Député à la 7ème législature, Adam Bagoudou, parle. Au détour d’un entretien qu’il a accepté d’accorder à l’occasion du 28ème anniversaire de la Conférence Nationale des Forces vives de février 1990, l’élu de la 9ème circonscription électorale saisit l’occasion pour saluer la préservation des acquis de ces assises. Membre du Fard Alafia, son parti d’origine et ancien baron de l’Alliance FCBE – pour avoir été très actif dans le noyau dur qui a travaillé à sa création – l’ancien intendant du Palais se prononce sur le dernier congrès des Fcbe, la réforme du système partisan, les réformes du pouvoir Talon, les grèves en cours sous la rupture et sur bien d’autres sujets d’actualité.
L’Evénement Précis : Adam Bagoudou, où étiez-vous en février 1990 au moment du déroulement de la Conférence nationale et comment l’avez-vous vécue?
Honorable Adam Bagoudou : Vous me donnez l’opportunité de participer aussi à cet anniversaire. En février 1990, j’étais à Cotonou, et comme tout citoyen préoccupé par l’avenir de son pays, j’ai suivi le déroulement de cet événement politique historique. C’était bien sûr avec beaucoup d’angoisse, d’inquiétudes et aussi d’espoirs compte tenu de la situation politique et sociale à l’époque.
De votre position actuelle d’acteur politique, pensez-vous que vous auriez-pu faire mieux si vous étiez à leur place en ce moment-là?
Nous devons rendre un hommage mérité aux participants à cette conférence.Ils ont été courageux,déterminés et persévérants. Moi, je suis de ceux qui pensent que les résultats sont largement au-delà des attentes. Si nous qui étions dehors, avions peur et nous posions des questions sur l’issue de la conférence, imaginez un peu ce que peuvent vivre ceux qui étaient aux charbons. Je me rappelle encore comment nous avions nos transistors scotchés à l’oreille suivant minute par minute les suspensions des travaux, les vives tensions entre les membres du PRPB et les autres délégués, les aller- retour stressants et angoissants de Monseigneur de Souza entre PLM Alédjo et la Présidence de la République, pour concertation, instruction ou encore pour consultation. On ne peut pas oublier les stratégies de médiateur que le prélat utilisait pour calmer et rassurer le Général Kérékou sur l’objectif commun qui est« le Bénin d’abord ».
Comment appréciez-vous l’évolution de la démocratie béninoise depuis cette conférence nationale de 1990 ?
J’estime que la démocratie béninoise a bien évolué. Je pourrais même dire sans abuser qu’elle a même très vite évolué. Lorsqu’on sait que le fait générateur de la conférence est le mal économique du pays et le chaos politique, imputable àune situation politique non inclusive, alors on comprend aisément cette évolution rapide. On comprend aussi que le basculement de l’extrême dictature de monolithisme politique à un régime démocratique fait de confort de libertés politiques et de multipartisme ne pouvait que produire ce résultat. Par contre, le débat reste ouvert quand il s’agit de parler de la qualité de la démocratie béninoise. En 1990, il fallait d’abord libérer l’espace politique et économique.Le reste devrait suivre.
Est-ce que les acquis de ces assises demeurent encore aujourd’hui, selon vous?
Les acquis de ces assises sont toujours partagés et continuent d’être la référence politique et économique. Ils sont jalousement entretenus et paraissent comme la prunelle des yeux du peuple.
Beaucoup de gens reprochent au pouvoir de la Rupture que vous soutenez, de remettre en cause les principes chèrement acquis de la démocratie béninoise depuis cette conférence, à travers certains actes. Quel est votre avis ?
Sérieux ? Est-ce que vous pouvez citer un seul principe fondamental de cette conférence nationale qui soit remis en cause depuis le 6 avril 2016? Je sais que vous êtes très professionnel et vous n’allez pas tomber dans les travers des réseaux sociaux ou entretenir le rêve de ces polémistes et autres adversaires de la Rupture.
Les résolutions de la Conférence nationale ont instauré le multipartisme intégral, mais l’expérience fait constater ses insuffisances par rapport au système partisan. Pensez-vous qu’il est vraiment nécessaire de faire des réformes?
