A l’Assemblée nationale, l’opposition est réduite au silence. Hier jeudi 21 décembre 2017, le président Adrien Houngbédji a arraché à la minorité parlementaire le droit de s’exprimer lors de la séance plénière portant sur le projet de loi des finances de 2018. Une manière peu élégante de montrer que l’Assemblée nationale est devenue l’appendice du gouvernement.
Tout démontre désormais que le Parlement est aux ordres du gouvernement. Une partie de l’hémicycle ne jure que par Patrice Talon. Hier, le président de l’Assemblée nationale a étalé ce qui était connu de tous. Me Adrien Houngbédji a en effet empêché les membres de la minorité parlementaire de s’adresser à leurs collègues. Alors que le député Guy Mitokpè, porte-parole de ladite minorité, portait dans une intervention un regard critique sur les relations entre le Parlement et l’Exécutif, le président Houngbédji l’a stoppé net. «Je n’accepterai pas que vous fassiez outrage aux institutions de la République. Vous ne pouvez pas outrager le Chef de l’Etat. Ce n’est pas possible. C’est une institution de la République», a-t-il déclaré en suspendant la séance. Beaucoup souligneront que Me Adrien Houngbédji n’a fait que respecter les prescriptions du Règlement intérieur du Parlement. L’article 42 dudit Règlement souligne en effet que «Le Président de l’Assemblée nationale (…) peut également arrêter toute intervention soit de sa propre initiative, soit sur une motion de procédure ou d’ordre soulevée par un membre de l’Assemblée nationale». Mais la décision n’autorise aucunement le bâillonnement d’une partie de l’Assemblée nationale. Le bloc de la majorité présidentielle (Bmp) avait fait plusieurs déclarations bruyantes dans ce même hémicycle. Pourquoi ne faut-il pas alors donner l’occasion à la minorité parlementaire d’exprimer son point de vue? Le président Houngbédji a abusé de son pouvoir ce jeudi. Il a même dû inventer une infraction pour justifier sa décision liberticide. En évoquant, en réalité, le risque d’«outrage aux institutions de la République» face à son jeune collègue Mitokpè, le président de l’Assemblée s’est lourdement trompé. Il voulait se trouver une échappatoire pour empêcher l’opposition parlementaire de manifester ses frustrations. L’avocat Adrien Houngbédji est un ancien magistrat. Désigné deux fois déjà président de l’Assemblée nationale, il n’ignore pas la loi. Il assimile très bien l’article 90 de la Constitution du 11 décembre 1990 qui précise que « Les membres de l’Assemblée nationale jouissent de l’immunité parlementaire. En conséquence, aucun député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions (…)». C’est donc dire que le président Houngbédji a inventé une infraction pour interdire l’expression plurielle au Parlement. Sous la Rupture, on constate que la majorité des députés a accepté de se mettre au pas. Elle cautionne les dérives du gouvernement et use de subterfuges pour faire taire les voix critiques. Le Parlement a été vassalisé. Beaucoup craignent que rien d’impeccable ne puisse sortir désormais de cette « auguste assemblée» qui reste pourtant l’un des piliers de la démocratie béninoise.
Menaces sur les libertés…
La scène surréaliste vécue par plusieurs Béninois depuis l’Assemblée nationale ne rassure guère. Elle démontre les menaces qui pèsent sur les acquis démocratiques. En effet, ayant réussi à semer la panique au sein des formations politiques et décidé de terroriser les leaders syndicaux, le régime a demandé une sale besogne au Parlement : imposer le silence aux députés de la minorité parlementaire qui osent encore dénoncer la mauvaise gestion des affaires publiques. Pour réussir cette entreprise, le gouvernement s’est trouvé un bon partenaire : Me Adrien Houngbédji. Il a pour mission de protéger «l’institution de la République» Patrice Talon et de ne laisser échapper aucune critique au sein du Parlement. Le Parlement présenté comme le lieu de la contradiction change de nature sous Adrien Houngbédji. L’esprit y est moins libre, plus courbé et plus craintif. Si le Parlement est bâillonné, tout le peuple risque de l’être. Les voyants sont donc au rouge. Et ce n’est nullement une exagération de le préciser.
En réaction, la Minorité boycotte ce jour le discours de Talon
Les députés membre de la Minorité parlementaire ont décidé de boycotter le discours du Chef de L’Etat Patrice Talon à la nation béninoise, ce jour vendredi 22 décembre 2017. Cette décision fait suiteà la suspension par le président de l’Assemblée nationale, Adrien Houngbédji, de la déclaration lue par le député Guy Mitokpè, au cours de la plénière d’hier jeudi 21 décembre 2017, consacrée au vote du budget de l’Etat exercice 2018. Adrien Houngbédji a ce faisant, évoqué la raison d’outrage au Chef de l’Etat. Déçus par ce comportement du Président de l’Assemble nationale, les députés de de la Minorité parlementaire, signataires de ladite déclaration ont donc décidé du boycott de la séance de ce jour consacrée au discours du Chef de l’Etat à la nation, pour disent-ils sauver la démocratie.
Mike MAHOUNA