Secrétaire général du syndicat national des agents d’exécution à la Société nationale des eaux du Bénin, (Synae-Soneb), Francisco Gomez opine sur l’épineuse question de lutte contre la corruption engagée par le gouvernement du président Patrice Talon. Estimant que cette lutte semble être sélective, il affirme que la Soneb se porte bien mieux depuis le départ de l’ancien directeur général de la Soneb, David Babalola, inculpé dans un dossier de malversation. Le syndicaliste n’a pas oublié d’aborder au cours de l’entretien, la situation des grèves qui secouent les secteurs de la justice, de l’éducation et invite le chef de l’Etat et les partenaires sociaux à faire chacun des concessions et s’accorder autour d’un idéal pour le bien du peuple.
L’Evénement Précis :Comment se porte la Soneb depuis le départ de David Babalola ?
Francisco Gomez : La Soneb se porte mieux. Je m’explique. Aujourd’hui, le syndicaliste n’est plus malmené. Il n’y a plus de représailles. Il y a le dialogue social. Régulièrement, l’administration de la Soneb invite les partenaires sociaux que nous sommes et on échange, et ce sur quoi on s’entend, c’est ça qui se fait. On ne peut pas demander mieux. Il y a une très bonne ambiance là maintenant et les travailleurs se remettent au travail, ça se fait progressivement. Mais, avant, ce n’était pas ça. Il reste quelques réglages à faire et la Soneb se sentirait mieux encore.
On vous a vu très actif sur le terrain, les chantiers routiers sont en cours et les installations de la Soneb sont endommagés à plusieurs endroits, comment vous vivez cette situation avec la distribution de l’eau aux populations ?
C’est une situation très difficile pour nous qui produisons et qui distribuons l’eau, et nous vivons mal la situation parce que les efforts fournis pour alimenter en permanence les populations sont quelle que part sabotés. Les entreprises à charge les routes font leur travail, ça se voit, on ne peut pas les empêcher. Mais il se trouve que nous nous retrouvons sur le même terrain avec ces entreprises. Par le passé, on leur a demandé de nous inviter à faire le parcours avec eux quand il s’agit des casses, ceci dans le souci de préserver les installations. Mais, ça ne marche pas comme on l’aurait souhaité. Nous venons souvent constater les dégâts et il est difficile de remettre en place les choses une fois les dégâts causés. Toutefois, je crois qu’aujourd’hui, on s’entend mieux, il y a une bonne collaboration qui est en train de se mettre en place entre la Soneb et ses entreprises et on gère au mieux les choses. Sinon, imaginez, aussitôt que les gens manquent d’eau, on crie la Soneb et c’est à raison. Mais en amont, on pouvait prendre des dispositions pour éviter les casses ou bien on pouvait prendre des dispositions pour continuer d’approvisionner les populations pendant que les casses se font. C’est de l’investissement et quand ce n’est pas prévu de changer un tuyau qui est cassé par inadvertance, il est difficile de se mettre en action. Il faut se préparer, faire des projections. Au départ, des casses c’était difficile mais aujourd’hui, c’est bon, on a pu réparer ce qu’on devait réparer mais il se trouve que malencontreusement, des populations qui se trouvent dans l’emprise de la voie, soit par ignorance ou par entêtement, je ne sais pas, malgré les réparations sont toujours en manque d’eau. Parce qu’il leur reste à aménager là où ils peuvent recevoir un nouveau compteur pour les desservir et le tout sera joué et ils seront approvisionnés.
Transparency International a publié, il y a quelques jours, le Rapport mondial 2017 de l’indice de perception de la corruption. Le Bénin passe de 95ème en 2016 au rang de 86ème en 2017, soit environs dix places en avant. Que vous inspire cette avancée ?
Je suis content pour notre pays d’avoir fait ce pas dans le classement de transparency International. C’est la preuve que tout ce que nous faisons est suivi de part et d’autre et que nous n’évoluons pas en vase clos. C’est heureux que le Bénin soit apprécié par des organismes internationaux pour la gestion de la chose publique et la lutte contre la corruption. Nous n’allons pas jeter le discrédit sur ce qui se fait mais nous, nous devons nous dire la vérité à l’interne. Oui, il y a des actions qui sont menées, il y a la conduite des affaires que nous observons à l’interne, mais nous restons un peu sur notre soif, d’autant plus que le président Talon reste lui-même et que moi, je reste moi-même. On n’a pas les mêmes façons de voir les choses et ce n’est pas évident que nous ayons les mêmes idées pour la gestion des choses. Toutefois, cette lutte peut être mieux menée, il peut y avoir de la méthode que ce que nous voyons actuellement. Ce que les enseignants attendent, ce que les partenaires sociaux attendent, ce que les partenaires financiers attendent, ce n’est pas encore ça. Le peuple attend mieux de nos gouvernants que la lutte contre la corruption. Il y a la lutte contre le blanchiment d’argent, l’enrichissement illicite, qu’est-ce qu’on en fait ? Comment la lutte est menée. Je crois qu’il faut aller à l’essentiel. Ce qui est fait jusque-là, il n’y a que le dossier Mètongnon qui à mon avis, est un vrai dossier de corruption. Mais là aussi, les chiffres avancés par le gouvernement au départ ne sont plus les mêmes, la banque a dit autre chose et le témoin en question nie les fait. Donc, c’est encore des choses à revoir.
