(Décryptage de la rencontre entre les deux présidents)
La rétrocession voulue par Talon des œuvres d’art « pillées » par la France et qui font le bonheur du musée de quai Branly n’est pas pour demain. C’est du moins ce qu’il faut retenir de la rencontre entre le président béninois Patrice Talon et son homologue français Emmanuel Macron, lundi 05 mars 2018 à Paris. L’enthousiasme du chef de l’Etat, exprimé par une volonté ferme dès son avènement au pouvoir de faire revenir dans le patrimoine béninois, les œuvres d’arts pillées pendant la période de la colonisation, vient d’essuyer un refus stratégique. Sur le sujet, on a vu deux hommes d’Etat pas très à l’aise. D’abord Emmanuel Macron qui, contrairement à la déclaration de Ouagadougou, fait une rebuffade. « Je me suis engagé afin que d'ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique, a rappelé le chef de l'Etat français. « Je souhaite aussi que nous puissions travailler dès à présent avec vous, cher président Talon, sur une plus grande circulation des œuvres entre nos deux pays ». Lui qui, pourtant, lors de sa tournée africaine, avait dit qu’il était disposé à rendre aux pays africains leurs patrimoines qui séjournent dans les musées français. On peut comprendre qu’Emmanuel Macron était dans l’euphorie d’une visite en Afrique. Une fois chez lui, on lui a sans doute faire savoir comment une telle initiative était presque impossible, la loi française ne permettant pas ce type de restitution de manière définitive. Que faire ? Voilà qu’il avait promis la rétrocession. Il fallait trouver des arguments, se réfugier derrière lesdits arguments. D’où l’idée de la mise sur pied de la Commission Sarr qui, dit-il, doit étudier la problématique et faire des propositions concrètes d’ici novembre. Toute une année pour faire des propositions et Macron se donne 5ans pour faire des restitutions temporaires si les conditions sont réunies. D’autres arguments tels que l’état des musées sur le continent, qui ne permettrait pas une bonne conservation des pièces. Le risque de vol, d’attaque, de trafic de tout genre viendront appuyer la thèse de l’impossibilité de consentir à cette demande de restitution des biens culturels du Bénin. S’il pouvait seulement dire devant micros et caméras que c’est impossible !
Le rêve de Talon ainsi brisé
En faisant en juillet 2016, la demande de restitution des biens culturels auprès des autorités françaises, Patrice Talon voulait donner un regain d’intérêt au tourisme qui, dans bien de pays comme le Rwanda, constitue une importante source de revenus. C’est, sans doute, ce qui l’a conduit à confier la gestion du Parc de Pendjari à une société sud-africaine. En ce moment, Patrice Talon n’était pas dans une logique d’aviser après son premier mandat de 5ans. Il voulait surtout faire vite pour que l’impact soit visible. Cette rencontre devrait donc intervenir plus tôt pour qu’il ait l’opportunité d’exprimer sa vision sur le tourisme au président français. Cela n’a pas été possible. Le timing a donc joué contre le projet. Secundo, devant Macron, Patrice Talon a fait preuve de beaucoup de compromis. Là où Macron assumait sa rebuffade par la mise en place d’une commission, la visite au Bénin du directeur du musée de quai Branly pour voir dans quelle condition envisager la circulation de certains œuvres d’art, le chef de l’Etat béninois avait du mal à assumer le statut du président d’un pays, ancien colonie, qui réclame la rétrocession de ses biens emportés sans son consentement. « notre démarche de négociation, de coopération afin que ces biens qui ont été les témoins d’une histoire entre deux peuples, ces biens qui concernent aussi bien l’histoire de la France que celle du Bénin, même s’ils (bégaiement) nous appartenaient et comptent nous appartenir, l’idéal pour la France et le Bénin, deux pays amis qui coopèrent, le Bénin qui bénéficie de l’appui de la France pour son développement, ce contexte, cet état d’esprit nous (bégaiement sur bégaiement) », puis il finit par dire, « nous met dans une dynamique de négociation qui va au-delà de ce que nous tenons absolument à obtenir telle ou telle chose ». Il ne s’arrête pas là. « Ces biens qui sont ici et qui matérialisent les relations historiques entre les peuples du Dahomey, les royaumes du Golf de Guinée entre temps et la France ne nous donne pas, ne nous met pas dans un sentiment de conflit et de revendication absolue parce que nous sommes conscients que c’est parce que le monde a ainsi évolué que ces patrimoines se sont retrouvés ici et qu’ils relèvent également de l’histoire de la France ». On peut se demander où est passé le Patrice Talon rassurant qui connait tout, qui a réponse à tout. Devant Macron, le chef de l’Etat se rend subitement compte que si ces œuvres sont en France, c’est qu’il y a une raison à cela et qu’elles font également partie de l’histoire de la France. Pire, Patrice Talon envisage même que le Bénin puisse partager ce patrimoine avec la France, un partenaire au développement. « Nous avons pu constater que la France continue d’être notre partenaire privilégié pour notre programme de développement » Patrice Talon qui a donné l’impression d’avoir de l’aversion pour la France, au regard de son discours face à Lionel Zinsou, en arrive aujourd’hui à faire, à la limite, l’éloge de cette même France. Que c’était difficile de trouver les mots justes pour ne pas mettre en mal, par sa demande, l’ego des français et de leur président.
