Au Bénin, la gestion du temps reste une obsession. Ce qui porte préjudice à l’économie nationale. Préoccupé par cette situation, l’administrateur du travail à la retraite, Moustapha Idrissou, en appelle à une prise de conscience collective.
La Nation : Comment peut-on définir le temps ?
Moustapha Idrissou : L’homme a senti la nécessité d’instituer, depuis des millénaires, un concept qui lui servirait de guide dans l’immensité de son espace. Au départ, le temps était étroitement lié à l’espace. Selon Paul Claudel, « Le temps est le moyen offert à tout ce qui sera d’être afin de n’être plus ». Pour les Anglo-saxons, ‘’time is money’’ (le temps c’est de l’argent)’’. Chez les philosophes comme Aristote et Einstein, il n’est qu’une mesure de l’espace en fonction d’un mobile. Lamartine et Ronsard pensent plutôt qu’il est une unité autonome dont l’écoulement est incessant et irréversible. Selon Hegel, « L’homme est dans le temps, et le temps n’existe pas en dehors de l’homme ». Par rapport à tout ce qui précède, le temps est intrinsèque à l’homme. Il est un concept étroitement lié à l’existence humaine. Que vous soyez dans l’administration publique ou privée, sa gestion est capitale pour pouvoir obtenir des résultats.
Au Bénin, comment le gère-t-on ?
J’avoue que c’est la catastrophe. Le temps est mal géré, surtout dans l’administration publique. Quand bien même les heures de travail sont connues, certains agents viennent au service à l’heure qu’ils veulent. D’autres ne sont jamais présents à leurs postes. Cherchez à vous enquérir sur leur position et on vous répondra « il s’est levé ». Ils abandonnent le service pour aller vaquer à leurs affaires. Ce sont des manques à gagner pour le pays. Il va falloir réorganiser nos administrations, en tenant compte de la gestion du temps, laquelle est un gage de développement.
En changeant les horaires de travail, y aura-t-il des améliorations ?
Ce n’est pas nouveau. On l’avait déjà expérimenté au temps de la Révolution. Il s’est soldé par un échec. A mon avis, il ne s’agit pas de changer les horaires de travail. La répartition conventionnelle du temps indique qu’une journée est composée de 8 heures de travail, 8 heures pour les loisirs et 8 heures de sommeil. Malheureusement, malgré cette disposition, il y en a qui manquent de temps et sont surchargés par les tâches qu’ils doivent exécuter. Ils ont pris de mauvaises habitudes et manquent de temps parce que ne parvenant pas à le gérer. Ainsi, ils ne savent pas établir leurs priorités, et n’arrivent pas à faire la différence entre l’urgent et l’important. Faisons ensemble un petit exercice en calculant le nombre de jours de travail par an. L’année compte 365 jours. Retranchons les 8 heures de sommeil et les 8 heures consacrées aux loisirs et aux occupations personnelles qu’il faut par jour, soit 244 jours. Il ne reste en réalité que 121 jours pour travailler. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a 52 week-ends dans l’année, soit 104 jours. Ce qui fait concrètement 65 jours de travail. Est-ce qu'au Bénin, nous nous y consacrons effectivement ? Le pire, c’est qu’au niveau des services de l’administration publique, la plupart des agents passent leur temps à participer à des réunions, ateliers et séminaires qui accusent du retard avant de commencer. Ce qu’on oublie, c’est que le temps perdu ne se rattrape pas. L’on en souffre inévitablement.
C’est à croire qu’il existe des maladies liées à la mauvaise gestion du temps ?
Il y a quatre grandes maladies qui vous guettent, lorsque vous gérez mal votre temps. La plus en vue est la ‘’tempsdinite’’. Celui qui en souffre a le sentiment de manquer de temps ou de ne pas en avoir, alors que la liste des tâches qu’il doit accomplir ne cesse de s’allonger. Il doit souvent faire des heures supplémentaires, quitter tard le bureau, et emporter à la maison, au cours des week-ends, de gros dossiers à traiter au grand désespoir de ses proches. L’agent qui a la chronophagie se plaint constamment d’être interrompu dans son travail par ses collègues, ses supérieurs, les visites, les appels téléphoniques et les vendeurs ambulants, s’il n’est pas aux réunions. Il lui faut s’organiser en revoyant son emploi du temps et son agenda. Une autre maladie, c’est la ‘’lifophilie’’ qui oblige à travailler à 200 km à l’heure. Celui qui en souffre, se plaint en fin de journée de n’avoir pas su se consacrer aux priorités, à cause de nombreux imprévus et urgences. Il ne fait que reporter les tâches importantes mais non urgentes à effectuer, à disperser son énergie et à épuiser son entourage. A ces maladies, il faudra ajouter la ‘’ouïte’’ qui laisse transparaître le sentiment qu’un agent est dépossédé de son temps.
Avez-vous un message à délivrer à tous les travailleurs ?
Autant le travail libère l’homme, autant il faut savoir l’accomplir en temps voulu. La nécessité de gérer son temps n’est donc plus à démontrer. Elle s’impose à nous. La réussite appartient à ceux qui se lèvent tôt et ont une bonne notion du temps. La gestion du temps tient une place importante parmi les facteurs qui concourent au développement. Notre pays y gagnerait énormément, à partir du jour où ses travailleurs en prendraient bien conscience?