A notre chère ministre Rafiatou Karimou. « Tout le monde doit mourir, mais, toutes les morts n’ont pas la même signification », selon Mao Tsétoung.
Maman ! Maman ! Ma chère maman… Mère courage !
C’est donc vrai que tu nous as quittés ce soir du jeudi 4 janvier ? Lorsque la nouvelle me parvint alors que je m’apprêtais à rejoindre ma couche, après une longue journée de travail, je n’en croyais pas mes sens.
Rafiatou Karimou était déjà plusieurs fois ministre dans notre pays quand elle me fit appel en 2004, pour diriger la Commission nationale béninoise pour l’Unesco, une structure du ministère des Enseignements maternel, primaire et secondaire (Memps) à l’époque. Du moment où la politique et le régionalisme étaient les deux critères les plus prisés à cette époque, pour nommer les cadres à des postes de responsabilité, jamais je ne pouvais imaginer que cette brave dame allait passer outre les directives de son parti le Madep, pour réunir autour d’elle des hommes et des femmes, surtout des femmes maîtrisant chacune très bien leurs domaines de prédilection.
La répétition étant pédagogique, je ne le dirai jamais assez ! Oh ! Quel bonheur nous éprouvions alors, nous autres,directrices de Mme la ministre Rafiatou Karimou, lorsque, prenant place autour de la longue table ronde du Codir, nous constations que nous faisions au moins le double de l’effectif masculin du cabinet. Depuis ce temps-là, beaucoup d’eau a coulé sous le pont. J’ai été à des postes de responsabilité dans d’autres ministères. Mais je n’ai plus retrouvé autant de femmes nommées à des postes de décisions. Généralement, elles se retrouvent deux ou trois, à éclairer par leur teint ou leur chevelure flamboyante la mise austère de ces nombreux hommes qui officient dans nos ministères.
Rafiatou Karimou, notre chère maman avait de l’amour pour la femme. Pour elle, une femme qui réussit est un modèle à dupliquer sur plusieurs générations.Elle avait compris que seule l’éducation pouvait améliorer le sort de la gent féminine. Durant tout son mandat à la tête du ministère de l’Education, elle avait mis en place des stratégies pour décupler le taux de scolarisation des filles. Elle avait l’écoute de son mentor, le président Mathieu Kérékou qui, en ce temps-là, avait tellement confiance en la femme qu’il avait fait d'elle la première femme ministre dans l’histoire de notre pays, depuis son accession à l’indépendance en 1960. Avec la modestie qui la caractérise, elle-même mettait en doute cette réalité. Mais effectivement, avant 1989, aucune femme n’avait occupé de poste ministériel au Dahomey devenu République populaire du Bénin en 1975.
La tâche n’était pas aisée. Rafiatou Karimou était une dame de poigne. Mais elle savait bien manier le bâton et la carotte et était remplie d’humanisme. Des récits de vie sur notre ministre, chacun en racontera, en veux-tu, en voilà. En ce qui me concerne, je me souviens d’une rencontre qui avait eu lieu avec le syndicat de Raoufou Afagnon qui menaçait d’aller en grève, pour des revendications corporatistes. La grande salle de réunion de la CNBU était noire de monde, lorsque Madame la ministre arriva, accompagnée de quelques membres de son cabinet. L’électricité était dans l’air et, faisant des va et vient en attendant l’arrivée de ma patronne, j’avais déjà écho des menaces et dérives verbales que les syndicats lui réservaient.
«Ma pauvre ministre ! Comment pourra-t-elle désarmer ces vont en guerre prêts à la dévorer crue ! », me demandais-je en allant à sa rencontre. Raoufou Afagnon en se levant laissa tomber à ses pieds le respect de la sœur aînée si cher aux Nagots, ethnie à laquelle ces deux personnages appartenaient. Il était dans son rôle, ce chef du Front (nom du syndicat). Mais quand même ! Quand R. Afagnon dégaina, Madame la ministre encaissa toutes les balles envoyées par ce rebelle et, d’une voix calme et sereine - généralement elle parle à haute voix comme un officier - elle répondit point par point à toutes les critiques proférées à l’encontre de sa gestion de la crise scolaire et déposa sur la table ses solutions. Cela désarçonna le camp d’en face qui n’eut d’autre réponse que la capitulation et accepta de discuter ; au lieu de vider la salle comme je les avais entendus menacer de faire auparavant.Les discussions se poursuivirent ainsi et le ton passionné de Raoufou Afagnon se mua en un échange civilisé, courtois, au point où son équipe consentit à faire des concessions, afin que l’année ne soit pas blanchie. La personnalité de Madame Rafiatou Karimou était comme ça, à double facette : le bâton et la carotte. Le bâton en déposant de son poste un Coordonnateur de projet très proche d’elle, mais qui avait eu un comportement répréhensible envers une stagiaire expatriée.
