Qu'est-ce que le président de la République et son équipe ont fait du long temps de grâce à eux accordé par les travailleurs béninois au point de voir, aujourd'hui, le mal dans les grèves constitutionnellement concédées à ces derniers? La question mérite d'être posée, vu l'acharnement du gouvernement de Patrice Talon à ôter, coûte que coûte, ce droit à certains corps de l'administration publique via sa majorité docile au Parlement.
Les arguments du Pouvoir et de ses thuriféraires pour arracher le droit de grève aux agents de la santé, de la justice et aux forces de sécurité publique, ce sont les dommages ou désagréments que créent ces débrayages aux populations ou usagers. Mais si l'on doit être réaliste, pourra-t-on apporter la thérapie de choc aux conséquences fâcheuses des grèves sans s'attaquer fondamentalement aux causes? Entre autres, les conditions de vie et de travail des agents (équipements, salaires, primes...) qui doivent être améliorées normalement dans un climat de confiance mutuelle et d'apaisement. A vrai dire, en dehors de l'ancien Chef de l'État, Nicéphore Soglo qui a bénéficié d'une longue période de grâce pendant laquelle il n'y a pas eu d'enjeu électoral et donc de remue-ménage politique (de 1996 à 1999 avant de connaître les législatives), Patrice Talon a également cette chance (2016-2019 pour les prochaines élections législatives); soit trois (3) bonnes années d'accalmie qu'il pouvait mettre à contribution pour dérouler l'essentiel de son programme d'action. Mais comment a-t- il géré ce temps pour qu'on en arrive à la paralysie des secteurs essentiels avec à la clé des morts dans les hôpitaux ? Et pourtant, il a réussi à avoir la bonne foi des travailleurs, matérialisée par la signature de la charte du dialogue social. Et même la magnanimité du peuple à qui il a demandé deux ans de patience pour commencer à cueillir les fruits de sa gouvernance, malgré l'opération dite de libération de l'espace public mal conduite et la morosité économique ambiante.
Patrice Talon avait pourtant le temps
En effet, cette ambition du gouvernement de retirer le droit de grève aux travailleurs pourrait mieux passer dans l'opinion si entre 2016 et 2017, des jalons concrets et rassurants avaient été posés en faveur des travailleurs. Malheureusement, Patrice Talon au lieu d'œuvrer à régler les problèmes vraiment prioritaires des populations en général et des travailleurs en particulier, a passé son temps sur ce qui l'arrangeait. On peut citer la réduction au silence des associations estudiantines, décision jugée contraire à la Constitution; un projet de révision de la Constitution à polémiques rejeté par l'Assemblée nationale; la mise aux arrêts de syndicalistes, policier et officier des Eaux et forêts suivie de radiation (le cas du capitaine Trêkpo malgré la médiation des centrales et confédérations syndicales), l'emprisonnement de Laurent Mètongnon, syndicaliste à la retraite et ancien président du Conseil d'administration de la Caisse nationale de sécurité sociale (Cnss); le manque de dialogue au niveau sectoriel et supra, qui s'est d'ailleurs soldé par le retrait de toutes les confédérations et centrales du Comité national du dialogue social (Cds). Il y a aussi le non respect des engagements pris ou de la parole donnée côté gouvernement. Pourquoi c'est après le retrait du droit de grève par les députés qu'on pense maintenant à soigner les statuts des magistrats et d'autres corps? Depuis quand les enseignants tempêtent pour décrocher leur statut? L'ont-ils obtenu dans les deux ans de trêve alors qu'ils n'ont même pas observé une période de grève critique sous la Rupture ? Le gouvernement ne donne-t-il pas raison à ceux qui pensent que sans grève on n'obtient rien d'un Pouvoir? N'a-t-il pas fallu les débrayages dans le secteur de la santé avant que les agents n'obtiennent le rapport tant revendiqué du comité de réformes du secteur mis en place par le gouvernement ? Sinon, de façon concrète, combien de fois les travailleurs ont-ils paralysé sur un coup de tête le pays depuis le 6 avril 2016? Le magistrat et président des magistrats du Bénin, Michel Adjaka n'a-t-il pas dit sur une chaîne de radio que la seule fois que l'Unanab a durcit le ton sous la Rupture, c'était pour des revendications de primes de carburation, acquises au prix de longues luttes, que le Pouvoir de Patrice Talon voulait leur supprimer. Au-delà, il faut reconnaître qu'avant d'en venir aux grèves et surtout aux grèves sans service minimum, les travailleurs y vont souvent de façon graduelle. Que font les gouvernants de ces périodes d'avertissement ? Rien généralement. Pas de dialogue. On croise les doigts et on attend jusqu'où iront les grévistes et c'est quand ça vire au rouge qu'on commence à jouer les sapeurs-pompiers. Autant de preuves qui confortent les anti retrait du droit de grève dans leur position. Patrice Talon et ses députés du Bloc de la majorité parlementaire (Bmp) devraient s'en prendre à eux-mêmes si leur communication pour soutenir la chose, peine à convaincre les travailleurs. Encore que sous Yayi Boni qui a subi de pires mouvements de grève, beaucoup d'entre les dirigeants actuels avaient combattu ce retrait du droit de grève aux travailleurs des secteurs concernés. On devrait donc voir le mal venir et, en conséquence, anticiper pour être stratège sur les bords.
Worou BORO