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La récolte du coton au Bénin: une ruée monopolistique vers l’or blanc
Publié le vendredi 23 fevrier 2018  |  AFP
Le
© Autre presse par DR
Le coton




Comme chaque année entre janvier et mars, Bohicon, ville tranquille dans le centre-sud du Bénin, assiste au bal incessant des ’titans’, ces gigantesques camions de près de cinq mètres de haut, qui viennent décharger leurs dizaines de tonnes de balles de coton, dans son usine d’égrenage.

Les imposants véhicules, garés par douzaines, donnent une idée de la production record attendue cette année. Le Bénin, quatrième producteur africain de la fibre, devrait exporter plus 530.000 tonnes de coton en 2018 (contre 451.000 tonnes en 2016-2017 et 324.000 tonnes pour 2015-2016).

En remontant vers le nord, les champs de coton semblent se dérouler à l’infini, les villageois cueillent à la main les fleurs qu’ils rassemblent en petits monticules au milieu des tiges sèches.

Le long de la grande nationale, qui mène au Niger, Yerima Fousseni surveille le chargement d’un titan, pendant que des gamins s’amusent à faire des roulés-boulés sur le gigantesque tas de coton pour tasser la fibre.

Le président de la coopérative des cotonculteurs du district de Wewe a la poignée franche et le sourire satisfait. Le village a récolté plus de 46 tonnes ’d’or blanc’ cette saison. C’est trois fois plus que l’année dernière.

"Désormais nous sommes 32 producteurs dans le village, avant on n’était que dix", explique M. Fousseni. "Tout le monde a vu qu’il y a de l’argent à se faire +dedans+".

- Conflit d’intérêt -

Si l’embellie de la fibre est une excellente nouvelle pour M. Fousseni, elle l’est encore davantage pour les entreprises qui gèrent le secteur, du transporteur, à la transformation en passant par son exportation: en somme, les sociétés de Patrice Talon, riche homme d’affaires qui a fait fortune dans le coton et est devenu président en 2016.

Le chef de l’Etat avait assuré, lors de son arrivée au pouvoir qu’il se désengagerait du secteur privé pour éviter tout conflit d’intérêt, mais personne ne sait à l’heure actuelle, quelles parts ont été vendues, ni même à qui.

"Avant, on appelait les syndicalistes de tous les secteurs pour décider des prix du transport, du prix des engrais, du prix d’achat au kilo... maintenant c’est ’lui’ tout seul qui décide de tout", confie un chauffeur de "titan", sans oser prononcer de nom.

Patrice Talon, à peine arrivé au pouvoir, en avril 2016, a légué le monopole de gestion (jusqu’alors détenu en partie par l’Etat) à l’AIC, Association interprofessionnelle du Coton, qui organise le commerce de l’or blanc, de sa production à l’égrenage.

Il y a également nommé l’un de ses proches, Mathieu Adjovi à sa tête.

"La remise en cause de l’accord entre l’Etat et l’AIC était le point de départ du problème de conflit d’intérêt", estime Abel Gbetoenonmon, de Social Watch Benin, un organisme de surveillance de la société civile. "L’abus de position dominante est devenue une réalité. Avant, Patrice Talon contrôlait 80% de la filière, maintenant on frôle les 100%".

La Sodéco, société dont il est l’actionnaire majoritaire et à laquelle il a confié des postes de direction à sa fille et son oncle, vend notamment les intrants aux producteurs. La Sodéco et l’ICA, autre société de Patrice Talon, gèrent ou possèdent également la quasi-totalité des usines d’égrenage.

Atral, sa société de transport et de logistique s’occupe de la distribution de la matière première, les graines sont transformées dans des usines qui lui appartiennent également, sans compter les services portuaires d’exportation, où le chef d’Etat détient également des parts importantes.

Le Bénin a bien une loi sur la concurrence déloyale et monopolistique, mais le ministère du Commerce n’a pas mis en place la structure de surveillance économique chargée de la mettre en oeuvre.

’Politique dans les affaires’ -

Sollicitée à plusieurs reprises, l’AIC et la présidence n’ont pas répondu aux questions de l’AFP.

Martin Rodriguez, de son côté est intarissable. Riche investisseur béninois, et principal concurrent de Talon dans le secteur de l’égrenage, il assure avoir "tout perdu" dans son pays.

Son usine à Nikki (nord-est), construite en 1997, n’a jamais fonctionné au plein de sa capacité, son propriétaire arguant que l’Etat refusait de lui fournir la matière première déjà sous le président Mathieu Kérékou (1996-2006).

Croulant sous les dettes, l’usine qui emploie environ 900 personnes, a été finalement saisie, puis revendue aux enchères pour 3 milliards de Francs CFA (4,5 millions d’euros) en novembre dernier, bien en dessous de sa valeur marchande, selon son propriétaire.

L’affaire est toujours en cours, M. Rodriguez ayant porté le dossier en appel, et c’est désormais... la Sodéco qui assure son fonctionnement.

"Talon a introduit la politique dans les affaires, et les affaires dans la
politique", s’emporte le chef d’entreprise, qui vit désormais aux Etats-Unis.

Si beaucoup au Bénin se réjouissent de la vitalité du secteur, le monopole inquiète. "Ce n’est pas normal. Il pourrait avoir les mêmes succès de réussite en gardant les parts de l’Etat et en accueillant d’autres privés dans le circuit", confie un ancien acteur important, sous couvert d’anonymat.

"Avant quand il y avait des problèmes, les petits producteurs, ou chaque maillon de la chaîne pouvait se tourner vers l’Etat. Aujourd’hui, à qui peuvent-ils parler?", s’interroge-t-il. "Tout le monde est résigné".

spb/thm/juf
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