Janvier 2018. Un phénomène remue les universités privées du Bénin. Il s’agit du phénomène « bangala » (terme populaire désignant le sexe de l’homme). Des vidéos à caractère érotique de jeunes étudiantes de Cotonou ont fait le tour du web, au point de susciter un sérieux débat des mœurs sur les réseaux sociaux. Sandrelle ALAO et Leslie MOUNDY, deux étudiantes inscrites en première année de Droit à l’Université catholique de l’Afrique de l’ouest (UCAO) ont agité l’actualité en publiant sur les réseaux sociaux une vidéo aux allures pornographiques. Toutes deux dans l’uniforme de leur école. Quelques jours après, comme pour se moquer des étudiantes de l’UCAO, deux de leurs camarades de la Haute école de commerce et de management (HECM) inscrites en 2ème année sur le site d’Atropocodji, dans la commune d’Abomey-Calavi, se font prendre à leur propre piège. Il s’agit de Pertural HLADOME et de Parfaite SAHO. Dans l’uniforme de l’Ecole, elles ont à leur tour parodié leurs camarades. Mais, la réaction de leur administration aura été prompte : elles ont été purement et simplement renvoyés. En plus du renvoi, il a été décidé du non remboursement de leurs frais de scolarité et autres. Mais cette seconde sanction aura été revue plus tard suite aux nombreuses supplications des parents et autorités, qui déplorent quand même l’attitude. Quelques jours plus tard, la même sanction de renvoi a été appliquée par l’Institut Supérieur de Management Adonaï (ISM Adonaï) à deux autres étudiantes. Charline ALOMAÏ et Richnelle LAWSON, toutes en première année de licence, se sont illustrées dans une vidéo partagée sur la toile.
L’école prend des mesures hardies
Cet acte a coûté aux étudiantes de l’UCAO, une sanction infligée par le Conseil de discipline. En réalité, après avoir écouté les intéressées ainsi que leurs parents, et suite aux interventions de tous les membres du Conseil, il a été décidé de leur exclusion temporaire de 15 jours à compter du 22 janvier 2018. Les intéressées devront s’engager par écrit à ne plus agir de la sorte, au risque de subir un renvoi définitif. Le Conseil décide alors de leur prise en charge au plan éthique par l’aumônier de l’UCAO-UUC en vue de leur réarmement moral. Pour HECM, « ces propos ternissent l’image de marque de la Haute école de commerce et de management, en détruisant ainsi devant le monde entier, l’effort de formation et d’éducation de la jeunesse entreprise par l’école depuis plus d’une quinzaine d’années », a fait observer le conseil de discipline de l’école avant de prononcer l’exclusion définitive des deux étudiantes. Pour Elvire S., camarade de l’une des « actrices » de HECM, la sanction de HECM est exemplaire et dénote du sérieux de l’école. « De mon point de vue, ce sont des comportements à décourager à jamais. Et le découragement passe par des sanctions extrêmement sévères pour décourager d’autres tapies dans l’ombre », affirme-t-elle. « Si ta main droite doit t’être un obstacle, coupe-le, dirait l’autre » renchérit Timothée Adoussiga, ancien étudiant de HECM.
