enseignant et reste encore devant les étudiants. Lorsque je rentre dans une salle et je trouve une trentaine d’étudiants ou une centaine, je me dis que je suis là pour répondre aux attentes de chacun de ces étudiants dont certains diront par la suite qu’ils n’ont pas compris telle ou telle partie du cours. Vous êtes obligés de revenir expliquer les formules et autres. En pratique, c’est difficile de passer d’étudiant à étudiant pour montrer et expliquer ce qu’il y a dernière les formules et autres. Ce n’est donc pas une question de luxe, mais une question de nécessité de donner une formation de qualité aux étudiants. Et dites-vous que l’apprenant d’aujourd’hui est la future autorité de demain. Donc, il ne faut pas mal le former. Je ne mise plus pour des amphis de grand effectif. Il faut aussi penser au taux d’encadrement. Pour les salles qui n’ont pas encore de climatiseurs, c’est de façon progressive. C’est pareil pour la sonorisation qui est en cours de renouvellement. Mais les petites salles construites ces dernières années sont bien équipées.
Qu’est- ce qui n’a pas réellement marché au cours de votre mandat ?
J’avais un grand souci pour la communication. On accuse la plupart des chercheurs de ce qu’ils font de la recherche mais qu’on ne voit rien. En réalité, les chercheurs publient et sont très heureux de recevoir les articles publiés sans penser à communiquer sur le contenu. C’est dire qu’ils ne communiquent pas sur les recherches. Si vous ne communiquez pas, comment les partenaires sauront vos compétences ? Comment sauront-ils qu’il y a des pratiques technologiques dans votre université? Donc on a mis une station de radio et de télévision sur pied. C’est installé sur le bâtiment Etisalat. Mais le projet est inachevé et ceci en fonction des limites de nos moyens. Donc, c’est pour moi, un grand projet qui n’a pas connu son aboutissement avant mon départ du rectorat. Je crois que l’équipe qui sera là va poursuivre avec la recherche des moyens pour atteindre les objectifs.
Mais la collaboration rectorat-étudiants n’a pas été une réussite
Nous avons passé des périodes difficilesavec beaucoup de réactions hors d’imagination. Mais depuis deux ans, j’ai retrouvé une vie normale comme cela a été le cas au cours de mon premier mandat. Mais principalement, il faut citer que ce sont les problèmes de massification et des réformes qui ont été incompris. Parlant des frais d’inscription, cela dépend de la position dans laquelle on se trouve. Pour nous, nous voulons sortir des produits de qualité capable de competir avec tous les étudiants au monde pour des tests. Je crois qu’un député a posé la question à notre ministre, pour savoir ce que coûte une formation dans une faculté comme la FAST, à un étudiant. Je vous dis qu’un licencié revient à au moins 1.300.000 FCFA. Allons voir ce que cela coûte dans les écoles où il faut faire face aux intrants, les uniformes, les sorties pédagogiques et encadrements. Bref, on ne veut pas sortir des diplômés non compétitifs.
Dans la sous-région, la thèse coûte moins de 100.000Fcfa alors qu’au Bénin on est au-delà de 600.000 Fcfa . Qu’est- ce qui explique la différence ?
Ce qui explique la différence est que ces Etats font mieux dans certains domaines que nous. La seconde chose, l’engagement d’un Etat vis-à-vis de son université est en fonction de son budget. Je ne sais pas le positionnement de notre Etat par rapport à un budget de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Burkina Faso.
Dites-nous dans quelle fourchette se situe le budget de l’Etat à l’Uac ?
Je vous dirai que certains collègues ont cherché à voir clair dans la gestion du rectorat, le gouvernement a envoyé la Brigade économique et financière pour un contrôle d’un mois. Mais ils sont restés plus de trois mois et ce sont eux-mêmes qui nous ont tiré chapeau. Le gouvernement nous doit plus de 2 milliards 300 millions de Fcfarien que sur ce qu’il a promis en terme de gratuité. Maintenant sur une base régulière, on reçoit des subventions de plus 10 ans qu’on reconduit mécaniquement. Malheureusement, la session budgétaire qu’on a eue récemment avec les ministres des finances et de l’enseignementsupérieur a prévu des réductions. Donc, on attend de voir ce que ça va donner pour l’année prochaine.
Quelle est la qualité que vous reconnaissez à votre successeur, le Professeur Maxime da Cruz pour conduire l’université pour les trois prochaines années ?
Il a des qualités reconnues. L’écoute est déjà un grand atout pour cette « garderie » que nous gérons. On assiste beaucoup plus l’Etat à conserver les bacheliers. Or, notre capacité réelle d’accueil est de 500 étudiants. Je suis de l’avis de ceux qui pensent que quand on forme correctement un individu à la personnalité, il va mieux diriger l’entreprise que le gestionnaire. Mon prédécesseur est à la hauteur de la mission.
Propos recueillis par Emmanuel GBETO