Mais le dossier Fnm a refait surface et des personnes sont sous mandat de dépôt, c’est toujours la lutte contre la corruption ?
Je n’en disconviens pas. Le dossier Fnm a commencé petit à petit mais là aussi les chiffres avancés par le gouvernement ont changé devant le juge, on est passé à plus de quatre milliards à un milliard et paraît-il, les gens ont les papiers pour justifier ce à quoi l’argent a servi. Maintenant, que des gens soient retenus, pour le moment, c’est des détentions provisoires, ce n’est pas encore une condamnation. Toujours est-il que priver quelqu’un de sa liberté, c’est difficile et par conséquent, il faut prendre le temps de fouiller, prendre le temps de murir les enquêtes avant de commencer par priver les gens de leur liberté.
Pensez-vous que cette lutte est, comme le disent certains, orientée contre certaines personnes qui ne sont peut-être pas d’avis avec le système de gouvernance qui est en place ?
Là, il n’y a pas de doute. Tout ce qui est fait conduit à dire que la lutte est pour le moment orientée. Il n’y a pas de doute. Il y a des dossiers plus croustillants, plus anciens et plus préoccupants qui sont là et pourtant, on s’en prend à quelques sujets d’intérêts personnels.
Donnez-nous quelques exemples de dossiers préoccupants abandonnés jusqu’à présent.
Tout le monde le sait. Le dossier PPEA II est là. Il est vrai que pendant un temps le tribunal a statué sur un non-lieu. Mais le gouvernement n’a pas cru devoir interjeter appel. Où est la lutte ? Ça pose problème. A part ça, il y a le dossier machine agricole, on sait, des noms ont circulé et l’honorable Janvier Yahouédéhou est là pour en témoigner. Il nous a éclairés, à foisons. Le dossier de construction de l’Assemblée Nationale et ainsi de suite.
Donc, vous estimez que ceux qui sont impliqués dans ces dossiers sont protégés par le gouvernement ?
Nous n’allons pas dire tout de suite qu’ils sont protégés mais la question est de savoir pourquoi ces personnes ne sont pas interpelées puisque des noms sont sortis. Bizarrement, ce sont les mêmes qui se retrouvent à constituer un bloc autour du gouvernement et du président de la République pour soutenir ses actions du gouvernement. Il y a un paradoxe.
Alors, comment appréciez-vous le dossier de votre ancien directeur général de la Soneb, David Babalola qui, entre temps, n’a pas cédé à vos exigences malgré tout ce que vous avez fait mais qui a été rattrapé par un dossier ?
Le dossier que vous évoquez relève aussi du paradoxe. Nous, en tant que syndicat, avons dénoncé des milliards distraits dans la gestion de la Soneb par Monsieur Babalola.,On n’en a jamais fait cas. On ne nous a presque pas écoutés et pourtant nous avons parcouru des ministères, nous avons mené des démarches que vous avez suivies en son temps avec nous. Mais comment se fait-il qu’on ne touche rien à cela malgré que les faits sont là et visibles, et on s’en prend à quelques millions. 261 millions de TVA. Parce que monsieur Babalola a osé réclamer ce que l’administration publique doit à la Soneb. Ils ont une manière de gérer la chose, c’est par compensation. C’est-à-dire que lorsqu’on s’entend sur ce que l’administration publique doit à la Soneb, on demande au ministère des finances de faire le point de ce que la Soneb doit au trésor et on fait une compensation. Si c’est la Soneb qui doit faire un complément, elle le fait mais si c’est au ministère des finances de le faire, c’est la formule qui est adopté depuis des lustres. Pour mieux aborder ce dossier, si vous le souhaitez, c’est que pour conduire les réformes à la Soneb, il est cité entre autre que la Soneb est incapable de recouvrer ce que l’administration doit. Et, c’est dans cette démarche que le Dg Babalola a entrepris la démarche de recouvrer. Entre temps, nous avons sorti un document pour dire qu’une administration sérieuse qui se respecte n’attend pas qu’on vienne lui réclamer ce qu’elle doit. Nos clients qui sont les meilleurs n’attendent pas qu’on aille chez eux les priver d’eau avant qu’ils ne viennent régler leur facture de consommation. Donc, si l’administration pouvait se comporter comme telle, on n’en arriverait pas là. Alors, l’ancien Dg, pour vider un des points qui sont collés à la Soneb comme mauvaise gestion, ou comme incapacité de gérer pour produire la richesse, a engagé le processus de recouvrement. Je ne protège pas le Dg Babalola, et je ne veux non plus prendre parti puisque le dossier reste entier, et le tribunal continue de fouiller et on attend que le tribunal nous situe vraiment sur ce dossier.