Les « vedettes » ont été moralisées
« Dans la vie, on ne récolte que ce qu’on a semé et c’est normal que des sanctions tombent. Nous sommes tous étudiants et devrons nous comporter comme de bons futurs cadres de la République », déclare Firmin SODJINOU, une étudiante de ISM Adonaï qui connaît bien celles qui ont été sanctionnées dans son école. Loin d’être un mauvais comportement à décourager, c’est de la boue jetée sur ces écoles qui se sont imposées de par la qualité de leur formation et des produits qu’elles mettent sur le marché de l’emploi. « C’est une honte pour notre génération… », lâche Magloire Olivier AZANDE, étudiant en année de BTS à HECM. Pour les membres de l’administration, c’est un phénomène qui met à mal les efforts fournis depuis des années. « La décision du conseil de discipline est une décision véritable de l’école qui refuse d’assumer le recrutement d’étudiants de moralité douteuse », commente Franck BISSI sur le réseau social Facebook. Pour le représentant du promoteur de ISM-Adonaï dans le dossier, Donald VIADENON, la vision est de faire de l’établissement, une université d’envergure internationale qui forme des élites pour le développement du Bénin et de l’Afrique. « Dans leur vidéo, nos étudiantes ont prononcé plusieurs fois le nom de HECM, en tenant à peu près les mêmes propos que celles de l’UCAO. A partir de là, nous avons qualifié cela d’inadmissible. C’est une atteinte à l’image de HECM. A partir de là, on peut agir en toute tranquillité », justifie le Directeur pédagogique, Dr Albert CHINCOUN. Sur les mêmes canaux (facebook et whatsapp), les deux étudiantes ont été moralisées par leurs propres camarades qui n’ont pas partagé leur comportement. « Pour ma part, je pense que c’est dans le futur que ces images vont les rattraper. C’est simplement absurde », estime un ancien étudiant de l’UCAO.
Les anciens étudiants de l’UCAO condamnent la vidéo
L’Association des Anciens Étudiants de l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO-Bénin), à la faveur d’un communiqué de presse signé du président du Bureau Exécutif, Ernest TINDO, s’est prononcée sur le sujet. Ceci fait suite à une séance extraordinaire effectuée par l’association le Lundi 22 Janvier 2018 à Cotonou. Après avoir examiné les attaques tous azimuts contre leur établissement commun, les anciens étudiants ont fait remarquer que les étudiantes sont restées en uniforme de l’UCAO pour jouer à cette comédie dont le message est aux antipodes de la morale. L’association n’a pas hésité à rappeler que cette vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux, a fait le tour du monde Elle affecte la notoriété et l’image de marque de l’UCAO, ainsi que celle des deux étudiantes, estime le communiqué. L’association a salué par ailleurs la sanction exemplaire d’exclusion temporaire de 15 jours prise par le Conseil. Toutefois, elle invite les internautes à la retenue et à la modération pour ne pas pousser à bout ces étudiantes qui doivent se repentir et continuer à vivre dans la société.
La justice s’en mêle
Regret, supplication et pardon. Les étudiantes incriminées n’ont pas eu de mots assez forts pour demander pardon. Certaines se sont pliées en quatre pour appeler à la médiation des parents, amis et autorités afin que leurs sanctions soient revues. Lettre d’excuses à l’appui, elles ont souhaité leur réintégration. Cependant, la sanction a été consommée dans les établissements concernés. « Quand nos étudiantes ont compris leur faute, elles ont écrit pour demander pardon. Nous leur avons dit que c’est une décision du Conseil pédagogique qui devra se réunir d’abord », confirme le Directeur pédagogique de HECM. Selon le code pénal, ce comportement des étudiantes est une atteinte aux bonnes mœurs, à la pudeur et constitue un trouble à l’ordre public. Il mérite des sanctions. Très tôt, le Procureur de la République a convoqué par le biais de la brigade des mœurs tous les responsables des établissements privés concernés afin de mieux s’imprégner de la situation. A la suite des développements faits par ces derniers, le parquet a pris ses dispositions et les textes seront désormais appliqués à tout étudiant surpris en uniforme dans une position irrégulière.