C’est vrai qu’après l’euphorie politico-démocratique 28 ans durant, il faut faire la place à présent au bilan de la jouissance de ces délices démocratiques. Le contexte de 1990 n’est pas celui de 2018. Dès lors, il y a lieu de revisiter le chemin parcouru et identifier les forces et les faiblesses pour identifier les points de réforme. L’un des baromètres à utiliser pour faire ce bilan, c’est bien entendu le système partisan qui fait débat ces jours-ci et appelle à des réformes. J’estime que plusieurs éléments de motifs sont assez perceptibles. Il est normal que la classe politique, dans un élan républicain, une dynamique politique partagée, s’accorde sur cette réforme en se posant un certain nombre de questions qui sont pertinentes à mon avis.
Quelles sont ces questions?
Il faut que chaque Béninois se demande si la jeune Nation qui est la nôtre peut continuer de se satisfaire d’une atomisation du paysage politique avec des clubs électoraux, des partis d’arrondissement, de communes, de région et même ethniques. Nous devons également avouer et reconnaître l’inefficacité ou l’échec des partis à assurer leur mission d’animation de la vie politique, de formation d’un leadership politique éclairé, de conquête de la charge politique suprême et autres. Est-ce que ces éléments ne sont pas suffisants pour se convaincre des insuffisances et ouvrir le chantier des réformes ? Je crois que, rien que les difficultés d’application des textes qui encadrent la création, l’animation des partis politiques constitue des opportunités de débat sur ces réformes. Nous sommes tous témoins et peut-être acteurs de la persistance des financements opaques des activités politiques avec l’invasion du milieu politique par d’autres acteurs. Est-ce que cela n’est pas aussi un autre élément qui milite en faveur de l’urgence de la réforme?
Est-ce que cette réforme du système partisan telle que perçue par le président Talon et ses soutiens n’est pas une menace pour les fondamentaux de la Conférence nationale?
Non, non… Mais, vous aussi? Le président Talon n’a jamais initié un projet de loi portant réforme du système partisan et je voudrais bien compter sur vous afin que ceci soit bien dit et clarifié.L’initiative est d’un groupe de députés qui s’est préoccupé de la question et a fait une proposition de loi portant charte des partis. Dès lors, ce n’est plus l’affaire de ce groupe, mais plutôt celle de toute l’Assemblée nationale. Et c’est dans le souci d’une appropriation plus large du projet par l’ensemble de la classe politique, en vue de susciter le débat qu’un séminaire a été organisé à cet effet par l’institution parlementaire.Je voudrais ici vous rassurer que s’il y a un aspect qui pourrait constituer une menace, il a dû ne pas échapper à tous les spécialistes et acteurs politiques réunis à ce séminaire au cours duquel les débats furent sincères. C’étaient des débats de haut niveau. Chacun veillait justement au respect de ces fondamentaux.
Justement parlons de ce séminaire organisé par le parlement en prélude à l’examen de la nouvelle loi sur la Charte des partis politiques. Quelle est, selon vous, l’importance d’une telle initiative ?
Comme j’ai indiqué plus haut, le parlement a voulu créer un espace d’échanges avec les partis politiques, les syndicats, hors hémicycle, une sorte d’états généraux sociopolitiques. Faut-il le rappeler, ceci a eu l’avantage de donner la parole aux spécialistes, aux politiques représentés à l’Assemblée ou non, à la société civile. Bien évidemment que ceci a permis de faire une bonne moisson de propositions devant nourrir les travaux de la commission des lois de l’Assemblée.
Comment entrevoyez-vous le nouveau visage du monde politique béninois si cette réforme venait à être opérée ?
Le résultat attendu, c’est bien entendu l’émergence d’un système partisan assaini, resserré, moderne et mieux adapté, de culture de la responsabilité des acteurs politiques, plus d’équité dans la compétition politique et une incitation au regroupement afin de réduire les fractures régionales et ethnocentriques.
Quels seront, selon vous, les impacts de cette loi sur les élections prochaines, notamment les législatives 2019 ?
