Du côté de la berge, presque en dessous de l’ancien Pont de Cotonou, deux dames se disputent. « Ce matin seulement, j’ai pris la peine de nettoyer l’endroit. Et maintenant, tu viendras y uriner. Tant que je suis assise ici aujourd’hui, tu ne le feras pas ! », glose dame Hermine, occupée à faire la vaisselle à 5 mètres de la lagune. Son vis-à-vis, svelte mais audacieuse tente de forcer le passage. « Ici, c’est la berge, un dépotoir. Si tu t’en préoccupes, c’est bien. Mais ce n’est la demeure de personne. Alors, que tu veilles ou pas, je vais uriner ici », répond dame Chimène. La tension monte, mais en notre présence les deux dames évitent au mieux d’en venir aux mains. Les autres usagers jouxtant la berge, sont quant à eux plutôt préoccupés par leur petit commerce.
« La berge est plus propre que les toilettes »
Cette scène, nous plonge plutôt dans une réalité qui ne dit pas son nom : « A Dantokpa, il y a certes des toilettes. Mais, il faut parcourir de longue distance et abandonner ses marchandises », explique dame Chimène, que nous avons pu rencontrer après la dispute. « Ensuite, elles sont trop sales. Quand j’y vais, je sens des frissons. La berge est plus propre que les toilettes. Je suis sincère. Faites y un tour et vous comprendrez », ajoute-t-elle. Selon le Ministère de la santé publique, ayant en charge l’assainissement, 87% des populations pratiquent la défécation à l’air libre en milieu rural. Mieux, selon les statistiques de l’institut de sondage Afro baromètres, au Bénin en 2017, 36% des populations en milieu urbain disent ne pas disposer d’une toilette, contre 75% en milieu urbain. Cependant, le problème est encore plus préoccupant quand on sait le flux d’usagers que draine le plus grand marché du Bénin au quotidien. Le besoin se fait alors sentir.
Les constats faits dans certaines toilettes du plus grand marché du Bénin, de la zone de vente des poissons à celle des divers ne démontrent pas le contraire. Les bâtiments sont parfois en ruines, des portent rouillées. La précarité des lieux fait mousser en permanence la bouche. Pourtant, munis d’une pièce de 100 francs, les usagers y défilent avec les mêmes gestes : Payer, retirer un papier, se mettre à l’aise et repartir souvent avec un visage reflétant des mauvaises conditions qu’offrent les lieux. « Ce n’est pas une toilette ça. Parce qu’on n’a pas le choix, on vient et on ferme les yeux pour vite quitter », déplore une usagère.
Très peu bavard sur leur travail, les jeunes chargés de l’entretien des toilettes en disent peu sur la précarité des lieux. « Nous ne manquons pas de nettoyer presque tous les quarts d’heure. Mon patron a prévu remplacé les portes gâtées. On attend juste l’avis de la Sogéma », confie l’un entre eux qui a requis l’anonymat.
L’incivisme au rendez-vous
A Dantokpa, toutes les toilettes ne présentent pourtant pas ce visage sombre. Dans les nouveaux hangars, construits sur le site ravagé par l’incendie de 2015, les toilettes reçoivent en permanence des visiteurs. Le cadre est encore flambant neuf et des agents y veillent. Sauf que l’incivisme de certains usagers du marché est toujours au rendez-vous. « Il arrive que certains en viennent à salir les toilettes. On essaie de nettoyer. Ça fait partie du Job », confie Charles Soglo. Pour dame Agbo, conseillère locale et disposant de toilettes privées, c’est un véritable calvaire de gérer les toilettes. « A chaque fois que quelqu’un y va, je vérifie en même temps pour le ramener à l’ordre et pour qu’il nettoie si possible. Il y a des gens qui laissent carrément le pot et défèquent par terre », confie-t-elle. Elle dit comprendre alors pourquoi souvent les toilettes du marché sont dans des conditions déplorables. « Si j’ai décidé de créer ces toilettes privées, c’est parce que j’ai eu la mésaventure de vivre, il y a quelques années, une situation indescriptible dans une toilette du marché. Aujourd’hui, si je me bats pour la propreté des miennes, je sais combien de sacrifices je fais », précise-t-elle.
Drainant, des milliers d’usagers au quotidien, Dantokpa a besoin de toilettes, des toilettes accessibles et propres. Le Chef quartier Amzath Aguemon explique que le marché étant sous la responsabilité de la mairie et de la Sogéma, les deux parties se renvoient la balle. Il confie s’être battu en vain pour attirer l’attention des autorités nationales sur la situation. En attendant, Dantokpa et ses usagers peinent à se mettre à l’aise, prenant en otage la berge devenue des toilettes à ciel ouvert.
Maximilienne GAHOU (Stag)