Réarmement moral ou appel au devoir parental
Sur la situation, les décisions d’exclusion sont diversement appréciées. Pour les uns, elles serviront non seulement de leçon aux autres étudiantes de l’école mais aussi de leçon de vie aux deux étudiantes sanctionnées. Mais pour les autres, les promoteurs pourraient soumettre ces apprenants à un réarmement moral. Pour la direction des études d’UCAO, « il faut un réarmement moral des enfants au lieu de les livrer. On a ici un collège d’aumôniers qui s’occupent de la situation car, nous sommes un établissement confessionnel ». Pour le psychoclinicien, Raoul Satondji, reçu sur une chaine de télévision béninoise, il faut conseiller et communiquer avec les acteurs. « Je pense que les établissements sont appelés à les encadrer. Donc d’autres mesures pouvaient être utilisées ». Il poursuit en ces termes : « Nous n’avons pas assez de censures pouvant permettre aux jeunes de pouvoir mesurer leur comportement et comprendre qu’en s’adonnant à cette pratique, il pourrait avoir des réactions à leur désavantage ». Un autre psychoclinicien pense qu’autant que nous sommes, nous avons des coins sombres de nos personnalités avec des modes d’expressions qui divergent. C’est pourquoi, il pense qu’on devrait plutôt penser à aider ces apprenantes. « Ces comportements n’ont rien de normal. Et c’est pour cela que l’on doit plutôt les aider à se relever plutôt que de les aider à sombrer », précise-t-il. Parfois, « il faut d’abord isoler le mal avant de le traiter », rétorque Babatoundé AFFISSOU, enseignant du secondaire. Pour HECM, l’éducation donnée à l’école est complémentaire à celle donnée par les parents à la maison. Maintenant si les parents négligent leur devoir, ce sont les résultats. Pour cet établissement, l’absence de sanction pourrait aggraver la situation. « Quand vous mettez une tomate pourrie dans un panier de tomates de qualité, toutes les tomates seront pourries. Voulez-vous qu’on garde encore ces étudiantes sur des sites où il y a plus de mille apprenants ? C’est que demain ou après demain, nous allons entendre pire que ça », a laissé entendre Dr Albert CHINCOUN, Directeur pédagogique de HECM. Une position soutenue par Jean-Euloge AKOUTE, enseignant d’éducation civique. Personnellement, il pense qu’aucune société ne doit rejeter ses enfants. Il s’agit plutôt de reprendre ceux qui tombent, afin de les amener à suivre la bonne voie. Autrement dit, les étudiantes fautives méritent qu’on les reprenne pour un redressement. Mais la problématique est la suivante: où les reprendre (en terme de suivi)? Les laisser dans leur établissement pourrait aux yeux de Babatoundé AFFISSOU, occasionner des risques de contamination. « À l’heure actuelle, ces filles ne sont pas de bons exemples. Les exclure pour moi est normal. Quitte à leurs parents de les rééduquer en vue de les conformer aux normes sociétales. Le cas échéant, la société se devra en retour de les reprendre », indique-t-il. Donnant sa position sur le phénomène, Fulgence AHOUANGONOU, coach en leadership parental, s’inspire de la pensée de Victor Hugo intitulé : « chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne ». Il en appelle au rôle parental : « si nous voulons sauver cette jeunesse, ce n’est pas en restant en dehors du système qu’on pourra le faire», déclare-t-il. A l’en croire, en punissant ces apprenants, les établissements ont bien leurs raisons. « Le fait que ces étudiants soient en tenue de l’école est un trait distinctif qui fait imaginer que lorsque qu’on va là, on doit être un exemple », estime-t-il. Cette situation est donc selon lui, due à la perception que chacun a de cette réalité. « Ça se passerait dans 20 ans que cela ne sera pas un événement ; et si c’était des hommes qui avaient aussi tenu ces propos, ce ne sera pas un événement aujourd’hui au niveau de l’opinion » a-t-il martelé. Spécialiste des questions parentales, il rappelle combien la famille est le laboratoire de l’éducation mais qui est en train de perdre sa valeur, simplement parce que l’un des maillons de cette institution n’est plus disponible à donner le maximum de valeurs aux enfants. « Chaque fois que les parents sont absents, ce sont les réseaux sociaux et la rue qui les remplacent. Quand l’éducation est rigoureuse depuis la famille, l’enfant résiste aux menaces des réseaux sociaux et à la rue », fait-il remarquer. Mais le comble reste la dimension sociale que prend le phénomène qui a atteint, cette fois-ci, le rang des garçons à l’Université d’Abomey-Calavi (Uac )
Emmanuel GBETO