Le resserrement du paysage politique va induire pour ces prochaines élections, moins de fragmentation politique de l’Assemblée nationale, l’émergence de groupes parlementaires plus consistants et stables.
Une frange de la classe politique béninoise accuse le gouvernement et le Bloc de la majorité parlementaire dont vous faites partie à l’Assemblée nationale de violer le consensus qui a fondé toutes les décisions de la Conférence nationale. Comment vous défendez-vous?
De quel consensus parle-t-on ? Non cher ami, il faut aider à faire comprendre qu’aucun consensus n’a été violé, à moins de donner une illustration. Je sais que beaucoup de gens se trompent sur la nature de notre régime qui est d’un présidentialisme éclairé. À moins de vouloir s’arroger des prérogatives du Président de la République, Chef de l’Etat, Chef du gouvernement. Evidemment que c’est au mépris des dispositions de l’article 54 de la Constitution, symbole justement de ce consensus. La Constitution dit que le Président de la République est le détenteur du pouvoir exécutif. A ce titre, il détermine et conduit la politique de la nation, il exerce le pouvoir réglementaire. C’est clair et c’est pourquoi je ne comprends pas ceux qui estiment que le consensus serait remis en cause. S’il faut qu’à chaque fois que le Président de la République doit exercer ses prérogatives constitutionnelles, il doit d’abord organiser des assises nationales, alors il est tout sauf Président de la République au sens de cet article de notre loi fondamentale que je viens de citer.
La célébration des 28 ans de la Conférence nationale coïncide avec un climat social tendu. Ce n’est pas bon signe, n’est-ce pas?
Encore non et non. Aucun lien. Je me refuse à croire cela. Pour moi, chacun est dans son rôle. On dit, gouverner c’est prévoir. Alors le Président de la République détermine et conduit la politique. Le gouvernement travaille à assurer le fonctionnement régulier de la République sans compromettre les générations futures. Les partenaires sociaux sont dans leur rôle légitime d’exprimer leurs attentes et préoccupations, voire leurs craintes. Je reste persuadé que grâce à la dynamique de dialogue, chère à notre pays, les deux parties vont s’accorder très vite, car toutes sont aussi préoccupées par la nécessité de la préservation de la paix et de l’intérêt général.
Avant ces revendications sociales, c’étaient des débrayages contre le retrait du droit de grève à certaines catégories de travailleurs.Est-ce que le recours systématique des travailleurs à la grève est conforme à l’esprit de la Conférence nationale?
Evidemment non.La culture du consensus chaque fois et toutes les fois, c’est ce qui devrait être privilégié. Mais hélas, on est tombé dans les travers de l’usage excessif et systématique de cet ultime moyen de négociation parfois au risque de tout compromettre.
Que faire aujourd’hui pour régler ce phénomène alors que les syndicalistes pensent que tout encadrement autre que ce qui existe actuellement serait une violation des libertés fondamentales et s’assimilerait à une déclaration de guerre?
Il n’y a pas et aura la guerre avec aucune institution, encore moins avec l’Assemblée. Le problème, c’est que les acteurs sociaux oublient souvent que c’est justement notre Constitution, la même si tant vantée qui a accordé des prérogatives à chaque institution. Être démocrate et républicain, c’est aussi accepter le droit à chaque institution d’user à bon escient de ses prérogatives constitutionnelles.
L’opposition au Président Talon se réveille avec la transformation de votre ancien groupe politique, l’alliance Fcbe, en parti politique et le retour sur la scène de votre ancien patron, Boni Yayi. Que cela coïncide avec l’anniversaire de la Conférence nationale, n’est-ce pas un signal?
Aucun signal particulier. Moi je considère que ceci participe de l’animation de la vie politique et dénote aussi, si besoin est, de la vitalité de la démocratie. C’est tout à fait normal cette activité des Fcbe. Et on constate que l’activité s’est normalement déroulée sans entraves et sans que le pouvoir n’organise simultanément une manifestation dans le voisinage du lieu.C’est à mettre à l’actif de tous les acteurs et de la maturité de notre démocratie.
