Au Bénin, les réseaux sociaux deviennent de plus en plus des plateformes d’invectives, de blagues incessantes et d’atteintes à la pudeur. Avec la promulgation du code du numérique, Amouda Abou Seydou, Commissaire à la Commission nationale des libertés et de l’informatique (Cnil) devenue Autorité de protection des données personnelles (Apdp avertit. A travers cette interview, l’expert concepteur, architecte informatique rappelle les peines et les risques courus par les auteurs des dérapages.
Que pensez-vous de l’essor des réseaux sociaux au Bénin ?
De plus en plus, les réseaux sociaux font partie de nos vies quotidiennes et changent certains de nos comportements. Ils ont bouleversé notre société et révolutionné les relations humaines. Aujourd’hui, une stratégie de communication passe inévitablement par l’utilisation des réseaux sociaux. Le monde devient de plus en plus hyper connecté. C’est de nouveaux outils pour garder contact avec ses amis et connaissances sans oublier cependant que ces réseaux peuvent être source d’ennuis. Au Bénin, toutes les couches sociales sont impactées par l’essor des réseaux sociaux. De la ménagère au Cadre supérieur en passant par les élèves, les étudiants, les fonctionnaires, les ouvriers, les politiciens etc. tous disposent de ces moyens de communication. Mais leur utilisation conduit incontestablement à certaines dérives dont les solutions juridiques ne sont pas toujours évidentes.
Quelle est en réalité l’utilité de ces canaux de communication ?
Les réseaux sociaux sont aujourd’hui incontournables car ils constituent en premier lieu un moyen de communication performant et efficace. Ils sont en effet de véritables mines d’or qui renferment une quantité impressionnante d’informations personnelles concernant les utilisateurs. Lesquelles informations personnelles ont de nos jours une importante valeur marchande. Le succès des réseaux sociaux dans notre pays réside en partie dans la distraction des utilisateurs en général. Aussi, pour une exploitation commerciale, beaucoup d’entreprises les emploient pour dynamiser leur image auprès de leurs partenaires à travers une stratégie offensive et la publicité digitale.
Il en existe aujourd’hui un nombre important (Facebook, Twitter, LinkedIn, WhatsApp etc.) parmi lesquels le plus utilisé et célèbre est Facebook avec comme utilisateurs actifs mensuels plus de 2 milliards en juin 2017 et plus de 8 milliards de dollars de chiffre d’affaires.
Comment expliquez-vous le fait que ces plateformes aujourd’hui très prisées sont devenues des vecteurs de dérapages de toutes sortes ?
C’est vrai qu’il est de plus en plus observé aujourd’hui sur la planète un grand dérapage dans l’usage des réseaux sociaux, et les causes sont nombreuses et multiformes.
A partir du caractère gratuit que présente l’utilisation des réseaux sociaux, alors qu’il n’en est pas un, ils sont à la portée de tous. Mais si le produit Facebook est gratuit, c’est tout simplement parce que vous êtes, vous-mêmes, le produit sans s’en rendre compte. Dans son usage sans contrôle et sans limite, vous laissez vos données personnelles.
Au-delà donc des accès faciles à ces réseaux, en grande partie, on peut relever l’ignorance totale des utilisateurs. Les informations qui sont publiées ne peuvent plus être récupérées, et elles sont à la disposition du grand public même si vous les supprimez de vos portables. Ces publications souvent malsaines vous suivent toute votre vie et peuvent porter préjudice à votre honorabilité.
En effet, n’importe qui se connecte n’importe comment, n’importe quand et fait n’importe quoi sur ces réseaux sociaux, sans se soucier d’une part de l’exploitation qui est faite de tout ce qui est publié et d’autre part de la limite des libertés, en l’occurrence de l’existence d’une loi qui punit toute forme d’atteinte à la vie privée des personnes en République du Bénin. Il s’agit bien sûr de la loi 2009-09 du 22 mai 2009 portant protection des données à caractère personnel en République du Bénin qui vient d’être remplacée par le code du numérique en son livre 5.
