Grand tournant de l’histoire sociopolitique et économique du Bénin, la Conférence nationale des forces vives de février 1990, a enregistré également la participation de quinze femmes sur quelque cinq cents délégués au total. Quoiqu’en nombre insuffisant, elles ont pesé aussi dans la balance des décisions. Parcours et souvenirs de cinq déléguées, témoins de la grande messe nationale.
Feue Grâce d’Almeida
Adamon, déléguée de l’Afjb: Grâce d'Almeida fut l'un des treize représentants légaux pour établir une nouvelle Constitution béninoise démocratique suite à la Conférence nationale en février 1990. Déjà, elle était la seule femme membre du présidium. Cette même année, elle a cofondé l'Association des femmes juristes du Bénin (Afjb) qui favorise l'accès des femmes aux services juridiques et défend les droits des enfants et des femmes. Ses efforts ont contribué à l'ouverture des femmes dans le droit et le développement au Bénin et en Afrique.
Bouriana Daguia, déléguée de l’Ofrb : Femme politique très engagée de la période révolutionnaire, Bouriana Daguia conserve toujours son sens élevé du patriotisme. Quoique relativement âgée, elle ne ménage aucun effort à aller à la rencontre des populations, contribuant ainsi à sa manière à la restauration des valeurs et à la construction de l’édifice que représente le Bénin. Elle a représenté l’Organisation des femmes révolutionnaires du Bénin (Ofrb), aux assises nationales de février 1990. Elle se remémore la qualité des quinze déléguées. «Chaque déléguée à la Conférence nationale y avait participé avec sa bonne volonté et sa bonne foi. Lorsque les décisions devraient être prises dans les couvents, chacune de ces femmes a été utile à toutes les étapes », se souvient-elle. Elle souligne qu’il a fallu une sélection rigoureuse sur toute l’étendue du territoire national pour désigner les représentantes. Vingt-huit ans après ces assises, Bouriana Daguia estime que les acquis démocratiques sont jetés aux oubliettes. « On a jeté le bébé et l’eau de bain. Il y a trop de laisser-aller dans les conduites aujourd’hui au point que l’engagement politique est conditionné par l’intérêt individuel, la recherche du gain facile » regrette-t-elle. Elle exhorte par ailleurs les femmes à l’engagement politique en vue de la sauvegarde des acquis démocratiques. « Pendant que le nombre de femmes intellectuelles s’accroît, l’engagement politique diminue. Les femmes doivent aller au-delà de leur mission première, celle de s’occuper du foyer pour s’imposer en politique», recommande-t-elle.
Gisèle Adissoda, déléguée de l’Apac : Gisèle Adissoda a représenté l’Association des professionnelles africaines de la communication (Apac) aux assises marquant le Renouveau démocratique. Devenue plus tard Conseiller technique du premier ministre de la Transition, puis du président de la République
Nicéphore Soglo, sa participation à la Conférence nationale des forces vives a contribué au changement de la perception négative que les populations avaient de la presse publique. Vingt-huit ans après ces évènements, l’ancienne directrice générale adjointe de l’Office national d’édition de presse et d’imprimerie (Onépi devenu Onip), dit avoir l’impression que le combat des délégués n’a pas prospéré. «Nous avons le sentiment que les gens ont perdu de vue les enjeux que nous avions défendus à la Conférence nationale, en dépit des risques énormes que nous avions pris pour notre vie. Aujourd’hui, c’est l’intérêt individuel qui guide toutes les actions. « Il faut plus de patriotisme dans les faits et le respect du bien public», suggère-t-elle. L’ancienne journaliste au quotidien ‘’Ehuzu’’ (‘’La Nation’’ aujourd’hui), se préoccupe notamment de la situation de la femme.
Peu de femmes sont promues parce que les hommes politiques le veulent ainsi. «La démocratie doit rimer aussi avec l’amélioration du statut de la femme », indique-t-elle. Au-delà des défis à relever pour corriger le statut de la femme, il faudra également penser à honorer tous les acteurs des assises nationales en immortalisant leurs noms dans du roc sur une place que l’on pourrait baptiser « La Place de l’indépendance», plaide la déléguée de l’Apac. Selon elle, la décoration de ces acteurs dans les différents ordres de mérite national, est insuffisante au regard de l’œuvre en faveur de la démocratie qu’ils ont accomplie.
Hélène Aholou Kêkê, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats : Au nombre des quinze déléguées féminines ayant pris part à la Conférence nationale, figure Hélène Aholou Kêkê. L’avocate et politicienne y était au titre du bâtonnier de l’Ordre national des avocats du Bénin. Depuis, elle ne cesse de mettre ses compétences d’avocate au service de la nation. Elle sera élue plus tard députée à l'Assemblée nationale du Bénin au cours des cinquième (2007-2011) et sixième législatures (2011-2015). Elle a été présidente de la Commission des lois et des droits de l'homme de l'Assemblée nationale. Hélène Aholou Kêkê est connue pour son franc-parler et son sens élevé du patriotisme. Elle est au premier rang pour dénoncer les actes attentatoires à la démocratie. C’est ainsi qu’en février 2016, elle a soulevé des irrégularités électorales à la presse et aux autorités à l'approche de l'élection présidentielle de mars 2016, y compris l'enregistrement de «51 bureaux de vote de plus que ce qui était autorisé par la loi ». En mai 2016, elle a été nommée parmi les trente membres de la Commission nationale pour la réforme politique et institutionnelle par le président, Patrice Talon.
Feue Rafiatou Karimou, ancienne ministre de la Santé publique : De regrettée mémoire, Rafiatou Karimou a sans doute donné le meilleur d’elle-même à son pays avant de rejoindre la félicité éternelle le 4 janvier 2018 à l’âge de 72 ans. Elle restera dans le cœur des Béninois comme l’une des figures féminines ayant fait prendre conscience aux hommes politiques de la vraie place de la femme au Bénin. Elle a été la première femme ministre au Bénin dans un contexte politique révolutionnaire où la situation de la femme n’était guère reluisante. Seule dans un gouvernement de quinze membres, l’ancienne professeure de lycée a occupé le portefeuille de la Santé publique de 1989 à 1990, à la suite d’un remaniement ministériel effectué par feu président Mathieu Kérékou.
Elle a pris part à la Conférence nationale des forces vives de la nation au titre du ministre de la Santé. Elle n’a rien perdu de son engagement politique jusqu’à sa mort. Les Béninois, en l’occurrence les femmes, n’ont de cesse de la féliciter pour ses efforts en faveur de la création du ministère de la Famille (Affaires sociales aujourd’hui) au lendemain du Renouveau démocratique?
Maryse ASSOGBADJO