Donc, vous estimez qu’il y a mieux à reprocher au Dg Babalola que ces quelques millions pour lesquels il est enfermé.
Evidemment, il y a mieux. Autant ce dossier reste entier, autant ils n’ont pas encore abordé les vrais dossiers sur lui. On a appris qu’il y a des enquêtes en cours, qu’il y a des inspecteurs du ministère des finances qui continuent de fouiller mais nous, on attend les rapports. C’est là que moi je suis surtout gêné par rapport à la manière du gouvernement de gérer les choses, il faut communiquer, communiquer et expliquer les situations aux populations, si non, il y a trop d’interprètation.
Nous sommes dans la normo communication et on ne dit au peuple que ce qu’il peut entendre !
Mais c’est là le problème. On ne dit pas au peuple ce qu’il peut entendre mais on dit ce qu’on veut servir au peuple. Mais le peuple les attend sur d’autres points. Il faut rester à l’écoute du peuple. On a vu ces derniers temps le chef de l’Etat échanger avec certaines franges de la population, les têtes couronnées, les groupes religieux et autres, c’est bien. C’est un bon début que nous encourageons. Nous le remercions pour ça, qu’il aille loin.
Les grèves se poursuivent dans l’administration judiciaire, dans le système éducatif, en tant que partenaires sociaux, que ressentez-vous à la place de vos confrères qui font la grève aujourd’hui ?
J’ai reproché tout à l’heure au gouvernement, le manque de dialogue. Ce que le président Talon a entrepris. J’ai demandé qu’il aille loin. Pour ce qui est des grèves, je voudrais demander humblement au président Talon de dialoguer avec qui de droit, mais de dialoguer sincèrement. De ne pas mener un dialogue de sourd, de ne pas venir avec des idées préconçues, mais plutôt, de venir ouvert. Venir à l’idée de recevoir de l’autre et de donner aussi au besoin, de s’entendre sur un juste milieu pour conduire les affaires de ce pays. La grève, je suis syndicaliste et c’est le syndicaliste qui parle, elle ne peut être jamais retirée aux travailleurs. Si par le comportement du gouvernement, les travailleurs sont amenés à utiliser cette arme, qui normalement devrait être le dernier recours, je crois que cela dépend des faits des comportements du gouvernement. Il y a que les membres du gouvernement se comportent comme cela se doit,ils peuvent se mettre dans un creuset de dialogue permanent et il n’y aura pas de grève. On n’a même pas besoin de retirer ce droit avant que tous se passe bien. Mais malheureusement, on se comporte de manière à faire croire qu’on a à la tête du pays des omniscients, des gens qui n’ont rien à recevoir des autres, et tout ce qu’on décide, c’est le meilleur, tout ce qu’on fait, c’est le meilleur. Quand c’est comme ça, ça ne passe pas. C’est cela qui amène à aller à ces extrêmes-là, de la grève. Les conséquences sont là, nous en sommes conscients. Il faut savoir à un moment donné se détourner de ses objectifs et se demander si les autres n’ont pas raison.
Nous allons parler de la réforme du système partisan, comment voyez-vous la chose ?
Nous sommes dans un monde où le syndicaliste a besoin du politique et le politique a besoin du syndicaliste. C’est vrai qu’il faut faire la démarcation, et je n’aime pas aller sur le terrain politique mais je parle politique. Si le milieu politique est mal organisé, ça se ressent sur les travailleurs, sur le syndicaliste. Pour le moment, je ne veux pas m’attaquer à ce qui n’a pas pris corps, je laisse les politiques organiser la chose, qu’ils le mettent en œuvre et en ce moment, comme le disait l’autre, nous allons aviser. Toujours est-il qu’il ne faudrait pas que ce soit une frange qui dicte ce qui doit être fait en milieu politique à la grande masse. Il faut tenir compte des considérations des autres, des ressentis des autres. Nous avons opté pour le multipartisme intégral et étant dans la période d’anniversaire de la conférence nationale que nous avons voulue et réussie, il ne faudrait pas que le gouvernement dicte sa loi aux politiques. Si les données doivent changer, il faut que le peuple s’asseye pour en discuter.
En termes de conclusion ?
Je souhaite au peuple béninois la résilience. Au gouvernement, qu’il soit beaucoup plus à l’écoute du peuple. Je souhaite que les travailleurs se montrent plus conciliants et tous autant que nous sommes, et qu’on fasse en sorte qu’il y ait le dialogue de façon permanente.
Entretien réalisé par Yannick SOMALON