Quelles sont les sanctions prévues par les textes ?
La Cnil désormais l’Apdp après promulgation du code du numérique par le Président de la République, dispose des textes qui punissent toutes formes de dérapages sur les réseaux sociaux. Trois types de sanctions sont prévus. Il s’agit des sanctions administratives, des sanctions civiles et des sanctions pénales qui peuvent aller de cinq à dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 10 millions à 50 millions de francs CFA. En ce qui concerne les sanctions administratives, l’autorité de protection des données personnelles peut prononcer un avertissement à l’encontre du responsable de traitement qui ne respecte pas les obligations découlant de la loi. Ainsi, l’autorité peut prononcer les sanctions suivantes :
• Une sanction pécuniaire, à l’exception des cas où les traitements sont mis en œuvre par l’Etat ;
• une injonction de cesser le traitement des données à caractère personnel ;
• un retrait de l’autorisation accordée en application des dispositions de la loi ;
• un verrouillage de certaines données à caractère personnel.
S’agissant des sanctions civiles, en cas d’atteintes graves ou immédiates aux droits et libertés suivant la loi, l’Apdp ou la personne dont les droits et libertés ont été violés, peut demander par voie de référé, à la juridiction compétente, d’ordonner le cas échéant, sous astreinte, toute mesure nécessaire à la sauvegarde de ses droits et libertés. La complicité et la tentative sont punies des mêmes peines.
Je tiens à rappeler que constituent des manquements graves la collecte déloyale des données personnelles ; la communication à un tiers non autorisé des données personnelles (photos, vidéos, numéros de téléphone, etc.) ; la collecte des données sensibles, des données relatives à des infractions ou à un numéro national d’identification sans respecter les conditions légales. Aussi, le fait de procéder à la collecte et à l’utilisation des données personnelles ayant pour conséquence de provoquer une atteinte aux droits fondamentaux ou à l’intimité de la vie privée physique concernée est un manquement grave, puni par la loi. Il en est de même du fait d’empêcher les services de l’Apdp d’effectuer une mission de contrôle sur place ou de faire preuve d’obstruction lors de la réalisation d’une telle mission. Le tribunal peut ordonner l’effacement de tout ou partie des données à caractère personnel faisant l’objet du traitement ayant donné lieu à l’infraction.
Que fait l’Autorité de protection des données personnelles face aux dérapages constatés ?
L’Apdp procède à une vaste campagne de sensibilisation et d’éducation des populations sur l’utilisation responsable de ces réseaux sociaux. Nous procédons aussi au contrôle du traitement des données à caractère personnel qu’elle protège. Tout citoyen peut la saisir pour atteinte à sa vie privée.
Quelques conseils pour aider les utilisateurs à moins s’exposer sur les réseaux sociaux.
En réalité, il s’agit notamment pour les gouvernants d’appliquer les lois, au risque de limiter la liberté d’expression, pour les fournisseurs Internet de protéger la vie privée et d’élaborer les normes d’un environnement en ligne, et pour les utilisateurs de savoir comment protéger leur vie privée et leur liberté d’expression.
D’une manière pratique, pour les utilisateurs, il est indispensable d’éviter de s’exposer sur les réseaux sociaux en publiant des informations sur sa vie privée. Il faut protéger ses données personnelles en sécurisant les moyens de communication (ordinateur, téléphone portable, tablette, etc.) à travers des codes d’accès complexes. C’est aussi important de limiter la fréquentation des sites à des sites responsables et instructifs, de privilégier les sites sécurisés https et de paramétrer ses comptes sur les réseaux sociaux. Il faut aussi se rassurer de la moralité de son interlocuteur à l’autre bout de la ligne avant de se dévoiler, limiter au maximum les informations à communiquer et juger de la pertinence des informations personnelles à fournir. Il faut développer le réflexe de supprimer les cookies et les historiques de connexion.
Réalisation : Fulbert ADJIMEHOSSOU