Elle ne faisait jamais foi aux calomnies, aux ragots colportés envers X ou Y sur la base de la mauvaise foi. Lorsqu’on lui fit parvenir une lettre selon laquelle j’avais détourné vingt millions de nos francs, (je ne me souviens plus exactement du chiffre), elle se moqua de mes détracteurs, et leur répondit que la Commission nationale pour l’Unesco était si désargentée qu’elle réfléchit à comment nous accorder quelque financement pour nos activités de Pta. Elle l’avait fait et, depuis 2005, cette direction bénéficie d’un peu de moyens à l’instar des autres directions du ministère de tutelle. Elle demanda à mes détracteurs : « Mais où la Sg peut-elle trouver pareille somme que vous n’avez pas dans votre compte ? » Elle me fit appeler en me disant à l’avance qu’elle savait « que c’était de la pure calomnie, parce que j’étais en train de dégager ceux-là qui ne voulaient pas travailler pour l’avancement du Comnat ». M’invitant à continuer sur ma lancée, elle m’encouragea en ces termes : « Vous avez tout mon soutien pour donner toujours de la visibilité à l’Unesco dans notre pays ». Et c’est ce que je fis jusqu’en 2006, année où je quittai mon poste comme la vingtaine de directrices à l’arrivée de madame Colette Houéto.
Il est des personnes auxquelles on est lié par le cordon ombilical, bien que n’étant pas membres d’une même famille. J’avais toujours gardé de très bonnes relations avec maman Rafiatou Karimou. Je n’étais pas la seule. Toutes celles et tous ceux qui l’ont côtoyée durant sa vie remplie de militantisme sont sous l’effet du choc.
Ô mort où est ta victoire ? Mon amie Z. Juliana n’en revient pas. « On s’est parlé à Noël. Et je lui disais espérer qu’elle viendra fêter avec nous au Bénin ! », me rapporta-t-elle à l’annonce de sa mort.Quant à moi je voulais lui présenter mes vœux de santé pour la nouvelle année. J’essayais vainement ses numéros de Paris et de Cotonou chaque jour. Je ne comprenais pas ce silence… Or la mort rôdait déjà autour d’elle. Elle avait sûrement établi ses quartiers en elle. Elle attendait l’instant ultime pour nous l’arracher, après l’avoir épargnée durant ce terrible accident où toutes ses camarades de lutte sont parties dans l’au-delà. Comme l’avait dit l’une d’entre nous après cette terrible épreuve : « Maman ne pouvait pas mourir. Elle est remplie d’humanisme et de bonté. Elle donne sans compter. Je me rappelle… Je me rappelle… Tellement de souvenirs affleurent mon esprit. Je me souviens de ces voitures bâchées pleines de sachets de riz, de sucre, de savon, etc. qu’elle distribuait à ses frères et sœurs à Sakété pendant le carême… Je me souviens de ces fêtes qu’elle organisait pour sa maîtresse d’école et ses amies à Grand-Popo. Elle les habillait dans des uniformes et nous allions au bord de la mer,dans les bus affrétés par ses soins jusqu’à Grand-Popo, pour offrir à ses vieilles dames un peu d’évasion à la plage… Je me souviens… Ah ! Ils sont si nombreux mes souvenirs attachés à la personne de ma chère ministre.
Et toutes ces filles du Ceg des jeunes filles de Natitingou qui, grâce à son soutien, ont pu décrocher leurs diplômes pour devenir qui institutrices, qui infirmières, etc. Combien de larmes pourront leur apporter la paix du cœur !
Un texte d’hommage ne peut te suffire maman !Tu nous manqueras toute la vie ... Tu as tellement travaillé pour notre pays, pour nous tes sœurs … pour tes filles. Tu as même créé une Ong pour continuer à éduquer tes petites filles afin d’assurer la relève. Qui prendra ta relève, maman ? Qui ? Mais qui donc, chère maman ? Tout est grâce ! Va en paix !La nation entière te sera reconnaissante, chère ministre Rafiatou Karimou.
Dors en paix, chère maman... Les morts ne sont pas morts !
Par Adélaïde FASSINOU ALLAGBADA