Des accords oui, mais…
Plusieurs millions d’euro ont été annoncés comme le fruit de cette rencontre entre Talon et Macron. 175 millions d’euro comme garantie de la Banque publique d’investissement (Bpi) pour la construction du centre hospitalier et universitaire d’Abomey-Calavi, 58 millions d’euro pour accompagner le projet de ville durable et la signature d’une déclaration d’intention avec l’Afd pour un montant de 43 millions d’euro afin de réaménager la cité lacustre de Ganvié. Des cinq secteurs prioritaires qui méritent l’accompagnement de la France, les trois cités plus haut feront objet de financement. Mais à la condition que ce soient les agences et entreprises françaises comme l’Afd qui exécutent le marché. Aucune intention de financement n’a été annoncée pour les deux autres secteurs que sont la formation et l’éducation, de même que l’offre culturelle. Mais seulement des promesses d’accompagnement. Ceux qui annoncent que des millions d’euro sont donnés par la France pour soutenir le Pag devraient lire dans les déclarations de Macron l’esprit des accords de financement. En plus de l’intention à l’acte, beaucoup de choses peuvent se passer.
Talon dans la posture de l’élève devant son Maître
Patrice Talon qui a toujours voulu faire les choses en gentleman en se démarquer de son prédécesseur tant le style vestimentaire que dans le discours, a failli une deuxième fois à l’Elysée. Après sa bourde devant François Hollande en avril 2016, quelques trois semaines après son investiture, où il présentait le Bénin comme « un désert de compétences », le chef de l’Etat béninois se fait cette fois-ci « petit » devant Emmanuel Macron. Patrice Talon n’a pu contenir ses émotions quand il a réussi à rencontrer homologue français. Et il l’a dit : « Vous imaginez dans quel état je suis ? Un bonheur à la limite de l’extase ». Au-delà au aides accordées au Bénin par la France et des fleurs à lui jetées par Emmanuel Macron qui dit approuver ses réformes engagées, le président Béninois s’est senti honoré par celui qu’il avait rencontré en vain lors de sa visite qualifiée de fiasco ; visite qui a fait couler beaucoup d’encres et de salives au pays. Mais pour ce fait, Patrice Talon avait-il besoin de se lâcher autant ? Ce qui aura retenu aussi l’attention, c’est le discours de l’hôte de la France quand il devrait revendiquer les œuvres d’art du Bénin à lui « volées » et gardées dans les grands musées français. Là, le chef de l’Etat béninois a perdu son Latin. Le choix des mots lui était difficile comme un élève intimidé par son maître. Patrice Talon n’était pas dans la posture d’un président de la République qui discute d’égal à égal. Beaucoup d’observateurs ont même confié via les réseaux sociaux qu’il a manqué de convaincre et d’être ferme. Ce qui a permis au « maître » de le dominer et de lui imposer un agenda sur 5ans même s’il a semblé le rassurer de certaines diligences à faire dans les prochaines semaines et mois. Le Compétiteur né a été tout simplement méconnaissable dans cette posture, surtout pour lui qui a comparé son ancien challenger à la présidentielle, Lionel Zinsou à « un premier ministre français » ou à un gouverneur.
Talon : le contraste d’une lutte « impartiale » contre la corruption
« Vous savez à mon âge et pour le parcours qui a été le mien au Bénin, il ne serait pas sincère de dire que je n’ai aucune responsabilité dans l’état dans lequel se trouve le Bénin. Il faut le dire, la responsabilité est partagée par malheureusement, beaucoup d’entre nous dont moi-même. Et l’Etat dans lequel se trouve le pays, d’inégalités remarquables, une minorité s’accapare un peu trop des maigres ressources du pays, la mauvaise gouvernance (…) autant de choses qui ont pu profiter à une minorité dont moi-même ». A bien analyser ces propos du président béninois devant les autorités françaises et les caméras du monde, on peut s’interroger sur la pertinence de la lutte que mène Patrice Talon contre la corruption et la mal gouvernance dans son pays. Non seulement Patrice Talon s’accuse, mais aussi se culpabilise dans sa déclaration qui ne relève pas de l’exclusivité. Lorsqu’on reconnaît qu’on a profité de la situation alors qu’on traque uniquement les coauteurs, et ce de l’écurie qui vous a permis d’être ce que vous êtes aujourd’hui, comment peut-on qualifier cela ? Patrice Talon dans la logique « accusé mais pas coupable » ? Pourquoi estime-t-il que c’est maintenant qu’il a tous les pouvoirs concentrés dans ses mains qu’il va frapper ses « complices » ? Où était Patrice Talon et ses soutiens et quelle était leur réaction, entre 2012 et 2016, quand son prédécesseur remettait en cause le trop de bénéfices que lui généraient le coton et le Pvi-Ng (Programme de vérification des importations-Nouvelle génération), toutes choses qu’il a rétablies dès son élection ? « Être dans les fonctions actuelles, avoir cette opportunité pour réparer, et m’abstenir de le faire, ce serait louper une occasion de rentrer dans l’histoire (…) », a laissé entendre le chef de l’Etat devant son homologue français. Patrice Talon, lui et lui seul peut ne doit louper l’occasion de mener la lutte anticorruption mais ses prédécesseurs, oui ! Cela pourrait facilement laisser croire que seuls les intérêts de Patrice de Patrice Talon comptent. Après lui qui a proprement profité de l’inégale répartition des maigres ressources du pays, plus personne d’autre ne doit en profiter. Après moi, c’est fini. Patrice Talon ni plus ni moins dans la politique que d’aucuns pourraient qualifier de la terre brûlée. Ce qui apporte d’ailleurs de l’eau au moulin de ceux qui doutent de l’impartialité de cette lutte contre la corruption et la mal gouvernance déclenchée sous la Rupture.
Worou BORO