S’il est une chose que le Bénin sait le mieux vendre à l’extérieur, c’est sa stabilité politique et ses acquis démocratiques. Depuis la Conférence nationale des Forces vives de février 1990, le Bénin est perçu dans le concert des nations comme un modèle de démocratie. Le préambule de la Constitution du 11 décembre 1990 a affirmé solennellement la détermination du Peuple béninois à « créer un Etat de droit et de démocratie pluraliste, dans lequel les droits fondamentaux de l’Homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine et la justice sont garantis, protégés et promus comme la condition nécessaire au développement véritable et harmonieux de chaque Béninois tant dans sa dimension temporelle, culturelle que spirituelle ». Pour veiller sur cet Etat de droit et protéger les droits et libertés, il a été créé la Cour constitutionnelle, plus haute juridiction de l’Etat en matière constitutionnelle. Ses décisions sont insusceptibles de recours et s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles.
Depuis sa mise en place, la Cour constitutionnelle du Bénin a donné la preuve de son utilité.
L’audace de ses décisions, la vivacité de sa jurisprudence et la qualité de ses membres ont fait sa réputation. Organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics, elle a été présente et décisive à des moments donnés pour éviter au Bénin des situations d’instabilité. Sa notoriété dépasse les frontières du pays. Au Bénin comme ailleurs en Afrique et dans le reste du monde, universitaires et juristes de haut niveau lui vouent un respect extraordinaire pour son oeuvre.
Malheureusement, la réputation de cette institution est de plus en plus remise en cause par le discours et l’action des gouvernants. Depuis deux ans, nombre de ses décisions sont restées sans suite. Le Président de la République et son gouvernement opposent un silence incompréhensible à certaines des décisions de la Cour qui ne les avantagent pas. Pire, ils poursuivent sans gêne l’action jugée anticonstitutionnelle par la Cour ou laissent des décisions jugées anticonstitutionnelles continuer de produire des effets. En plus de l’exécutif, c’est désormais le parlement qui s’illus tre dangereusement par une résistance à l’application d’une décision de la Cour. La décision DCC 17-262 du 12 décembre 2017 exigeant du parlement la désignation de ses représentants au Conseil d’Orientation et de Supervision de la Liste électorale permanente informatisée est restée inappliquée à ce jour.
Dans cette même foulée, des hommes politiques et des juristes proches du pouvoir se sont illustrés par des propos condamnant la Cour constitutionnelle. Des médias proches du pouvoir ont rivalisé de titres outrageux à l’égard de la Cour et de son président. Au coeur des attaques, les décisions déclarant anticonstitutionnel le retrait du droit de grève aux travailleurs de certains secteurs de la fonction publique (justice, santé et sécurité). Jamais depuis la Conférence nationale, la Cour n’a reçu autant de coups, autant d’attaques. Une telle attitude peut produire une triple conséquence sur laquelle il importe d’appeler l’attention des gouvernants.
Le premier scénario, c’est la désacralisation de la haute juridiction.
Organe régulateur du fonctionnement des institutions de la République, la Cour s’est positionnée comme l’épicentre de notre démocratie. Dans l’esprit des Béninois, elle est une institution sacrée. Elle est le dernier recours lorsque le pays est au bord de l’éclatement politique. La tendance actuelle à la non application des décisions de la Cour conduit à la déconstruction de son caractère sacré. Cette situation provoquera inexorablement la fragilisation de l’institution. La Cour désacralisée par le discours et l’action des gouvernants, il deviendra difficile d’exiger du citoyen lambda de la respecter et de respecter ses décisions. Une telle situation nous conduit vers une anarchie.
Le deuxième scénario, c’est la désacralisation de l’exécutif et du parlement
Ceci est la suite logique de la situation précédente. En effet, le citoyen se demandera – et c’est déjà le cas – quelle est l’utilité de respecter les lois votées par un parlement qui méprise la Constitution et la Cour constitutionnelle. Il trouvera inutile de respecter les décisions du gouvernement et de son Chef alors que ces derniers méprisent la Constitution et la Cour constitutionnelle. Et lorsqu’à leur tour, ils mépriseront les lois et règlements, la Cour constitutionnelle déjà décrédibilisée et désacralisée ne réussira pas à les ramener à l’ordre. Nous nous retrouverons ainsi davantage dans l’anarchie.
Le troisième scénario, c’est la résistance à la prochaine Cour constitutionnelle
Les événements ci-dessus évoqués se déroulent dans un contexte de fin de mandat de l’actuelle équipe de la Cour constitutionnelle. Dans quelques mois, de nouveaux membres devront être désignés pour une partie par le Président de la République et pour une autre par le bureau de l’Assemblée nationale. Les citoyens et une partie de la classe politique, en occurrence l’opposition, peuvent soupçonner la nouvelle équipe de connivence avec le pouvoir. Même s’il est vrai que depuis son existence, la Cour n’a pas échappé à ce genre de soupçon, le contexte actuel risque d’accentuer les critiques à l’encontre de la prochaine mandature. Quelle que soit la qualité des décisions que prendra cette Cour, celles-ci souffriront de la résistance et de la critique de l’opposition et des citoyens.
En somme, nous retenons que ce qui se joue actuellement n’est pas en faveur de la consolidation de notre démocratie. Cela participe plutôt d’une opération – peut-être involontaire – de démantèlement de l’édifice démocratique en construction depuis la Conférence nationale de février 1990. Pour prévenir l’irréparable, nous souhaitons formuler une seule recommandation aussi bien à l’endroit du Président de la République, de son gouvernement, de l’Assemblée nationale que de l’ensemble de la classe politique et du peuple béninois : Respectons la Constitution et l’Etat de droit. De l’action et du discours de chacun dépendent la crédibilité et la valeur de nos institutions. OEuvrer à la consolidation de la démocratie et de la paix ne saurait être une question de choix ; c’est un devoir pour chacun. En ce jour anniversaire de l’historique Conférence nationale des forces vives, il importe que chacun réfléchisse au sujet de son discours et de son action au service de la République.
Fait à Cotonou, le 19 février 2018
Ont signé :
Sri COOVI, Juriste
Esther DJOSSA, Animatrice de l’action sociale et culturelle
Dalila DOSSOU, Juriste
Fifamin J. Miguèle HOUETO, Juriste
Sessi Mariette HOUNKPO, Sociolinguiste-Communicante
Armel DOSSOU KAGO, Journaliste
Diane Aurore KINDJI, Communicante
Ibrahim LAWANI, Juriste
Emmanuel Odilon KOUKOUBOU, Politiste
Franz OKEY, Ir Management de projet
Claudino Gildas de SOUZA, Juriste
Maurice THANTAN, Blogueur