Comment appréciez-vous cette transformation de l’Alliance FCBE en parti politique, même n’étant plus aujourd’hui un acteur ?
Vous vous êtes tantôt interrogé sur les réformes politiques.Et bien ! Cette décision du congrès de l’alliance Fcbe est aussi une réforme en interne et il fallait s’y attendre car il n’y avait pas d’alternative. C’est dire que 28 ans après la conférence nationale, chacun tire des leçons de notre parcours politique et revoit l’organisation en place. Si les réformes sont pertinentes à l’intérieur des ensembles politiques, elles doivent l’être davantage au sein du paysage politique national.
Le retour sur scène du Président Yayi ne constitue-t-il pas une menace pour vous dans votre circonscription électorale ?
En politique, il n’y a point de menace. Il n’y a que des leçons et des opportunités. En effet qu’il vous souvienne par exemple qu’à l’approche du scrutin présidentiel de mars 2016, l’Alliance Républicaine que constituaient ensemble les Fcbe, le Prd et la Rb était tout aussi annoncé comme le grand événement post conférence nationale. On pensait que cela devrait provoquer un tsunami politique et électoral au détriment des adversaires. La suite, vous la connaissez.
Dans un an, le Bénin connaîtra de nouvelles législatives. Comment le député Adam Bagoudou s’y prépare dans sa circonscription ?
Avec sérénité, détermination, engagement, humilité et foi à ALLAH qui nous rappelle toujours dans le Saint Coran notamment la Sourate 3, Verset 26 que c’est bien lui, Détenteur de toute royauté, il accorde la royauté à qui il veut, et l’arrache à qui il veut. Il accorde la puissance à qui il veut et il humilie qui il veut. Tout bien est entre ses mains.
Elu député sur la liste FCBE aux législatives 2016, vous vous réclamez aujourd’hui comme un leader politique du Fard Alafia, votre parti d’origine. Comment se porte cette formation politique ?
Le Fard Alafia se porte bien, il ne vous a, sans doute, pas échappé son initiative du 23 septembre 2017 à travers l’organisation du Forum des cadres et personnalités politiques pour la mise en route de ce qu’on a appelé la Dynamique Unitaire. La suite du processus est la mise en place d’un grand regroupement politique. Un groupe de travail est à pieds d’œuvre pour des consultations avec toutes les forces partageant ses objectifs. Alors, sous peu, vous serez situés.
Le 20 février dernier, lors d’une Conférence de presse, le nouveau bureau des Fcbe dénonce une lutte sélective contre la corruption. N’est-ce pas recommandé, au nom de la Conférence nationale et de la paix sociale et un climat politique apaisé aussi, de passer sous boisseau les reproches faits à certains de vos collègues et anciens ministres?
Je sais que personne n’est contre la lutte contre la corruption et l’impunité. Sans doute c’est un appel au respect des procédures et surtout à la présomption d’innocence.
La récente demande de levée d’immunité parlementaire à des députés et de poursuite d’anciens, tous indexés dans diverses affaires, participe-t-elle, selon vous, d’une lutte sélective dénoncée par bien de gens ?
C’est une opinion.Et ici encore, je le répèterai à l’infini, ceci relève des prérogatives de la justice, bien sûr que chacun a son appréciation. C’est l’allégorie du verre à moitié vide ou moitié plein.
D’aucuns estiment qu’il y a aussi des députés tapis dans le Bloc de la majorité parlementaire qui sont mouillés, mais que protège le régime Talon. Etes-vous d’avis ? En connaissez-vous quelques-uns ?
C’est vous qui me l’apprenez. Je compte sur vous et sur ceux qui le disent pour aider la justice à dénoncer ces cas.
Est-ce que pour cette fois-ci, cette demande par la justice de lever l’immunité parlementaire aura une réponse favorable auprès de la majorité parlementaire dont vous êtes membre ?
Vous ne perdez rien à attendre que l’Assemblée se prononce.
Qu’avez-vous à dire pour conclure cet entretien?
Joyeux anniversaire à notre démocratie et bon vent à elle.
Entretien réalisé par Gérard Agognon