Les positions se radicalisent. A couteaux tirés, le gouvernement et les syndicats en grève se toisent et prennent chacun fait et cause pour le durcissement. L’Union nationale des magistrats du Bénin (Unamab) est revenue à la charge après quelques semaines de répit. Sa précédente grève qui s’est étendue sur la période allant du 8 janvier au 2 février 2018 a été fructueuse. La Cour constitutionnelle a, en effet, déclaré contraires à la Constitution, les articles 50 du statut général de la fonction publique et 20 de la loi portant statut de la magistrature. Mais à leur grande surprise, le gouvernement a procédé à des défalcations sur leurs salaires à hauteur d’au moins 70%. Alors que pour eux, et conformément à l’article 25 de la loi portant exercice du droit de grève, le motif pour lequel ils ont opté pour la cessation de travail ne saurait donner lieu à une telle sanction.
A nouveau, à compter du lundi 25 février 2018 jusqu’à nouvel ordre, ils délaissent les cours et tribunaux pour exiger la rétrocession des défalcations « illégalement et arbitrairement » opérées sur leurs salaires. En grève également, sous l’égide du Front d’action des syndicats des trois ordres de l’enseignement, les enseignants durcissent le mouvement pour des motivations différentes de celles des magistrats. Bien qu’ayant subi aussi la loi des retenues sur salaires pour fait de grève, les enseignants ne sont pas prêts à reprendre le chemin des classes. Pour eux, pas question de renouer avec la craie tant qu’ils n’auront pas la garantie d’obtenir le statut particulier de leur corporation. Au vu de l’attitude inflexible du gouvernement qui ne veut faire aucune concession, les enseignants aussi ont adopté la politique du pourrissement. Avec les magistrats, ils occupent sans désemparer le front social, déterminés à obtenir gain de cause.
A plusieurs reprises, Patrice Talon a été on ne peut plus clair. Pour lui, plus rien ne sera comme avant où le gouvernement recule dès que les partenaires sociaux sortent un peu les muscles. Ceux-ci sont assimilés à des grincheux et des capricieux qui se croient tout permis dans la République. Sûr de son coup et renforcé dans sa logique, l’Exécutif a cru devoir susciter à nouveau la fronde sociale alors que les syndicats avaient déjà, pour la plupart, baissé la garde. Les défalcations opérées sur les salaires du mois de février ont induit ipso facto la reprise des mouvements de débrayages. Que gagne le gouvernement à attiser la colère des travailleurs alors que ceux-ci étaient déjà revenus à de meilleurs sentiments ? Tout est permis mais tout n’est pas autorisé. A bon droit, le chef de l’Etat et ses collaborateurs peuvent estimer qu’ils ont la possibilité de « punir » les travailleurs. Mais, était-ce opportun d’agir ainsi ? Maintenant qu’ils ont réussi à réveiller les vieux démons, que faire pour apaiser les esprits ?
Les enseignants, tout comme les magistrats, sont convaincus que le gouvernement prend du plaisir à leur tendre les nerfs. De son côté, l’Exécutif a le même sentiment. Chaque camp est renforcé dans ses préjugés vis-à-vis de l’autre à telle enseigne qu’ils ont du mal à dialoguer. Dans ces conditions, le recours à un médiateur pourrait favoriser le dégel. En l’absence d’une autorité morale, religieuse ou d’une personnalité qui fait l’unanimité, le Conseil économique et social, à travers son président, peut faire le job. Cette institution de la République qui regroupe les forces vives de la nation est une force de propositions crédibles. Elle peut valablement et à bien d’égards, jouer le rôle de facilitateur entre le gouvernement et les syndicats. A l’heure actuelle où tout espoir de dialogue fructueux semble être perdu, l’intervention du Ces peut sauver les meubles. Si ceux qui l’animent actuellement le veulent, ils peuvent soulever des montagnes.
Moïse DOSSOUMOU